Lois Travail 1 et 2 : Pourquoi l’échec du mouvement social




Pleurnicher sur les « directions syndicales » qui ont mal fait ou pas assez, peut-être que ça soulage, mais c’est très insuffisant pour expliquer l’impossibilité d’élargir les mouvements de 2016 et de 2017 au-delà des « noyaux durs » de salarié.es conscientisé.es. La coordination fédérale d’AL de janvier 2018 a débattu de ces limites, et du travail à entreprendre pour les dépasser à l’avenir.

Les années 2016 et 2017 auront vu, coup sur coup, deux défaites majeures pour l’ensemble du salariat de ce pays. Plusieurs mois de lutte n’ont pas réussi à stopper la loi El Khomri (dite « loi Travail ») en 2016 ; en 2017, faute de mobilisation conséquente, la défaite fut plus rapide contre les ordonnances Macron (dites « loi Travail XXL »). Comment expliquer ces défaites ? Et quels enseignements en tirer, pour toutes celles et ceux qui ne sont prêts à baisser les bras devant la régression sociale ?

Disons tout net qu’il ne suffira pas de pointer les défaillances des « directions » confédérales pour comprendre, non seulement la défaite, mais l’impossibilité de faire surgir une mobilisation puissante et ancrée dans les entreprises. Le malaise est plus profond.

L’ampleur des déserts syndicaux posait problème

Concentrant le tir sur des réformes juridiques complexes qui aboutissent à un profond recul des droits sociaux et syndicaux, la contre-réforme El Khomri et les ordonnances Macron n’offraient pas de prise facile. La mobilisation nécessitait d’expliquer et de faire entendre des enjeux moins évidents à saisir qu’une réforme reculant l’âge de départ à la retraite, par exemple.

De ce point de vue, l’ampleur des déserts syndicaux posait un premier problème. Une majorité de salarié.es n’ont jamais éprouvé ni l’existence de droits sociaux (Code du travail et conventions collectives), ni celle de droits syndicaux qui permettent, à minima, d’exiger des patrons qu’ils res-pectent les droits sociaux. Et quand une présence syndicale existe, elle est souvent repliée sur elle-même dans un duel délégués-patrons dont les salarié.es restent des spectatrices et spectateurs passifs, faute de réussir  [1] à les associer à l’élaboration des revendications et des moyens de lutte.

Dans beaucoup de petites et moyennes entreprises, la fragile présence syndicale repose souvent sur deux ou trois élu.es sans réel soutien de leurs collègues. Dans les plus grandes, des élu.es profitent de leurs fonctions pour grimper dans la hiérarchie de l’entreprise, ou utilisent leurs heures de délégation pour aller au restaurant (avec la carte du comité d’entreprise...) et/ou s’enferment dans les locaux syndicaux. Les guerres intersyndicales prennent parfois des allures sordides de règlement de compte et les élections des délégué.es ne sont pas toujours l’occasion de débats de fond sur les revendications et la démocratie ouvrière. Bref, l’expérience pratique des salarié.es ne les pousse pas toujours à se mobiliser pour défendre le droit syndical.

Enfin, sous le poids du chômage de masse et de l’emploi précaire, nombre de salarié.es n’osent plus se mettre en grève pour défendre leurs revendications immédiates. Globalement, comme le montrent les statistiques publiés par la DARES sur quarante ans ou sur dix ans (et ce que nous connaissons du terrain), le nombre de jours de grève à l’échelle nationale ne cesse de reculer, même si des grèves continuent à éclore, certaines d’une durée très longue. La victoire idéologique à propos de « la crise » et la nécessité de faire des sacrifices pour garder son emploi pèse également. La grande majorité des conflits durs se déroulent au moment de licenciements massifs et de fermetures d’entreprises, de restructurations de services. Les consciences aiguisées durant ces conflits se per-dent ensuite avec la dispersion du collectif dans l’isolement de chacun et chacune face au chômage.

Au final, il est difficile d’imaginer que des salarié.es qui, déjà, ne font pas grève lorsque les négociations annuelles obligatoires (NAO) se soldent par un échec, vont se mettre en grève pour refuser la baisse du nombre des élu.es et l’inversion de la hiérarchie des normes !

