Mouvement social et partis politiques : Séparons-nous !




Autour du congrès de la LCR, des débats des Verts, d’« alternatifs » divers, et d’articles plus ou moins inspirés, la question de candidatures unitaires pour 2007 est posée. Cette approche politique tente de faire croire à la mise en place d’une nouvelle alliance possible mêlant organisations politiques, associations et syndicats.

À chaque fois qu’il se passe quelque chose dans le mouvement social, il y a toujours les mêmes prétentions à transcrire ce qui vient d’émerger dans la représentation politique institutionnelle.

On connaît le succès des formules « débouché politique » ou « articulation entre la rue et les urnes ».

Cette position est portée de longue date par des militant(e)s. Certains courants de la LCR, des Verts, du PC, des Alternatifs portent cette conception d’une force politique qui serait l’expression du mouvement social. La victoire du Non au référendum sur le traité constitutionnel européen a redonné un coup de fouet à cette orientation. L’idée de construire une force politique à la gauche du PS est ainsi devenue, pour une partie des militant(e)s des collectifs du Non, un objectif possible.

Pour que cela marche, il fallait que le PC, la LCR, les Verts acceptent de mettre leur champion entre parenthèses au profit d’une candidature unitaire de type José Bové. Comme les réticences au sein de ces partis sont très fortes, il y a eu la tentative de contournement de la difficulté par l’annonce (prématurée diront certains) dans les médias d’une éventuelle candidature Bové. Cette annonce devant obliger ces appareils à se rallier. Pour donner encore plus de poids et rendre crédible cette idée, on a laissé croire que les associations et les syndicats SUD étaient porteurs de cette orientation. On sait les difficultés au sein des partis concernés sur cette perspective.

Mais l’affichage dans les médias de certains choix individuels de dirigeants syndicaux de Solidaires et de certains SUD a créé des remous internes.

Il y a des spécialistes des confidences aux rubricards des journaux qui ont laissé entendre que le choix d’une telle ou d’un tel pouvait être rendu public, même à leur insu, pour faire croire qu’au-delà du choix personnel, il y a tout le capital symbolique des organisations qui serait engagé. En cette année de centenaire de la Charte d’Amiens, il y a une véritable opportunité à revisiter les questions essentielles qui y étaient posées sur le rapport à la politique et au politique. Ce n’est pas seulement la question de l’indépendance syndicale, mais aussi celle de la transformation sociale et de la volonté syndicale de transformer la société qui sont en jeu.

Par ailleurs, il ne faut pas oublier de faire le bilan des expériences qui ont pu être menées, et notamment de l’expérience brésilienne montée en épingle il y a quelques années et dont ceux qui en faisaient le modèle parlent peu maintenant. Pourtant, cette idée d’un mouvement social qui est à l’origine d’un parti politique, présentée comme une innovation majeure qu’il faudrait suivre, est bien la base de l’orientation des partisans des listes unitaires en 2007.

Confusion entretenue

Et, depuis la campagne référendaire sur le traité constitutionnel européen, il y a, indépendamment de la perspective d’une mise en place de ce courant politique à gauche du PS, une volonté de changer la donne. Cela se concrétise par l’entretien de la confusion des rôles des partis et des organisations syndicales, associatives, où les responsabilités des uns et des autres dans la construction des rapports de force et l’organisation des luttes sont mêlées. Il y a encore quelques mois, les tracts et les initiatives publiques qui regroupaient des organisations syndicales et politiques se présentaient sous la forme de deux listes. Quand il s’agissait de luttes, d’abord les syndicats et les associations de lutte, et en second apparaissait une liste commençant en général par « soutenues par », suivaient alors les partis et groupes politiques.

La confusion n’est pas seulement entretenue sur le terrain des luttes, mais aussi sur le terrain de l’élaboration des contenus de l’alternative au libéralisme. Des forums sont organisés laissant croire à une élaboration commune de positions politiques et immédiates. On a connu la théorie de la courroie de transmission où le parti devait diriger les syndicats, maintenant on nous sert l’idée d’une co-élaboration des contenus politiques entre les partis (évidemment ceux qui s’opposent aux orientations du PS) et les associations et syndicats de lutte.

Le problème est que cette co-élaboration est le fait d’un petit groupe de dirigeants habitués à se côtoyer dans diverses manifestations et qui se sont auto-investis de cette mission. On pourrait dire que plus il y a besoin de débats politiques dans les syndicats, moins il y en a, et plus l’élaboration extérieure est sollicitée (comité scientifique de ceci, fondation de cela, etc.). Ainsi on unifie la pensée et les orientations politiques par une élaboration extérieure où le flou est entretenu. Comme il y a des syndicalistes à l’intérieur, ce ne serait pas complètement extérieur au mouvement syndical. Le problème est que ces syndicalistes n’ont pas de mandats, sur bon nombre de sujets, pour cela, et qu’ils privilégient ce lieu d’élaboration.

