antiracisme

Migrants et migrantes : Construire un front contre le racisme de classe




Les discours parfois favorables aux réfugié-e-s de certains politiciens et médias ne sont en fait qu’une manière de stigmatiser les migrants dits économiques. Face à cela, c’est plus que jamais la liberté de circulation et d’installation pour toutes et tous que nous devons populariser, tout en organisant la solidarité.

Difficile de s’y retrouver. C’est ce qu’on peut se dire quand on voit les images contradictoires que les médias, mais aussi les politiciens et autres tenants du discours dominant tiennent ces derniers mois sur les réfugié-e-s et plus largement sur les migrants en Europe et plus spécialement en France.

Jusqu’à cet été, les migrants étaient globalement mal inspirés de choisir l’Union européenne et en particulier la France comme destination. Du PS au FN comme dans leurs relais médiatiques, c’est toujours le même son de cloche qui résonne depuis des décennies : La France ne peut accueillir toute la misère du monde. Toutes celles et ceux qui ont leur place dans la maison France doivent fermer la porte et tout ira pour le mieux dans le meilleur des mondes. Et des fois qu’on n’aurait pas compris ou qu’on s’inquiéterait d’un tel manque d’humanité, que l’on sache que si l’État agit ainsi, c’est pour le bien des heureux élu-e-s qui seront mieux intégré-e-s dans notre beau pays, car la France sait se montrer généreuse... pourvu qu’aucune tête ne dépasse.

Mythe de l’invasion

Et tant pis si ce discours où domine le mythe de l’invasion profite principalement au FN qui peut se dispenser de faire campagne tant les médias et le reste de la classe politique dont il fait également partie ne cessent de l’alimenter en carburant.

Tant pis également si le renforcement du contrôle social et de la répression contre les migrants et migrantes fait les délices du patronat qui peut exploiter plus facilement une main-d’œuvre bon marché se taisant d’autant plus massivement qu’elle ne dispose pas de titres de séjour, craint qu’ils ne soient pas automatiquement renouvelés, voire pense que la reconnaissance peut venir de la soumission.

Pourtant, ce discours n’a cessé de se lézarder pendant tout l’été. En effet, tant que les migrants noyés en Méditerranée n’étaient que quelques dizaines, ça ne dérangeait pas grand monde car ça ne se voyait pas trop. Mais les chiffres sont montés pour atteindre quelques centaines certaines fins de semaine, au point que leur cri et l’indignation de celles et ceux qui leur prêtent attention ne puissent plus du tout être étouffés.

Les vieilles histoires ne faisant plus dormir la masse des opinions occidentales, et la solidarité des peuples s’exprimant aux portes de l’Union européenne comme derrière les murailles de sa forteresse, il a donc fallu en trouver d’autres qui permettent de trouver plus facilement le sommeil sans torturer sa conscience. Les indésirables d’hier sont donc devenus pendant l’été de malheureux réfugiés menacés de morts qu’il faut accueillir et ne surtout pas confondre avec les migrants économiques qui choisiraient une situation de confort en venant en Europe et devraient pouvoir se passer de ce luxe insolent pour ne pas dire ostentatoire.

Habits humanistes

Mais même lorsque la classe dominante revêt de nouveaux habits humanistes, elle ne renonce pas à des représentations au cœur de son discours raciste et de classe. Ainsi les images et leur montage réducteur nous montrant des milliers de migrants et migrantes fuyant la guerre, la dictature et le fascisme incarné par Daech en Afrique comme au Proche et au Moyen-Orient charrient des sentiments aussi contradictoires et confus que la pitié et la peur irrationnelle de l’invasion. Faute d’un front uni suffisamment large rassemblant partout sur des bases antiracistes et de classe syndicats de lutte, mouvement sociaux, forces anticapitalistes, et mettant en débat plateforme revendicative et alternative au capitalisme, l’extrême droite tire profit de la confusion actuelle et continue de progresser.

Ces fluctuations et adaptations du discours dominant sont également révélatrices de la crise du capitalisme, mettant de plus en plus à nu politique d’austérité, politique migratoire, mais aussi un système de domination conjuguant système d’accumulation de marchandises, profit et dépossession politique permanente du pouvoir.

Inanité de la politique de l’UE

Ce qui est montré de façon spectaculaire, à savoir le passage des frontières, suggère à quel point celles-ci sont artificielles, car, à moins de vouloir construire un paradis comme la Corée du Nord, dont personne ne veut en Europe comme ailleurs, il est illusoire de penser qu’il est possible de fermer les frontières.

