International

Les communistes libertaires et l’autodétermination des peuples




Face au colonialisme, à l’impérialisme et à la domination, l’UCL soutient l’autodétermination des peuples, c’est-à-dire leur droit à faire société de façon autonome. Ce soutien se veut lucide et critique, et se double d’un refus d’appuyer des mouvements qui porteraient en eux de nouvelles oppressions. Mais comment en juger ? Sur quels critères ? Face à la pluralité des situations, une pluralité d’engagements sont possibles.

Des minorités, en fonction de leur langue, de leur culture et/ou de leur couleur de peau peuvent être marginalisées, opprimées, dominées.

Leur langue peut être interdite, leur culture folklorisée, leurs cultes religieux stigmatisés. Leurs territoires peuvent être sous-équipés en services publics, ou bien ceux-ci servent à assurer la domination du centre dirigeant. Ils peuvent être exploités par une mono-activité, privés d’autonomie productive et dépendants de l’importation massive de produits manufacturés. Ce système profite au capitalisme de l’État colonial. Ces territoires peuvent même être soumis à une colonisation de peuplement, qui implique l’implantation stratégique de populations de culture majoritaire sur le territoire dominé, que l’État instrumentalise pour marginaliser la culture minoritaire : colonies israéliennes en Palestine ; peuplement français de la Kanaky ; peuplement han du Tibet et du Xinjiang.

Face à cette oppression, des rébellions peuvent surgir, sur des bases à la fois nationales et sociales.

La libération sur une base exclusivement nationale est un leurre

Depuis le XVIIIe siècle, face à une tutelle étrangère, bien des peuples – haïtien, grec, polonais, coréen, palestinien, algérien, kurde, amérindiens, camerounais, kenyan… – se sont battus soit pour leur indépendance, soit pour leur autonomie, soit pour l’égalité des droits. L’expérience de l’oppression, la résistance puis la lutte pour s’en émanciper ont parfois été le creuset d’une conscience nationale qui auparavant n’existait pas. Cette conscience nationale peut avoir un fondement territorial, linguistique, confessionnel, culturel, ou relevant d’un assemblage de ces facteurs : l’histoire de l’humanité offre une large variété d’exemples.

Cependant, si la lutte pour se débarrasser d’une oppression nationale est légitime en soi – et peut même constituer le ressort essentiel de la lutte – elle ne suffit pas à définir un projet émancipateur.

Lorsque les luttes indépendantistes se sont données pour seul objectif la fondation d’un État indépendant sur une base nationale, les États-nations qui en sont nés ont, dans leur immense majorité, été des États bourgeois, aux mains d’une classe dirigeante nationale. On peut même parfois en déceler les prémices dans le mouvement de lutte pour l’indépendance lui-même, quand les catégories dirigeantes utilisent le nationalisme pour y nier la pluralité des cultures, la lutte des classes, les rapports de domination.

Dans le but d’asseoir sa légitimité, l’État-nation cherche à façonner une nation à sa me-sure, en délimitant une « identité nationale ». Or, de même que toute frontière est artificielle, l’« identité nationale » est une construction idéologique reposant sur une sélection de faits historiques permettant de composer un « roman national », au prix de la marginalisation voire de la négation des groupes de population ne rentrant pas dans le moule.

On l’a vu, par exemple, avec les États serbe ou bulgare qui, séparés de l’Empire ottoman au XIXe siècle, ont marginalisé et brimé les populations n’ayant pas la religion ni la langue officielle. On l’a vu avec les États français ou turc qui, pétris de jacobinisme, ont écrasé les langues et cultures minoritaires. On l’a vu avec l’État algérien, fondé à l’indépendance sur une identité « arabo-musulmane » exclusive.

C’est pourquoi les communistes libertaires, tout en soutenant les luttes d’indépendance contre le colonialisme, n’entretiennent aucune illusion tiers-mondiste. Il n’y a pas des « nations prolétaires » dont le nationalisme serait la « conscience de classe ». La révolution sociale ne s’identifie pas à un jeu d’échec géostratégique opposant des États entre eux. La lutte des classes demeure le principal levier d’un potentiel renversement des formes d’oppression et d’exploitation, dans quelque pays, dominant ou dominé, que ce soit.

En conclusion, une lutte contre une oppression nationale ne peut être réellement émancipatrice que si elle est associée à un projet d’émancipation sociale, démocratique, voire anticapitaliste et fédéraliste, en s’appuyant sur le prolétariat et sur la paysannerie.

La position des communistes libertaires

À défaut de pouvoir classer les luttes de libération nationale en grandes catégories, nous pouvons néanmoins déterminer les facteurs qui doivent tout particulièrement être pris en compte dans notre analyse et dans la conclusion que nous en tirons sur notre soutien à la revendication indépendantiste et à tout autre revendication faisant débat au sein du peuple concerné.

Voici quelques questions auxquelles il nous semble important de répondre avant de déterminer notre soutien.

  • L’option indépendantiste est-elle défendue par les travailleuses et travailleurs (prolétariat, paysannerie pauvre) ? Ne correspond-elle pas uniquement à l’objectif de telle ou telle fraction de la bourgeoisie locale ? Quel est l’état actuel du rapport de force entre la bourgeoisie locale et les classes populaires ?
  • Le mouvement national considéré est-il réellement indépendant ? Si non, peut-on espérer que ce mouvement s’émancipe de l’influence de telle ou telle puissance étrangère ?
  • Plusieurs minorités nationales coexistent-elles dans le pays ? La situation de l’une ou l’autre de ces minorités ne serait-elle pas détériorée par l’indépendance ?
  • Quels sont les projets politiques des organisations influentes dans le mouvement national considéré ? Peut-on espérer qu’une alternative socialiste, internationaliste, écologiste, féministe et/ou laïc émerge de ces projets ?