C’est une nouvelle forme de la dépossession, plus soft que l’ancienne formule, mais qui contribue à la dépolitisation syndicale. Les syndicalistes sont ramenés à consommer cette orientation sans pouvoir eux/elles-mêmes, à partir de leur réalité de classe, élaborer collectivement. Que l’on ne vienne pas nous dire qu’élaborer démocratiquement les positions politiques dans un syndicat serait une attitude sectaire. D’une part, parce que dans le syndicat, il y a, au-delà de la composition sociologique, des positions diverses et, d’autre part, cela n’empêche nullement ensuite, voire en même temps, de se confronter aux autres. Mais il y a une étape décisive qui est la maîtrise collective de l’élaboration des positions et des orientations. C’est cela qui fait la différence fondamentale entre une élaboration démocratique et la soumission à un centre externe (fût-il intelligent et brillant).

Certains diront qu’il y a « paranoïa », « vision d’un complot imaginaire ». Nous répondons par avance que l’empirisme actuel est conditionné par cette volonté politique d’entretenir la confusion entre les rôles et les fonctions des organisations pour promouvoir, sous prétexte d’une campagne référendaire (qui est nécessairement très rare et qui ne porte pas sur des élections délégatives), une nouvelle approche du rapport partis-syndicats, et associations. Ce débat doit être porté sur la place publique, à l’intérieur des organisations syndicales. Il ne s’agit pas de nous expliquer que les choses se feraient naturellement, comme l’exercice d’une expérience nouvelle, sans plus. Cette expérience est maintenant conditionnée par une fin, celle d’une nouvelle articulation entre les organisations politiques et syndicales. C’est cela dont il faut discuter, pour ne pas subir au nom d’un œcuménisme béat, un ajournement théorique et pratique majeur.

Si un certain nombre de militant(e)s aujourd’hui membres de partis politiques, syndicats, associations, veut construire un nouveau courant politique antilibéral, qu’ils/elles le fassent. Mais cette perspective ne peut être l’œuvre des organisations syndicales et associatives.

La séparation, toujours d’actualité

Le système de la représentation politique de plus en plus privatisé est à bout de souffle.

Les ouvrier(e)s l’ont compris très tôt. C’est pourquoi, dès 1864, la question de la représentation ouvrière a pris un tour particulier. Le Manifeste des Soixante [1] a ainsi posé la question d’une représentation spécifique des ouvrier(e)s. Le Manifeste des Soixante considérait que « nous ne sommes pas représentés ». C’est ainsi que la volonté de donner une autonomie à la classe ouvrière s’est articulée avec la construction de l’identité collective ouvrière.

Le syndicalisme ouvrier s’est construit sur l’idée de séparation sociale. « Séparez-vous », dira Proudhon. Cette séparation est toujours d’actualité, et l’élaboration spécifique des orientations des exploité(e)s par les exploité(e)s eux/elles-mêmes est toujours nécessaire. Quelles que soient les positions des partis, organisations et groupes, leur composition n’est pas identique à celle des organisations syndicales, composées exclusivement d’exploité(e)s. L’élaboration à partir de la réalité de classe n’est pas la même que celle résultant d’individus appartenant à des classes sociales différentes et ne vivant pas nécessairement les mêmes exploitations et dominations. Ce n’est ni de l’infrapolitique, ni du neutralisme, c’est se battre pour des projets politiques élaborés par la base des exploité(e)s.

A ceux qui leur proposent de se réunifier dans un groupe politique, les syndicalistes révolutionnaires et anarcho-syndicalistes ont intérêt à répondre qu’il faut plus d’organisation collective des exploité(e)s, plus de luttes, plus d’unité de classe, plus de débats internes dans les organisations syndicales pour la transformation sociale et qu’il faut maintenir, coûte que coûte, la séparation, gage de l’indépendance de classe.

Thierry Renard (AL Transcom)

[117 février 1864 : Le Manifeste des Soixante (60 ouvriers de la Seine) proclame notamment que les ouvriers constituent « une classe spéciale de citoyens ayant besoin d’une représentation directe ». Les républicains furent furieux que ce manifeste n’aborde pas du tout la question du régime politique. Pour beaucoup d’auteurs, ce manifeste constitue « la première charte de classe d’un mouvement ouvrier français en voie de devenir adulte ».

 
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