Odile Maurin (Handi-social) : « Le choix de mourir sera-t-il réellement libre ? »

Odile Maurin est militante antivalidiste au sein de l’association Handi-social qu’elle préside. Elle a participé activement au mouvement des Gilets jaunes. Elle revient pour nous sur son opposition au projet de loi sur le droit à l’« aide à mourir », qu’elle considère dangereux pour les personnes handicapées.
Légiférer sur la fin de vie n’est pas nouveau en France, peux-tu nous faire un bref historique ?
Le cadre légal débute en 1999 avec le droit au soulagement de la douleur et aux soins palliatifs. En 2002, la loi Kouchner institue le droit à désigner une personne de confiance [1]. En 2005, la loi Leonetti est la première loi spécifique sur la fin de vie, elle interdit l’obstination déraisonnable et rend possible la rédaction de directives anticipées, qui permettent d’exprimer ses volontés en matière de décision relative à la fin de vie pour le cas où la personne ne pourrait plus le faire elle-même. En 2016, la loi Claeys-Leonetti crée de nouveaux droits pour les malades et les personnes en fin de vie : elle revalorise les conditions anticipées, renforce le rôle de la personne de confiance et permet au patient de demander l’accès à une sédation profonde et continue jusqu’au décès.
Et sur le projet de loi actuel, quel est l’historique ?
La demande du droit à mourir en France n’est pas nouvelle, dès la fin des années 1970, Michel Lee Landa avait publié une tribune dans Le Monde pour réclamer ce droit.
La Convention citoyenne sur la fin de vie de 2023 relance le débat, qui prend de l’ampleur. Les critères de tirage au sort de cette convention auraient pu favoriser la participation des premiers et premières concernées – les personnes malades et handicapées. Mais elles n’ont jamais vraiment été interrogées, comme si leur vécu n’était pas pertinent. En 2024, un projet de loi relatif à l’accompagnement des malades et à la fin de vie devait être discuté à l’Assemblée, mais la dissolution a perturbé le calendrier parlementaire. En janvier 2025, le nouveau Premier ministre a annoncé un projet de loi scindé en deux avec d’un côté les soins palliatifs et de l’autre la fin de vie. Il a été adopté en mai par l’Assemblée, et sera débattu au Sénat en octobre.
As-tu toujours été contre l’euthanasie ?
Non. J’ai moi-même été concernée par la fin de vie de ma mère dont j’étais aidante. Elle est morte dans les années 1980 après un Parkinson foudroyant. Elle m’avait suppliée de l’aider à mourir, mais je n’ai pas eu le courage. Par réaction, j’ai milité puis adhéré à l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) en 2015 qui a instrumentalisé ma culpabilité vis-à-vis de ma mère.
J’ai complètement changé d’avis avec, d’abord, le tri des patientes et patients pendant le covid. On sélectionnait qui soigner ou non en fonction du degré de dépendance à une tierce personne [2]. J’ai vu qu’on avait décidé de sacrifier les personnes âgées et handicapées, c’était délirant. Puis il y a eu la mort d’Alain Cocq, que je connaissais depuis dix ans. Ce militant a été conduit par l’ADMD pour se suicider en Suisse et cette association a beaucoup instrumentalisé sa souffrance physique et psychique sans prendre en compte ses fragilités psychologiques. Il avait pourtant déjà reculé plusieurs fois sur sa fin de vie. Plutôt que de l’aider à vivre, l’ADMD l’a poussé à mourir.
La loi sur l’euthanasie est présentée comme une réponse à une demande, qu’en penses-tu ?
Il n’y a rien qui étaye cette supposée demande. L’ADMD fonctionne à coups de témoignages émotionnels et il n’y a pas d’études sérieuses à ce sujet. Le droit aux soins palliatifs existe depuis 1999, mais il n’est toujours pas appliqué : 21 départements n’ont pas d’unité de soins palliatifs [3] et en 2012, sur toutes les personnes qui auraient pu en bénéficier, seules 20 % en ont eu accès [4].
Il manque des services, des moyens, et surtout du personnel formé sur le traitement de la douleur et sur la sédation profonde et continue. Avant de proclamer une nouvelle « liberté », il faudrait d’abord garantir le droit aux soins palliatifs déjà existant. La loi sur les soins palliatifs votée à l’Assemblée au mois de mai reste insuffisante : le budget, qui est un plan décénal, ne correspond même pas aux besoins immédiats [5].
Pourquoi les collectifs antivalidistes affirment-ils que ce n’est pas une avancée sociale ?
Ce qui nous inquiète, c’est ce qu’il s’est passé dans tous les autres pays ayant légalisé l’euthanasie : il y a eu systématiquement un élargissement progressif des critères d’éligibilité. Les promoteurs de cette loi assument clairement vouloir appliquer la stratégie du pied dans la porte [6] : il faut obtenir le principe du droit de donner la mort pour les médecins et le reste se fera tranquillement.
La société a une représentation de nous qui affecte directement nos conditions de vie. Par exemple, Kamil, un camarade myopathe d’Handi-social, s’est vu proposer une sédation profonde et continue jusqu’au décès à la suite de difficultés du médecin pour régler son respirateur. Il a résisté et est toujours en vie.
Nos conditions de vie sont si précaires qu’on peut se demander si le choix de mourir sera réellement libre. Ça va être beaucoup plus facile de mourir que d’avoir accès à une vie digne. On nous impose la pauvreté et la maltraitance médicale. Je peine, par exemple, à trouver des auxiliaires de vie, car c’est mal payé et ils et elles cherchent souvent « mieux » ailleurs. Les listes d’attente des centres antidouleur sont interminables. Ce ne sont pas nos maladies, pathologies ou déficiences qui nous découragent de vouloir vivre, mais les conditions de vie qui nous sont faites et le manque d’adaptation de l’organisation sociale à nos besoins.
On parle ces derniers temps de restrictions sur les affections longues durées (ALD) ou du déremboursement de médicaments pour les malades chroniques. Est-ce que tu y vois un lien avec cette loi sur la fin de vie ?
Le lien, c’est le validisme. Le gouvernement s’attaque aux dispositifs qui permettent à des personnes malades et handicapées de vivre. On veut restreindre les ALD en retirant le remboursement de certains des médicaments. Or, beaucoup de traitements sont déjà non remboursés, et ce sont des dépenses lourdes pour les personnes concernées.
Pareil pour l’allocation adulte handicapées (AAH) et la prestation de compensation du handicap (PCH) : depuis des années, les conditions d’obtention de ces aides se durcissent et les départements font tout pour limiter les aides.
On nous éduque dans l’idée que nous sommes un poids pour nos proches et le manque de compensation de nos handicaps les épuise. Tout ça crée une pression sociale à mourir. On te donne alors la possibilité de « partir dignement » sans avoir jamais eu la possibilité de vivre dignement. C’est une violence inouïe.
Propos recueillis par Antoine (UCL Alsace)





