féminisme

Lire : Silvia Federici, « Caliban et la Sorcière »




« La chasse aux sorcières expropriait les femmes de leur corps, qui étaient ainsi "libérés" de toutes entraves les empêchant de fonctionner comme des machines pour la production du travail. »

Les éditions Entremonde et Senonevero ont publié, en avril 2014, la traduction de l’ouvrage de Silvia Federici, Caliban et la Sorcière, sous-titré Les femmes, les corps et l’accumulation primitive et paru en 2004 dans sa version anglaise.

L’objectif de l’auteure est d’envisager la transition entre le féodalisme et le capitalisme (de la fin du XVe siècle à la fin du XVIIIe siècle) par le biais de l’histoire des femmes. Elle y développe la thèse selon laquelle l’oppression des femmes a joué un rôle dans l’émergence du capitalisme et dans l’accumulation primitive du capital, au même titre que le mouvement des enclosures [1], la colonisation du Nouveau Monde et la révolution industrielle. En gros, elle ne propose rien de moins que d’ajouter un chapitre au Capital !

La premier partie dresse un panorama des luttes sociales à la fin du Moyen Âge, la seconde traite des dynamiques générales d’expropriations en Europe à la fin du XVe siècle (donc de la répression de ces luttes par le pouvoir en mutation vers le capitalisme), tandis que les deux derniers chapitres traitent de l’oppression spécifiques des femmes durant cette période, en Europe et dans l’Amérique nouvellement colonisée.

Durant cette période, le corps des travailleurs est transformé en « machine-outil », tandis que celui des femmes est voué à la reproduction de la force de travail, et que celles-ci sont petit à petit dépossédées de leurs moyens de subsistances et des activités qu’elles exerçaient auparavant.

L’exemple de la chasse aux sorcières offre un bon déroulé à cette histoire : selon l’auteure, c’est l’ensemble des hérétiques qui sont réprimé-e-s au début de la période considérée, puis un glissement s’opère progressivement, les femmes mendiantes ou voleuses, les sages-femmes (qui pratiquent avortement et contraception), mais aussi les femmes considérées comme immorales (c’est-à-dire qui exercent leurs sexualité en dehors du mariage et de la procréation) sont désignées comme sorcières et durement persécutées.

La chasse aux sorcières est inventée en Europe, mais elle est par la suite étendue aux femmes du « Nouveau Monde » dans le but de briser les résistances indigènes à la colonisation, résistances mise en œuvre en grande partie par les femmes.

Laissons à Silvia Federici le soin de conclure sur la chasse aux sorcières : « Tout comme les enclosures expropriaient la paysannerie des terres communales, la chasse aux sorcières expropriait les femmes de leur corps, qui étaient ainsi "libérés" de toutes entraves les empêchant de fonctionner comme des machines pour la production du travail. C’est ainsi que la menace du bûcher dressa des barrières autours du corps des femmes, plus redoutables que ne le furent celles dressées par l’enclosure des communaux. »

Elsa (AL Toulouse)

  • Silvia Federici, Caliban et la Sorcière. Les femmes, les corps et l’accumulation primitive, traduit de l’anglais (États-Unis) par le collectif Senonevero, Entremonde, 2014, 464 pages, 24 euros.

[1Période de l’histoire anglaise durant laquelle
les grands propriétaires fonciers, en posant
des clôtures aux champs, remettent en cause
les droits d’usage sur les terres par les paysans
afin de rentabiliser l’élevage des moutons.
Période considérée par les marxistes comme une première étape du développement du capitalisme.

 
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