En dehors de la revendication d’indépendance, précisons que les révolutionnaires apporteront toujours un soutien inconditionnel aux revendications d’égalité des droits, contre les discriminations.

« La force des peuples change le monde » : manifestation de solidarité avec la gauche kurde, le 11 janvier 2020 à Paris.
cc Benjamin/UCL Marseille
Cuervo/ UCL Marseille

Soutien de principe aux peuples opprimés, soutien critique aux organisations de lutte

Les révolutionnaires ne peuvent s’exonérer de leurs responsabilités. Comme pour l’Indochine, l’Algérie ou la Kanaky, leur devoir est de combattre en priorité l’impérialisme de leur propre État, tout en encourageant, au sein du mouvement anticolonial, les forces porteuses des plus hautes exigences d’émancipation sociale.
On peut être solidaire d’un peuple dominé voire martyrisé, sans pour autant vouloir apporter son soutien aux organisations qui prétendent le représenter (exemple  : Tigres tamouls, boéviki tchétchènes…) parce qu’elles portent un projet conservateur ou réactionnaire.

Mais, à moins de s’en tenir à une action purement « humanitaire », l’action déterminante est celle qui se porte en soutien à une organisation poursuivant des buts politiques.
Dans ce cas les communistes libertaires peuvent avoir une ligne adaptée :
apporter leur soutien aux organisations qui lient émancipation nationale et émancipation sociale ;

  • apporter un « soutien critique » (même s’il s’agit d’une organisation communiste libertaire) en affirmant sa solidarité, mais en ne renonçant pas à affirmer ses désaccords et à
  • critiquer la politique de l’organisation qu’on soutient ;
  • promouvoir l’internationalisme dans les luttes indépendantistes : montrer que la solidarité des prolétariats est possible et nécessaire.

Des cas pratiques

Au premier rang des luttes que les communistes libertaires ne peuvent soutenir, il y a celles qui présentent un caractère ouvertement raciste, xénophobe (Belgique flamande, « Padanie » italienne), qui ne répondent qu’à une manœuvre de la bourgeoisie (Bolivie orientale) ou à une manœuvre impérialiste (Kosovo sous tutelle américaine, Ukraine orientale ou Ossétie du sud sous tutelle russe). Dans ces régions, les revendications séparatistes sont aux mains de la bourgeoisie locale qui tente d’asseoir sa domination en se substituant au pouvoir national ou en se plaçant sous la protection d’un impérialisme concurrent.

La question est différente dans les Antilles, en Guyane, à la Réunion, à Mayotte ou en Kanaky, dernières colonies d’un empire révolu. Ces territoires « français » connaissent de fortes mobilisations sociales, teintées d’anticolonialisme voire d’indépendantisme. Les communistes libertaires apportent depuis des années leur soutien critique aux mouvements syndicaux et politiques de ces régions, quelle que soit la voie nationale qui leur semble la plus appropriée : indépendantisme, autonomisme ou lutte pour l’égalité des droits et le développement économique.

La Corse, le Pays basque, la Catalogne, Irlande du Nord ou le Québec sont à cheval sur ces deux premiers cas : la revendication nationale peut être entre les mains de partis bourgeois locaux, mais aussi s’accompagner d’une forte présence de la question sociale, avec des mouvements syndicaux ou politiques forts, capables de mener des luttes significatives avec l’appui de la population. Là aussi un soutien critique est approprié.

Dans certains pays, d’anciennes régions « historiques » restent travaillées par de fortes aspirations culturelles. C’est le cas par exemple en France avec la Bretagne ou l’Occitanie. Les revendications autour de la langue et de la culture peuvent être très populaires, même si la « libération nationale » n’est plus portée que par une infime minorité de la population. Dans ce cas, l’UCL soutient la reconnaissance légitime de leur spécificité culturelle.

Certaines luttes de libération nationale et/ou indépendantistes, enfin, sont la réponse directe à une oppression cruelle, ségrégationniste et liberticide : Tibet, Xinjiang, Kurdistan, Tchétchénie, Palestine, Cachemire, Eelam tamoul… Leur légitimité est indiscutable. Pour autant, certaines organisations nationales peuvent y porter des projets politiques autoritaires (féodaux, religieux ou dictatoriaux) que des révolutionnaires ne peuvent soutenir. Les communistes libertaires dénonceront donc l’oppression d’État mais, parmi les organisations de résistance, ne soutiendront que celles qui, si elles existent, défendent une vision au minimum internationaliste, laïque et pluraliste refusant tout type de discrimination.

Certaines luttes, enfin, peuvent avoir valeur d’exemple, comme celle du Chiapas, lutte légitime d’une partie opprimée de la population mexicaine, avec des volontés internationalistes claires et des modes d’organisation de la lutte autogérés. Même si un certain nombre de critiques peuvent être formulées, la lutte menée par l’EZLN est l’exemple type des luttes d’émancipation que devraient soutenir et impulser là où ils le peuvent, les communistes libertaires.

Union communiste libertaire


ORIENTATION FÉDÉRALE

Lors de leur congrès d’unification de juin 2019, Alternative libertaire et la Coordination des groupes anarchistes ont décidé de ne pas faire table rase de leurs orientations et élaborations passées, mais de les synthétiser et actualiser progressivement. Sur un premier thème, celui des luttes de libération nationale, la coordination fédérale de l’UCL des 15-16 février 2020 a adopté cette synthèse.


 
☰ Accès rapide
Retour en haut