Mesures sociales : pas de révolution sans attenter à la propriété privée

La majorité jacobine à la Commune ne voulant pas toucher à la propriété privée, elle répondit, au coup par coup à des « urgences sociales », mais sans vision socialiste globale.
Dans Paroles d’un révolté (1885), l’anarchiste Kropotkine n’incrimina pas que le « manque de temps » pour expliquer la modestie des réalisations sociales de la Commune. Pour lui, « les socialistes eux-mêmes ne se sentaient pas l’audace de se lancer à la démolition de la propriété individuelle [...]. On cherchait à consolider d’abord la Commune en renvoyant à plus tard la révolution sociale, alors que l’unique moyen de procéder était de consolider la Commune par la révolution sociale ! » Quelles furent les mesures prises ?
Logement. Le 29 mars, la Commune secourut les locataires en détresse en décrétant la remise des loyers d’octobre 1870, janvier et avril 1871 : les sommes dues étaient annulées, les sommes déjà payées seraient imputables sur les trimestres à venir. Tous les baux devenaient librement résiliables par les locataires pour une durée de six mois. Enfin, toutes les expulsions furent différées de trois mois.
Microcrédit. À l’époque, les familles nécessiteuses pouvaient mettre des objets (montre, bijoux, vêtements, linge, matelas...) en gage au Mont-de-Piété, en échange de quoi on leur accordait un petit emprunt. Elles ne récupéraient l’objet qu’en remboursant la somme, augmentée d’un intérêt de 12% environ. Si elles ne pouvaient rembourser, l’objet était vendu aux enchères. Antichambre de la misère, le Mont-de-Piété était une société privée, avec des actionnaires – plus de 784 000 francs de bénéfices en 1869. Très timide, la Commune suspendit, le 30 mars, les ventes aux enchères ; le 6 mai, elle se contenta d’autoriser la récupération des objets d’une valeur inférieure à 20 francs.
Pensions. Le 11 avril, la Commune alloua 600 francs aux femmes de gardes nationaux tués, ainsi qu’une pension annuelle de 365 francs à chacun de ses enfants, reconnus ou non, jusqu’à l’âge de 18 ans. Dans la classe ouvrière, près du tiers des unions étaient libres, et de nombreux enfants conçus hors mariage.
Coopératives. Le 16 avril, la Commune invita les chambres syndicales à dresser une statistique des ateliers abandonnés par leurs patrons et à faire l’inventaire des stocks et des instruments de travail. Puis ces ateliers pourraient être relancés sous le contrôle d’associations coopératives de travailleurs. Expropriation capitaliste ? Pas vraiment, et cela montre la timidité de la Commune sur la question de la propriété : un « jury arbitral » devait statuer sur la cession desdits ateliers aux associations ouvrières... et sur le dédommagement à verser aux patrons.
Travail de nuit. Le 20 avril fut acceptée la revendication des ouvriers boulangers de la suppression du travail de nuit pour leur permettre de « rentrer dans la vie commune ».
Amendes. Le 27 avril, la Commune décréta que désormais aucune administration privée ou publique ne pourrait imposer des amendes ou des retenues sur salaire.
Dominique (UCL Angers)
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Illustration : « Citoyenne quêteuse pour les blessés de la Commune », tirée de Bertall, Les Communeux. Types, caractères, costumes, Plon, 1880.