Marseille : Collectif Binkadi, quarante jeunes face au racisme d’État

Partout en France, l’État mène une politique anti-immigration profondément raciste, qui repose régulièrement sur la négation de l’âge d’enfants exilées. À Marseille, ces jeunes s’organisent dans un collectif autogéré, et luttent ensemble pour leurs droits.
Depuis le 4 juillet, quarante jeunes mineurs migrants isolés occupent le kiosque des Réformés en haut de la Canebière, l’artère principale de Marseille. Majoritairement originaires d’Afrique subsaharienne, ils ont survécu à de terribles épreuves pour arriver jusqu’ici et souhaitent simplement vivre dignement en France.
Se présentant comme mineurs, ils auraient dû bénéficier à leur arrivée en France du statut de mineurs non accompagnés (MNA). Mais l’administration française, qui cherche à mener la vie la plus dure possible aux nouveaux arrivants, délivre de plus en plus difficilement ce précieux statut.
« Nos papiers d’identité africains ne sont pas reconnus » précise un des jeunes, à cause du soupçon raciste selon lequel les administrations africaines ne seraient pas fiables. Ils doivent donc passer par tout un processus empreint de racisme censé prouver leur âge. Ce travail de tri social a été délégué par le conseil départemental, et sa branche de l’Aide sociale à l’enfance, à une association, l’ADDAP 13. Celle-ci s’appuie sur un ensemble de règles à géométrie variable pour définir l’âge possible de ces jeunes avec des résultats aléatoires, afin de maintenir un taux d’acceptation de plus en plus restreint.
Les quarante occupants du kiosque ont subi tout cela. D’abord hébergés dans des conditions précaires le temps de l’établissement de leur minorité, ils se sont retrouvés à la rue une fois celle-ci refusée. Ils ont donc occupé le kiosque pour faire réagir les pouvoirs publics.
En plus du refus du statut auquel ils ont droit, l’accès à l’éducation leur est également nié. « On ne peut rien faire si on ne va pas à l’école. On n’apprend pas la langue. Et sans la langue, comment trouver du travail, comment s’intégrer ? » nous dit Mamadou [1]. Lui est déjà un ancien du collectif Binkadi. Il était présent lors de sa création en juillet 2024. Là aussi un groupe de jeunes a dû se battre pour obtenir des droits. En occupant une église sur le Vieux Port de Marseille, ils ont pu obtenir une forme d’hébergement et de scolarisation grâce à leur lutte et à de nombreuses mobilisations. Mamadou suit aujourd’hui une formation technique. Il est là en soutien des « nouveaux ».
Construire la lutte
Binkadi est un collectif autonome de jeunes migrants. Ils s’organisent et prennent leurs propres décisions, gèrent leurs luttes et leurs interventions. Ils organisent une AG interne tous les dimanches pour décider de leur manière d’agir, maintenir le lien entre eux et communiquer avec leurs soutiens.
Abou, un autre « ancien » nous raconte comment ils sont allés à Paris pour rencontrer le collectif parisien qui a occupé la Gaieté Lyrique début 2025. Plusieurs autres collectifs similaires existent ainsi à Lille, Paris, ou encore Tours.
Il nous dit aussi qu’un an plus tard, si quelques jeunes ont pu obtenir des droits ainsi que leur mise en pratique, beaucoup ont abandonné face aux difficultés et à l’absence de réponse des pouvoirs publics et sont partis vers d’autres villes potentiellement plus accueillantes. « C’est particulièrement dur à Marseille. Pourquoi on nous fait subir ça ? » se demande-t-il. Même après la lutte de l’été 2024, rien n’était véritablement acquis. Tout l’hiver, Binkadi s’est battu pour que la scolarisation des jeunes soit effective. Le collectif a fait le siège de la Direction des services départementaux de l’Éducation nationale pour obtenir une solution de scolarisation pour quarante-quatre d’entre eux, réclamant « l’ouverture de nouvelles classes pour les élèves qui ne parlent pas français et primo-arrivants, pour répondre à l’accroissement du nombre de mineurs isolés présents dans notre département, et à leur besoin de scolarisation ».
Puis de nouveaux jeunes sont arrivés qui ont également dû lutter. Cette troisième occupation du kiosque des Réformés fait suite à celle de février 2025. Cette dernière s’était soldée par une expulsion policière brutale où il a fallu évacuer en urgence dans le froid face à une vingtaine de flics. Cette fois-ci, l’occupation s’installe dans la durée mais dans l’indifférence quasi totale des pouvoirs publics. Au bout de quatorze jours, une association de relogement est intervenue pour offrir huit places d’hébergement. Les jeunes ont décliné, réclamant une solution collective. Une nouvelle proposition de l’administration. Le 18 août, une nouvelle proposition de 11 places et a été à nouveau refusée. Pourtant ils évoquent une situation très difficile : le site est trop petit pour les quarante personnes et leurs tentes. Les jeunes doivent dormir à tour de rôle et sont épuisés [2]. Des attaques par des personnes extérieures ont déjà eu lieu, sans être directement liées à l’extrême droite pour le moment. De nombreux bénévoles se relaient pour faire tampon et du lien tous les jours.
La mobilisation n’est pas toujours facile. Beaucoup de jeunes ont peur de la répression. Cependant, le succès de la manifestation du 22 mars 2025 qui a rassemblé plusieurs milliers de personnes a pu redonner de l’espoir à certaines et certains d’entre eux qui ont moins peur de manifester aujourd’hui. Ainsi, une tentative de mobilisation pour demander des solutions a eu lieu le 1er août avec un appel à de nombreuses organisations. Malheureusement la police est arrivée en nombre pour l’empêcher, mais sans procéder pour l’instant à l’expulsion du kiosque.
Racisme partout, justice nulle part
La réponse qui leur est donnée par la présidente du Conseil départemental Martine Vassal (Les Républicains) est significative de la gestion raciste de la question migratoire : « les mineurs-majeurs, je n’en veux plus. La loi est complètement dévoyée. Ils sont là pour utiliser le système. Il y en a assez. Il faut le dire [...] 80 % des faits de délinquance à Marseille sont commis par des étrangers. ». Face à ce mépris raciste les jeunes rétorquent que « c’est être à la rue qui est violent » et appellent à la solidarité et au devoir de la société de protéger toutes personnes en danger. Qu’elles soient mineures ou majeures importe peu.
De manière générale les pouvoirs publics se renvoient cette question comme une patate chaude entre la Mairie, la Préfecture, le Conseil départemental et l’Éducation nationale. À de nombreuses reprises, des rendez-vous annoncés sont annulés à la dernière minute sous des prétextes fallacieux. Si les difficultés sont grandes, on ne peut que soutenir la résolution et le courage du collectif Binkadi qui lutte tout en essayant de mettre en place l’autogestion.
UCL Marseille





