Culture

Lire : Séverine, « l’Insurgée »




Les éditions de L’échappée ont publié cet automne un recueil de textes d’une journaliste aujourd’hui injustement tombée dans l’oubli. Féministe, pacifiste et libertaire, d’une intégrité à toute épreuve, elle était en première ligne de tous les combats de son temps, la Belle Époque.

Pionnière du journalisme, première femme assumant la direction d’un journal, elle fut une des grandes figures de l’histoire des mouvements révolutionnaires de la Belle Époque  : Séverine. Caroline Rémy de son vrai nom, elle incarna ces années par sa plume bouillonnante et pleine de fougue.

Elle fut l’amie et l’épigone de Jules Vallès, qui lui apprit, dit-elle, « à penser et à réfléchir, à [s’] incliner sur la détresse humaine ». Elle livra de nombreux articles (plus de 6 000  !) dans Le Cri du Peuple, Le Figaro, Le Gaulois, La Fronde, Gil-Blas, L’Humanité, France-Soir, etc.

« D’avoir gardé le don précieux de s’amuser de tout, ou, mieux, de m’intéresser à beaucoup de choses  ; de rire au soleil et de rêver aux étoiles  ; d’enrichir ma vue de tout ce qui reluit, ou cuivre, paillette ou paillon  ; de garder fidèlement en ma mémoire le reflet de tout ce qui vit, de tout ce qui passe, je me suis constitué, pour toute l’existence, un trésor que les plus longs jours n’arriveront pas à épuiser. »

S’amuser de tout, mais aussi savoir être grave, voire cinglante, comme dans cet article de 1890 sur le droit à ­l’avortement, celui sur les tueurs de femmes, ou encore celui sur la tragédie de Fourmies en 1891…

On croise dans ce recueil Ravachol, dont Séverine douta de la valeur de l’action, préférant se situer « avec les pauvres toujours, malgré leurs erreurs, malgré leurs fautes...malgré leurs crimes  ! ».

Elle appuiera la demande de grâce pour l’anarchiste Auguste Vaillant, qui lança une bombe sur les députés, désapprouva la théorie de la reprise individuelle par Clément Duval, mais y décela le problème social sous-jacent, qui la laissa dubitative… Ces opinions ne sont pas sans rappeler celles de Charles Malato.

Elle témoigna d’un grand respect pour Jean Grave  : « Ce mécréant est un juste » ou encore pour Jean-Baptiste Clément et Louise Michel.

Irrévérencieuse, et avant tout féministe

Elle signa des articles sur les « casseuses de sucre » en grève, livra une diatribe féroce et sans concession à l’encontre de Jules Ferry. Elle s’en prit aux bienfaits de la civilisation par la colonisation. « Civiliser  ? Coloniser  ? ..le spectacle n’est pas beau  ! »

Elle adhéra au PCF en 1921, tout en restant critique et indépendante d’esprit, revendiquant par dessus tout son féminisme, qui ne lui «  semble pas un tout, mais une fraction de l’immense effort à fournir pour affranchir le monde  ». « Tout mon féminisme tient en ces deux mots  : Justice, d’abord  ; et puis tout de suite, bien vite, Tendresse. »

Elle mit sa plume au service du respect des droits humains à l’occasion des procès des anarchistes de Chicago, de Dreyfus et de Francisco Ferrer.

Pour clore cette brève présentation de l’œuvre impétueuse et passionnée de l’Insurgée ­Séverine, cette petite citation  : « Moi, une rosette sur la poitrine  ? Mais… la nature m’en a déjà donnée deux  ! » Du journalisme de cette tonalité, avec ce brio littéraire, on aimerait tant pouvoir de nouveau s’en régaler  !

Dominique Sureau (UCL Angers)

  • Séverine, L’insurgée, L’échappée, octobre 2022, 272 pages, 20 euros
 
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