antirépression

Militarisation de la police : « L’Arme à l’œil »




Pierre Douillard-Lefevre, sociologue et historien, a perdu un œil suite à un tir de lanceur de « balles de défense ». Dans un petit livre paru aux éditions du Bord de l’eau, L’Arme à l’œil, il retrace l’histoire de la création de l’arsenal policier français, en détaille la composition, et met en évidence la militarisation croissante de la police.

En 1995, le directeur général de la police nationale, Claude Guéant, décide d’équiper ses hommes d’une nouvelle arme : le fusil Flash-Ball. Le tournant est symbolique : la troupe tire à nouveau sur la foule. Dès 2002, Sarkozy, ministre de l’Intérieur, s’engagera dans ce virage avec enthousiasme et les armes non létales se multiplieront. Elles permettent de viser un manifestant déterminé, et d’appliquer une stratégie fort efficace : en blesser un pour en dissuader mille.

Testées dans un village fantôme en Dordogne, puis dans les périphéries (les pauvres et les non blancs constituent l’écrasante majorité des blessé.es graves victimes de la police) ou lors d’événements sportifs, ces armes sont conçues pour un champ d’action : la révolte. Le déploiement d’hommes et de matériel contre les mouvements sociaux est de plus en plus imposant, alors même que les pratiques de contestation se pacifient. La rupture entre gouvernants et gouverné-e-s se radicalise, et nos dirigeants y répondent par une intensification de la violence sécuritaire.

Parallèlement, la logique capitaliste vient se greffer sur la question du maintien de l’ordre : la France, on le sait, est un des principaux pays vendeurs d’armes, létales et non létales… L’utilisation sur le terrain est un bel argument de vente, et la possibilité d’obtenir de nouvelles commandes, une bonne raison de massifier encore des équipements déjà colossaux.

Mais le combat est également sémantique... Clin d’œil à Klemperer, P. D-L nous offre une savoureuse analyse du terme de « lanceur de balles de défense », un chef-d’œuvre de litote ! Plus largement, tout terme qualifiant l’arsenal policier nie la violence déployée, tandis qu’à l’inverse, les manifestants et manifestantes sont diabolisé.es (« casseurs »…), voire réifié.es par les discours des agents en service et de leurs supérieurs. Bien plus, la complaisance servile de politiciens qui parient sur une alliance avec les syndicats de la police pour parvenir (ou rester) au pouvoir, les pousse à ajuster leurs interventions sur ce paradigme. Et la droitisation galopante des médias de ces dernières années aide la doxa sécuritaire à fleurir, et les blessé-e-s graves à disparaître des discours.

S’ouvrant sur la mort de Rémi Fraisse, et sur un examen de l’appareil d’État immédiatement mis en branle pour en étouffer les conséquences politiques, ce texte écrit avant les attentats du 13-Novembre, et avant les mouvements contre la loi travail, dresse un état des lieux glaçant de la situation aujourd’hui. Et s’achève sur l’idée que la question n’est plus de savoir si de nouveaux seuils seront franchis dans les violences policières, mais de trouver comment nous organiser pour y résister.

Mélanie (amie d’AL)

  • Pierre Douillard-Lefevre, L’Arme à l’œil. Violences d’État et militarisation de la police, 2016, 86 pages, 8 euros.

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- image : cc Sylvain Szewczyk

 
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