De fait, au-delà des reproches qu’il faut adresser aux confédérations comme aux syndicats de base sur la manière dont les enjeux ont été expliqués et dont les mobilisations ont été proposées  [2], toutes et tous les révolutionnaires se sont trouvés confrontés à la difficulté d’élargir la mobilisation au-delà d’un noyau de salarié.es, certes non négligeable et plutôt stable, mais très insuffisant pour gagner.

Pour le camp de la bourgeoisie, l’enjeu était considérable. Il s’agissait, ni plus ni moins, d’infliger un recul historique dans les capacités du prolétariat à conserver ses droits et les moyens mêmes de les défendre. Devant un tel enjeu, seule une généralisation de la grève dans des secteurs importants de l’économie pouvait faire reculer les gouvernements PS/Macron. C’est aussi la prise de conscience du niveau où il fallait construire l’affrontement qui a découragé des militants et militantes, voire plus globalement des secteurs combatifs qui pensaient que, puisqu’on ne parviendrait pas à la grève générale, il ne servait à rien de suivre les journées de grève de vingt-quatre heures.

Coordination fédérale d’AL, janvier 2018


FAIRE, MALGRÉ LE RECUL
DE LA CONSCIENCE DE CLASSE

Depuis l’élection de Mitterrand à l’Elysée en 1981, les déceptions s’accumulent pour le camp des travailleurs et travailleuses, largement structuré à l’époque par les organisations politiques et syndicales – la CGT, mais aussi des secteurs de la CFDT et de la FEN – qui portaient le Programme commun de gouvernement PS-PCF-Radicaux de gauche comme espoir de changement.

Non seulement le changement espéré n’est pas venu, mais la destruction de pans entiers de l’industrie a porté un coup violent à nombre de bastions syndicaux. L’effondrement des régimes dits communistes a non seulement déboussolé celles et ceux qui croyaient encore au « socialisme réel » mais a éloigné l’idée qu’une alternative au capitalisme était possible, voire souhaitable. Le recul de l’implication des militants et militantes dans les structures interprofessionnelles témoigne d’une régression de la conscience de classe et signe un repli sur le syndicalisme dans l’entreprise, qui frappe y compris les structures professionnelles, et dont témoigne le désintérêt vis-à-vis des unions syndicales et fédérations.

L’accumulation des défaites pèse lourdement sur la génération militante des années 1960-1970. Les plans massifs de préretraites ont bousculé la construction d’équipes de relève dans les syndicats. Le départ définitif à la retraite de cette génération qui fut particulièrement politisée, laisse un vide qu’il faut combler.

Le recul de l’implication des militants et militantes dans les structures interprofessionnelles témoigne d’une régression de la conscience de classe et signe un repli sur le syndicalisme dans l’entreprise, qui frappe y compris les structures professionnelles (désintérêt vis-à-vis des unions syndicales et fédérations).

L’intervention autoproclamatoire de Mélenchon dans le calendrier des mobilisations avec sa manifestation du 23 septembre a rajouté à la confusion et à la dispersion. Alors qu’il est lui-même, en tant qu’ancien dirigeant socialiste, coresponsable du désarroi politique dans le monde du travail, sa posture remettant en cause les syndicats et la Charte d’Amiens pour revendiquer le droit des partis politiques à diriger les mobilisations sociales est inquiétante pour l’avenir.

Coordination fédérale d’AL, janvier 2018


Pleins feux : syndicalisme, que faire ?

 Loi Travail 1 et 2 : Pourquoi l’échec du mouvement social ?
 Syndicats : Se bagarrer pour rester « l’interlocuteur incontournable » ?
 Syndicalistes révolutionnaires : repartir du terrain
 Convergences : se regrouper pour avancer, pas juste pour se réchauffer

[1Parfois, c’est faute d’avoir essayé de les associer…

[2Les révolutionnaires ne sauraient s’exonérer de tous ces «  reproches  », qui ressortent d’un bilan collectif

 
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