Mayotte : Quand la liberté et l’humanité font naufrage…




« Je fais la navette entre Anjouan [Île de l’archipel des Comores] et Mayotte depuis 2003. J’ai ma famille là-bas [Mayotte] et c’est là-bas que j’ai construit ma vie. A chaque fois je suis reconduit et à chaque fois j’y retourne. C’est dire que ce n’est pas ma dernière traversée ! ».

Ainsi s’exprimait Fayad Halidi, l’un des rescapés du naufrage d’une embarcation de migrants, le 16 janvier dernier sur les côtes nord de Mayotte [1]. Un drame qui a fait plus de douze morts et disparus dont un nourrisson. Douze jours plus tard, un nouveau naufrage de kwassa-kwassa [2] faisait cinq morts et des dizaines de disparus. Ces drames s’ajoutent à la trop longue liste de victimes dans ce bras de mer qui sépare le tout nouveau 101e département français des trois îles voisines de l’archipel des Comores.

Une occupation illégale

Ce nouveau Dom français n’est pas reconnu par la communauté internationale et est dénoncé par les Comores et la communauté internationale comme occupé illégalement par la France. En 1975, l’archipel des Comores, dans l’Océan Indien, au milieu du Canal du Mozambique, proclame son indépendance. Mais à la suite d’un scrutin en partie manipulé, Mayotte reste sous le joug de la France qui l’occupe depuis. Malgré les injonctions et condamnations régulières de l’Onu, de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) et de la Ligue arabe (dont les Comores sont membres), la France maintient sa présence, arguant du principe d’autodétermination des peuples à disposer d’eux-mêmes (affirmé notamment par la Charte des Nations unies de 1945).

La France se réfugie derrière des scrutins à répétition, dont le référendum du 29 mars 2009 sur la départementalisation, des consultations illégales selon l’Onu et ce depuis 1975, et pour le moins contestables lorsque l’on sait que la France a mis en place en 2001 une commission de révision de l’état civil (Crec). Trouver des électeurs et établir des listes électorales alors que l’on ne possède pas d’état civil, cela tient du miracle...

Les effets désastreux du visa Balladur

En 1995, la France décide d’accélérer le mouvement de développement de l’île et prend des mesures qu’elle juge « utiles » afin d’arriver à ces fins. C’est ainsi que le tandem Balladur-Pasqua instaure un visa pour réglementer la circulation entre Mayotte et les trois autres îles de l’archipel. Une fermeture des frontières qui intervient après des siècles de libre circulation, mouvement tellement ancien qu’il n’est pas une famille qui ne pas soit dispersée dans l’archipel. Ce mur de 1995 sépare des hommes et des femmes mais s’applique également aux marchandises, avec l’instauration de barrières douanières sur les échanges dits traditionnels entre les îles des Comores et de Madagascar. C’est cette situation qui, combinée à la politique du chiffre instaurée par Sarkozy au début des années 2000, favorise le développement du « problème migratoire » à Mayotte.

Le durcissement des contrôles frontaliers et l’augmentation exponentielle des reconduites à la frontière poussent les migrants à prendre la mer via des passeurs prêts à tous les risques pour gagner les côtes de Mayotte. C’est ainsi que Mayotte totalise un triste record avec pas moins de 21 762 reconduites à la frontière dont plus de 5 000 enfants mineurs en 2011 (soit plus de 12 % de la population totale de l’île) contre quelques 4 000 en 2004. Une situation désastreuse qui transforme ce bras de mer en l’un des plus vastes cimetières du monde avec la Méditerranée, dans une indifférence quasi-généralisée de la France métropolitaine, pas un gros titre de la presse nationale consacré à Mayotte.

L’argument du développement qui a accompagné cette politique de fermeture des frontières a volé en éclat au dernier semestre de 2011 lors des grèves « contre la vie chère ». Parmi les revendications des grévistes, était fustigée la quasi absence d’échanges « légaux » et anciennement traditionnels avec les Comores, mais aussi avec Madagascar. La population mahoraise est exténuée par une situation ubuesque : celle de la violence de la politique de lutte contre l’immigration clandestine portée comme condition au développement. On estime que la moitié des 200 000 habitants de ces 350 km2 est d’origine « étrangère ». Sur ces 100 000 personnes pas moins de 60 000 seraient sans papiers, soit près d’un tiers de la population de l’île !

Résistance contre les violations des droits

Nul doute que la politique de lutte contre l’immigration fait de ce territoire une terre de non-droit. Ainsi le 25 janvier dernier, le tribunal correctionnel de Mamoudzou condamnait deux policiers de la police aux frontières (Paf) à six mois de prison avec sursis adjoints de six mois de mise à pied et 500 euros d’amendes. Des chasseurs assermentés qui ont tabassé une femme sans papier retenue au Centre de rétention administrative de Dzaoudzi qui a dû être hospitalisée avec cinq jours d’interruption temporaire de travail. Une situation loin d’être une exception tant les affaires de maltraitance et de violence policière sont courantes sur ce territoire de la République bananière une et indivisible [3]... Des faits qui ont poussé la vice-procureure de la République Hélène Bigot à s’exprimer ainsi lors de l’audience du 25 janvier dernier : « Je n’ose imaginer que qui que ce soit dans cette salle puisse sous-entendre qu’un quelconque comportement puisse justifier la violence des coups portés. » [4]

Des accusations sont régulièrement portées par les rescapés de naufrages à l’encontre des autorités coloniales dans les secours jugés très tardifs. La Cimade de Mayotte [5] indiquait, après le naufrage du 16 janvier, que « le lendemain midi, après un très bref passage au centre de rétention, une partie [des rescapés] étaient expulsés. Les autres le seront le lendemain. » Une reconduite « express » qui souligne une fois encore les difficultés pour les migrantes et migrants de faire valoir leurs droits, car dans ce département, c’est toujours la législation d’exception, des réminiscences du code de l’indigénat français qui prédominent...

Dans cette terre de non droit, la résistance s’organise. Les différentes mobilisations et le bras de fer entamé par les Comores contre la France au mois d’avril 2011 ont permis de baisser sensiblement le nombre des reconduites en 2011. Mayotte « comptabilisait » ainsi en 2011 21 762 reconduites dont plus de 5 000 mineurs contre 26 405 expulsions dont 6 000 mineurs en 2010. Le mouvement social de 2011 a bloqué pour quelques semaines la machine à expulser, mais ce n’est qu’une bataille et la lutte contre ces politiques racistes et criminelles est encore loin d’être terminée.

Thibaut Lemière

[1Témoignage recueilli et publié par El Watan le 23 janvier 2012.

[2Barque traditionnelle de 6 à 9 mètres transportant des marchandises et reconvertie pour l’occasion en bateau de transport de migrants...

[3Pas moins d’une dizaine d’affaires visent directement les forces de l’ordre, dont quatre concernent des violences à l’encontre de migrants.

[4Propos recueillis le 26 janvier 2012 par Mayotte Hebdo.

 
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