Politique

Pap Ndiaye : un symbole de l’anxiété du pouvoir macronien




En nommant à l’Éducation un historien noir et antiraciste haï par l’extrême droite, l’Élysée cherche un paravent pour se démarquer du RN. Mais il sera également plus embarrassé pour continuer à taxer la ­gauche d’« islamo-gauchisme ».

Après les années Blanquer, la nomination de Pap Ndiaye à l’Éducation nationale a surpris. Ni une ni deux, tout ce que la France compte de réactionnaires en a fait un épouvantail du nouveau mandat macronien. Il sera cependant peu défendu par le mouvement social et antiraciste, où sa nomination au côté de Gérald Darmanin laisse pantois. Malgré sa dérive droitière ciblant le « séparatisme islamique », la Macronie aux abois et sous la pression électorale de la Nupes a sûrement voulu envoyer quelques signaux aux antiracistes modérés, comme avec la panthéonisation de Joséphine Baker à l’automne 2021. Le « en même temps » macronien dans toute sa splendeur.

Spécialiste de l’histoire afro-américaine, Pap Ndiaye a publié La Condition noire en 2007, un ouvrage pionnier en France sur la question de la négrophobie systémique. Sa nomination serait-elle une tentative comparable, par exemple, aux ouvertures du Parti démocrate au mouvement Black Lives Matter aux États-Unis ? Pas vraiment. L’arrière-plan idéologique n’est pas le même. Contrairement aux États-Unis, le « décolonialisme » n’est pas mainstream en France, où même des personnalités modérées sont férocement attaquées, comme la journaliste Rokhaya Diallo.

Le « décolonial » en France est devenu un danger politique chimérique et complotiste, alors qu’il n’existe pas de mouvement décolonial homogène. Certes, de même qu’il y a actuellement une vague féministe dans le monde, il y a aussi une vague décoloniale portée par une génération qui vit la domination dans sa chair et la refuse. C’est un mouvement de fond incontournable, mais traversé de contradictions et de divergences, pouvant aller d’un anarchisme décolonial considérant l’impossibilité de sortir des dominations racistes sans rupture avec le capitalisme et l’État, jusqu’à des stratégies individualistes et libérales.

Croisades en vue

Et c’est bien l’enseignement principal de cette nomination de Pap Ndiaye : le pouvoir macronien a pris la mesure de l’importance du mouvement antiraciste dans le monde et il est anxieux ; il n’est pas si sûr de sa ligne « antiséparatiste » et réactionnaire portée par Blanquer et Darmanin. La nomination de Pap Ndiaye, qui par ailleurs ne se dit pas « décolonial », peut l’aider à se distinguer du RN. Mais cela crée aussi une contradiction en son sein : un handicap pour taxer les antiracistes d’« islamo-gauchistes » ou d’« indigénistes ».

Que peut Pap Ndiyae en tant que ministre ? Essaiera-t-il de faire évoluer les programmes scolaires pour mieux y intégrer l’histoire coloniale et migratoire ? L’extrême droite et la droite partiront en croisade – qu’on se rappelle des « journées de retrait de l’école » sous Hollande et des attaques racistes contre Taubira – et le mouvement social et antiraciste devra combattre cela.

Pour le reste, comme son passage à la tête du palais de la Porte-Dorée le laissait présager  [1], Pap Ndiaye appliquera la politique ultralibérale de Macron avec son projet d’« école du futur ». Une école à la carte qui pénalisera en premier lieu les habitantes et habitants des quartiers populaires en facilitant l’évitement scolaire et la ségrégation sociale.

Nicolas Pasadena (UCL Montreuil)

 
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