Politique

Paris 2024 : Les caméras braquées sur nous




L’organisation de grands évènements, comme les JO ou les Coupes du monde, permet aux États de déployer des mesures sécuritaires et des outils de surveillance technologique comme la vidéo-surveillance et la reconnaissance faciale.

Depuis la légalisation de la vidéo-surveillance en 1995, on constate une explosion du nombre de caméras de surveillance, privées comme publiques. Objectif  : faire baisser la délinquance, mais la Cour des Comptes l’avoue elle-même  : « aucune corrélation globale n’a été relevée entre l’existence de dispositifs de vidéoprotection (sic) et le niveau de délinquance commis sur la voie publique ». Cela n’empêche pas l’État de s’engager dans la surenchère  : augmentation du nombre de caméras, du nombre d’agents visualisant les flux vidéos, création de centres de surveillance urbains, et maintenant vidéo-surveillance algorithmique (VSA).

L’argument derrière la VSA est qu’il y a trop de flux vidéo pour que les agents puissent détecter tous les événements suspects. Le but est donc de faire analyser ces flux par des algorithmes afin de détecter des comportements anormaux. Présenté comme un atout dans la lutte contre le terrorisme, on constate surtout que les événements détectés sont plutôt des délits mineurs ou des entraves à la propriété privée (personne qui court, personne allongée, personne qui écrit sur un mur, regroupement de personnes, personne ou véhicule entrant dans une propriété privée, etc.). Il s’agit bien plus de criminalisation des comportements des personnes précaires que d’une pseudo lutte contre le terrorisme. Pire, on laisse des sociétés privées décider des comportements « suspects » dans l’espace public.

Surveillance de masse, pour quoi faire ?

Même si leur efficacité fait débat en France, ces outils sont déjà en fonctionnement aux Émirats Arabes Unis (EAU) dans le cadre préposé à la lutte contre le terrorisme, et en poursuite des objectifs anti « printemps arabes ».
Aujourd’hui, les EAU montrent au monde leur volonté d’être une puissance mondiale en matière de surveillance. Abou Dhabi joue un rôle important dans le développement du renseignement géospatial à des fins militaires et sécuritaires.

Parmi les logiciels permettant de traiter de grandes masses de données, on trouve, installé à Abou Dhabi, un fournisseur des agences de renseignement américaines et de la direction générale de la sécurité intérieure française (DGSI). Qui peut être ciblé par la surveillance émiratie  ? Difficile de répondre à ces questions mais en France, on sait très bien que ces outils s’adressent principalement à des grands projets  : aéroports, sites touristiques, stades, bureaux, data centers, ou centres de supervision urbains (CSU) qui centralisent les flux vidéo des caméras municipales et qui permettent de guider les interventions ciblées de la police.

Par exemple, effacer les problèmes de circulation dans une petite ville comme Dugny, sur la route reliant l’aéroport du Bourget au « village des médias », sera un enjeu important de ces JO 2024, justifiant le déploiement de ces technologies qui prétendent rendre les villes «  intelligentes  », plus écologiques, au moyen d’infrastructures informatiques coûteuses en énergie, tout en commercialisant des fonctionnalités à visée sécuritaire.

Visage ciblé photographié

De plus, pour une vidéo-verbalisation efficace, n’oublions pas qu’un opérateur de centres de supervision urbains (CSU) peut toujours activer la fonctionnalité de reconnaissance faciale : le visage ciblé sera photographié puis importé dans la base de recherche afin de réaliser une « comparaison de visages » sur le flux vidéo. Dans le cas où la police identifie la personne suspecte, le logiciel permet d’importer une photo issue des réseaux sociaux pour appliquer la comparaison faciale.

Cela ouvre également la voie de l’utilisation du fichier de Traitement d’antécédents judiciaires (TAJ), une base de données de dix-neuf millions de fiches (dont neuf millions de photos), lors de contrôle d’identité pour faire de la reconnaissance faciale par la polices aux frontières, pour cibler et réprimer les personnes sans papiers.

C’est dans le cadre des JO, via l’article 7 de la loi dite Olympique 2, adoptée par le Sénat le 31 janvier, que l’expérimentation de la VSA va être autorisée, afin de prévenir les mouvements de foule lors des Jeux Olympiques de Paris en 2024.

En tant qu’association luttant contre la censure et la surveillance, la Quadrature du Net s’est saisie du sujet. Initiatrice de la campagne Technopolice, elle a organisé le 14 janvier à la Flèche d’Or la soirée «  JO sécuritaires, l’étau se resserre  », afin de discuter et débattre du phénomène des Jeux olympiques comme accélérateur de surveillance.

Technopolice et urbanisation néolibérale

La soirée a donné lieu à des discussions entre Matheus Viegas Ferrari, doctorant en anthropologie et en relations internationales, le collectif Saccage 2024 et Marianna Kontos, architecte-urbaniste. Ces échanges, illustrés par l’expérience des JO de Rio et la situation actuelle en Seine-Saint-Denis, ont mis en avant l’outil qu’étaient les JO en tant que prétexte au déploiement d’un arsenal judiciaire répressif et d’une urbanisation néolibérale forcée dans les quartiers populaires.

Côté lutte, la Quadrature a animé un atelier sur les demandes de Commission d’accès aux documents administratifs (Cada), outil qu’ils et elles utilisent pour obtenir des informations sur les projets technopolices envisagés par les communes. S’informer et jeter la lumière sur ces projets permet souvent de mobiliser localement et de forcer les communes à les abandonner. Profitons des outils que l’État met à notre disposition pour l’attaquer.

Bien que la Quadrature lutte principalement contre l’article 7, le projet de loi vise à éclairer un certain nombre de points restés en suspens avec la première loi Olympique, comme la criminalisation de certains comportements qui permettront la répression de militantes et militants écologistes.

La loi va également octroyer plus de pouvoirs aux agents de sécurité privée  : face au manque d’environ 20 000 agents, il va y avoir besoin de beaucoup d’agents privés, et une incitation des chômeurs et chômeuses en Île-de-France pour combler le manque n’est pas à exclure.

Ce projet de loi va faire basculer la France toujours plus loin dans une société de surveillance policière. Nous devrons exiger publiquement l’interdiction de ces dispositifs de surveillance et d’analyse totale de nos comportements dans l’espace public.

Muhsin (UCL Paris Nord-est) et Yannick

 
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