Si la solidarité qui s’exprime fortement dans tous les pays d’Europe est positive, contrebalance en partie les discours racistes et contribue à mettre à nu l’inanité de la politique de l’UE vis-à-vis des migrants, il est nécessaire qu’elle se double d’une véritable offensive antiraciste et de classe.

Discours trompeur

Il faut d’abord s’attaquer aux accords européens de Dublin II qui sont le pendant des accords de Schengen sur la liberté de circulation des ressortissants de l’Union et le durcissement des contrôles au frontières de l’UE. Les accords de Dublin II stipulent qu’un réfugié doit déposer sa demande d’asile dans le pays par lequel il est entré en Europe. Or cette disposition est aussi absurde qu’inapplicable dans le contexte actuel. L’appliquer conduit nécessairement à expulser les demandeurs d’asile principalement en Italie et en Grèce qui ne peuvent accueillir à eux seuls la totalité de ceux et celles qui transitent par leur territoire. Pour des raisons qui tiennent à la gestion de son marché du travail et à la nécessité d’attirer une main-d’œuvre à bas coût, le gouvernement allemand commence à remettre en cause ce pilier de la politique migratoire européenne.

En ce qui nous concerne, c’est parce qu’il s’agit d’une entrave majeure à la liberté de circulation et d’installation que nous devons la remettre en cause. C’est une revendication que les réfugié-e-s commencent à s’approprier. Notre rôle est de la populariser et de la mettre en avant comme un des axes de la lutte en cours.

Nous devons par ailleurs dénoncer le discours trompeur du gouvernement qui dit qu’il est prêt à accueillir seulement 24 000 réfugié-e-s en deux ans, et qu’il ne peut en faire autant que l’Allemagne en l’absence de croissance économique, là où des États bien plus pauvres comme le Liban et la Jordanie en accueillent chacun entre 1,2 et 1,5 million.

Ouvrir les frontières

Il faut donc ouvrir les frontières bien plus largement tout en refusant la distinction fallacieuses entre réfugié-e-s et migrants économiques qui n’empêche nullement ces derniers de fuir la misère et les inégalités de développement sur lesquelles le capitalisme français pèse pour sa part de tout son poids.

Il est également urgent de dénoncer mais aussi d’organiser la solidarité face à la répression que le gouvernement exerce contre les campements de réfugié-e-s, de même que contre les campements de Roms, précisément pour contrecarrer la solidarité venue de la population et empêcher l’auto-organisation de ces migrants.

Les quelques paroles faussement rassurantes sur leur hébergement par les mairies et les services de l’État ne doivent pas faire oublier que 75 % des demandes d’asile sont rejetées et traitées comme émanant de menteurs profitant de la prétendue hospitalité de la France. De même, le gouvernement Valls prépare depuis des mois un projet de loi aggravant la situation des demandeurs d’asile contre lequel il faudra mobiliser.

La solidarité est l’affaire de toutes et tous, mais au-delà des actes individuels, elle doit être également le fait des organisations. Celles de Douai (Nord), qui ont impulsé un collectif de soutien à l’initiative de la CGT et auquel AL participe, est exemplaire puisqu’il a permis de collecter vivres, couvertures et médicaments entre autres et de mobiliser des centaines d’habitants et habitantes dans un département gangréné par le FN (voir article ci-dessous). Il a ainsi favorisé l’expression d’autres revendications comme le logement et la satisfaction des demandes d’asile. D’autres initiatives mobilisent ailleurs en France, mais il importe qu’elles émanent partout d’organisations du mouvement social et des forces anticapitalistes comme cela est le cas à Paris et à Nîmes. Appuyer les efforts d’auto-organisation, ainsi que les revendications de droit au logement et de statut de demandeur d’asile est également essentiel. De même on ne peut qu’approuver le fait que des organisations comme Droit au logement et Droits devant !! comptent parmi les plus actives dans la convergence des luttes entre réfugié-e-s, sans-papiers et plus largement salarié-e-s.

Alternative politique et sociale

Ces initiatives, si elles convergent plus activement avec celles du mouvement syndical et social, peuvent contribuer à faire comprendre que les politiques contre l’ensemble des travailleurs et celle qui frappe les migrants sont bien les deux faces d’une même politique stigmatisant aussi bien réfugié-e-s, travailleurs sans papiers traité-e-s comme des parasites, Roms stigmatisé-e-s comme voleurs, musulmans comme obscurantistes, chômeurs comme fainéants et autres précaires comme assistés. C’est donc bien ce racisme de classe qu’il faut combattre et nommer comme tel pour rassembler, revendiquer et construire une alternative politique et sociale à l’ordre raciste et capitaliste ici comme ailleurs.

Laurent Esquerre (AL Paris-Nord-Est)

 
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