Palestine : Soixante ans de mensonges sur la Nakba




Les Palestiniens parlent de Nakba (catastrophe) pour désigner le gigantesque nettoyage ethnique prémédité de 1948 : 800 000 Palestiniens ont été expulsé-e-s de leur propre pays. Aujourd’hui, les travaux convergents de nombreux historiens permettent de répondre aux mensonges sur la Nakba.

La Palestine n’était pas une « terre sans peuple pour un peuple sans terre ». Il y avait un peuple palestinien, essentiellement descendant des Judéens de l’Antiquité successivement convertis au christianisme et à l’islam. Globalement, ces communautés vivaient en bonne entente et se sont opposées au projet « d’État juif » dès le départ.

Mensonges fondateurs

« Les Arabes sont partis d’eux-mêmes ». Ce mensonge vise à occulter le fait que l’idée du « transfert » (la déportation des Palestiniens et Palestiniennes au-delà du Jourdain) faisait consensus dans la direction sioniste depuis le début des années 1930. Le plan « Dalet » (la lettre D en hébreu) avait programmé le nettoyage qui a eu lieu. Le projet était bien la conquête de toute la Palestine et l’expulsion des autochtones.

Dans ce processus, les milices d’extrême droite (l’Irgoun de Menahem Begin et le Lehi ou groupe Stern de Yitzhak Shamir) et la future armée israélienne (la Haganah et le Palmach) ont joué des rôles complémentaires : les milices massacraient comme elles l’ont fait à Deir Yassin le 9 avril 1948 et l’armée faisait le service après-vente en occupant le terrain et en s’assurant que les survivants ne reviendraient pas.

Et l’Onu ?

Pour certains, la solution est simple : il suffirait de faire respecter les décisions de l’Onu. Et pourtant : quelle légitimité peut avoir le vote par celle-ci du plan de partage de la Palestine en 1947 ? Pourquoi a-t-on fait payer aux Palestiniens un crime bien européen : le génocide nazi, alors que l’Occident refusait d’accueillir les rescapés ? De quel droit ce plan a-t-il donné au futur État juif 54 % du territoire (la partie la plus riche) alors que les juifs formaient 35 % de la population ? Dans ce pseudo partage, les Palestiniens représentaient 40 % de la population du futur État juif alors qu’il n’y avait que 2% de juifs dans le futur État palestinien.

On peut imputer à cette décision de l’Onu la moitié du nettoyage ethnique de 1948 : quand la guerre éclate officiellement contre les pays arabes voisins le 15 mai 1948, 375 000 Palestiniens habitant « l’État juif » offert par l’Onu ont déjà été expulsés. L’Onu a avalisé les conquêtes militaires d’Israël, passées en 1948 de 54 % à 78 % du territoire palestinien.

L’Onu a reconnu Israël par un vote où plusieurs petits pays ont été achetés. Elle a supervisé les différents accords d’armistice dans lesquels le retour des expulsés dans leurs foyers était prévu. Mais les deux premiers actes du nouvel État d’Israël ont été d’interdire ce retour et de détruire plusieurs centaines de villages palestiniens dans le but d’effacer jusqu’à la mémoire de la Palestine. La lâcheté de l’Onu à cette époque ne s’est jamais démentie. Israël n’a jamais eu à subir la moindre sanction. L’Onu a créé l’UNRWA pour les réfugiés palestiniens en perpétuant une situation qui aurait dû n’être que provisoire et globalement cet organisme s’est très mal acquitté de son rôle, faute de moyens et de volonté politique. Il y a aujourd’hui 4,5 millions de personnes qui ont la carte de l’UNRWA. Nier leur droit au
retour, c’est nier le crime de 1948. Ce droit est imprescriptible.

Avant le fascisme

Les dirigeants israéliens se sont beaucoup servis de la fausse idée que la Nakba était une conséquence du génocide nazi. Pourtant, toutes les institutions du futur État d’Israël qui ont fortement contribué à expulser les Palestiniennes et les Palestiniens de leur propre pays sont antérieures de plusieurs décennies à l’apparition du fascisme, à Auschwitz ou à la Nakba. La « banque coloniale juive » date de 1899, le KKL (ou Fonds national juif) qui a accaparé par tous les moyens les terres palestiniennes date de 1901. La Histadrout (le syndicat qui défend le « travail juif », article 1 de ses statuts) date de 1920, la Haganah (l’armée) de 1921 et l’Agence Juive de 1929. Bien avant le génocide, ces institutions ont combattu le peuple palestinien pour pouvoir un jour l’expulser et elles ont joué un grand rôle dans la répression de l’insurrection palestinienne de 1936. Les dirigeants sionistes qui ont fondé Israël n’ont pas grand-chose à voir avec la destruction des Juifs d’Europe. Simplement, leur projet qui était a priori irréalisable et qui a été pendant très longtemps très minoritaire chez les Juifs a été rendu possible après le génocide avec la complicité de toutes les grandes puissances.

« pays frères »

L’attitude des dirigeants arabes a été globalement lamentable en 1948. Les pays qui sont rentrés en guerre le 15 mai 1948 ont combattu pour leurs propres intérêts sans aucune unité et sans aucun souci pour les Palestiniens. Le déséquilibre des forces était évident en faveur d’Israël. La seule force militaire capable de s’opposer à eux était la légion arabe jordanienne (formée et équipée par le colonisateur britannique). Elle était liée par un accord de partage de la Palestine avec les dirigeants sionistes et ne s’est battue que parce que cet accord a été violé avec la conquête de villes ou villages palestiniens sur l’axe Tel-Aviv/Jérusalem.

Au moment des armistices de 1948-1949, il n’y a pas eu d’État palestinien : l’Égypte a annexé Gaza et la Jordanie s’est emparée de Jérusalem-Est et de la Cisjordanie. Les réfugiés palestiniens ont été très mal accueillis par les « pays frères », notamment le Liban. Les violences qu’ils subiront plus tard (le massacre de Septembre Noir en Jordanie, ceux des camps de Sabra et Chatila ou Tell-el-Zaatar au Liban, l’armée syrienne expulsant l’OLP du Proche-Orient) trouvent leur origine dans ce qui s’est passé au moment de la Nakba.

Le nettoyage ethnique de 1948 est tout aussi illégitime que la conquête de 1967. Il n’y a pas de différence de nature entre les Palestiniens jetés à la mer à Jaffa en 19482 et la colonisation du centre historique d’Hébron après 1967.

Le projet politique sioniste mis en œuvre pendant la Nakba se poursuit tous les jours avec le blocus de Gaza, la « judaïsation » de Jérusalem-Est, les destructions de villages bédouins ou l’emprisonnement arbitraire de milliers de Palestiniens et de Palestiniennes.

Faire la paix, c’est « réparer » le crime de 1948 comme l’exige l’appel palestinien au BDS (boycott, désinvestissement, sanctions) de 2005 :

 fin de l’occupation, de la colonisation, du blocus de Gaza, destruction du mur, libération des prisonniers ;

 égalité des droits ;

 droit au retour des réfugiés.

Pierre Stambul

 
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