Mouvement social : 2010, un rebond pour la lutte des classes





Pour indécises qu’en soient les suites après le vote parlementaire, le
mouvement contre la casse des retraites démontre un renouveau du
syndicalisme de lutte. Durement réprimée par le gouvernement, mollement soutenue par les directions syndicales, la plus grosse mobilisation populaire depuis 1995 pose les jalons d’une exigence nouvelle d’émancipation pour le mouvement social.

Malgré une promulgation prévue le 15 novembre, les équipes syndicales les plus investies dans la lutte veulent continuer. Contre la loi, qui impose la réforme la plus dure d’Europe du point de vue des salarié-e-s, tandis qu’elle hausse hypocritement la taxation des revenus du capital de 2 % à... 2,2 %. Mais aussi contre ce gouvernement autoritaire, qui use de procédures de blocage à l’Assemblée comme au Sénat pour organiser une casse ouverte des droits sociaux (bientôt la Sécu), et qui par ses pratiques a trop prouvé son illégitimité.

Comment la base syndicale a débordé

Sans cette surdité du gouvernement, le mouvement serait-il sorti du cadre bien huilé voulu par les directions de la CGT et de la CFDT ? La CFDT avait annoncé à son congrès qu’elle accepterait le report des âges légaux de départ si la pénibilité était prise en compte.

Si le gouvernement l’avait concédé après les journées d’action de septembre, elle aurait crié victoire et la CGT se serait offusquée sans agir, accusant la division syndicale. Faussement gagnantes, elles auraient confirmé leur position (respectivement réformiste et pseudo combative) à l’horizon des élections professionnelles. Sentant venir le traquenard, maintes équipes syndicales CGT, FSU et même CFDT, ainsi que Solidaires et FO dans leur ensemble, ont tâché d’ancrer la mobilisation en se positionnant pour le retrait pur et simple du projet de loi. Deux appels de syndicalistes pour la grève générale ont rapproché les équipes syndicales combatives de diverses obédiences [1].

Mais au final, la posture « intransigeante » du gouvernement a mis Thibaut et Chérèque dos au mur. La CGT a préféré accompagner sa base plutôt que de justifier une capitulation sans combat, impulsant des reconductions après la journée d’action du 12 octobre (transports, chimie, impôts, collectivités territoriales...), contrairement aux journées précédentes où seules Solidaires et quelques fédérations CGT y appelaient. Au même moment, les lycéen-ne-s puis les étudiant-e-s entraient dans la lutte.

Le durcissement s’est ensuite effectué sur deux axes : d’abord dans bien des boîtes du privé comme du public, par des reconductions soit totales, propres à créer un noyau dur de grévistes (SNCF, raffineries, collectivités locales), soit sous forme de débrayages (métallurgie, chimie). L’extension des grèves a permis la multiplication des actions : cortèges, rassemblements devant les locaux préfectoraux ou du Medef, blocage de routes, de gares, d’aéroports. Avec une cristallisation autour de la question du pétrole et de l’entrave aux activités économiques, le mouvement a frappé juste. Il a ainsi bénéficié d’une visibilité et d’un bon rapport de force avec le Medef et le gouvernement.

Répression record

À l’ampleur de la contestation sociale ont répondu, outre le durcissement des discours politiques, une répression policière pour le moins décomplexée : interpellations en série, manifestations attaquées aux lacrymos et à la matraque, lycéens blessés après des provocations policières. Le droit de grève a été directement bafoué dans les raffineries et les centres de transfert de déchets, où des grévistes ont été réquisitionnés par les préfectures, jusqu’à l’illégalité comme à Grandpuits.

Côté médias, les « nouveaux chiens de garde » ont tu les nombreuses actions en cours et insisté sur les déblocages de dépôts, les « casseurs » de Lyon et Nanterre et le processus parlementaire présenté comme « inexorable ». Rien de nouveau dans cette alliance entre gouvernement, patronat et médias pour briser la grève lors d’un conflit national d’ampleur, sauf que la responsabilité des organisations syndicales aurait dû se situer dans le soutien de la lutte.

Or l’intersyndicale du 21 octobre est un renoncement : deux journées d’action éloignées, et surtout aucun soutien aux grèves en cours. Plus scandaleux encore, l’appel au « respect des biens et des personnes » renie les équipes à l’initiative des plus gros blocages, donne raison à la répression. Solidaires et FO n’ont pas signé l’appel.
Dans une note interne [2], la CFDT s’en est au contraire félicitée, appelant les actions à se situer, quand même, « dans la perspective de la promulgation de la loi ».

Le 26 octobre elle négociera avec le Medef sur l’emploi des jeunes et des seniors à la suite de la réforme, tandis que la CGT accuse le coup d’une contradiction entre sa ligne et sa base, qui tend à la paralyser. Preuve que le mouvement social actuel va déterminer la configuration syndicale et politique des années à venir.

Se concentrer sur les acquis de la lutte

À l’heure où ces lignes sont écrites, la situation est encore ouverte. « Lâché » d’en haut, le mouvement n’a d’avenir que via son auto-organisation, pour préparer un indispensable rebond après les vacances scolaires. Evidemment c’est loin d’être gagné. Mais l’autonomie du mouvement vis-à-vis de l’intersyndicale s’est déjà largement exprimée : dans bien des départements, ce sont des équipes combatives de la CGT qui organisent des actions et poussent leurs unions départementales à s’y engager.

À Rouen et au Havre, la lutte est coordonnée par des assemblées générales interprofessionnelles portées par les organisations syndicales, qui s’adressent largement aux salarié-e-s à travers des bulletins intersyndicaux (voir article p. 4). Les assemblées générales étudiantes ont tenu leur première coordination nationale le 23 octobre au Mans. Toutes ces initiatives vont dans le bon sens, car l’urgence aujourd’hui est à la coordination de ces regroupements interprofessionnels, à l’échelle régionale voire nationale, comme y appellent les récentes AG interpros de Rennes [3] ou Saint-Denis.

Ceci étant, dans la plupart des villes, des assemblées générales mobilisent 50 à 150 personnes, agissent et tentent d’élargir leur audience, mais ces AG ne sont pas encore un lieu d’élaboration large de la grève et de la lutte collective. Radicalité et rupture avec les bureaucraties syndicales ne sauraient donc suffire, il faut y adjoindre une représentativité forte vis-à-vis des travailleurs et plus largement de la population mobilisée, seule manière de poser les jalons d’un renouveau du syndicalisme de lutte et de masse, et des courants révolutionnaires en France.

Grégoire (AL Paris Sud), Mouchette (AL93)

[2Voir par exemple : http://cfdt-mpm.blogspot.com

 
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