Point de vue : Le danger antisémite




Nous assistons actuellement au succès grandissant de discours antisémites. Ce succès témoigne d’une tendance de fond dans la société française.

Depuis quelques années, les saillies antisémites de l’ancien comique Dieudonné sont de plus en plus écoutées. Si beaucoup de ceux qui se photographient faisant des quenelles semblent provenir de la clientèle habituelle de l’extrême droite (notamment des forces de répression), on peut aussi y voir des syndicalistes, des jeunes des quartiers, etc. Signe que l’antisémitisme est assumé, beaucoup font ce salut dans des lieux qui n’ont rien à voir avec le sionisme, et tout à voir avec l’histoire juive (mémorial de la déportation, maison d’Anne Frank, école où a frappé Mohammed Merah…). La reprise de slogans antisémites (« Juif, la France n’est pas à toi », etc.) dans la manif « Jour de colère » est aussi un signe de cette progression.

Le vieux démon de l’antisémitisme

Dieudonné n’a pas inventé l’antisémitisme. Mais c’est la première fois depuis des décennies que celui-ci s’affiche de manière aussi populaire. Au XIXe siècle, l’antisémitisme a été une constante du discours politique, y compris chez des penseurs socialistes. Il permettait de fusionner la judéophobie traditionnelle et un anticapitalisme mal digéré opposant travail national et capital juif, tout en donnant à la petite bourgeoisie un bouc émissaire à sa crainte de paupérisation. L’antisémitisme permettait donc d’unir la religion, les travailleurs et la bourgeoisie dans la recherche d’un ennemi fantasmé tout en renforçant une pseudo-communauté nationale.

Depuis, les lignes ont bougé. L’affaire Dreyfus a permis de sortir une première fois l’antisémitisme du camp progressiste. La défaite du nazisme a rendu inaudible tout discours ouvertement antisémite, qui rappelait à la fois la Shoah et la Collaboration. Enfin, la création d’Israël en 1948 a changé la vision des juifs. Ceux-ci sont alors assimilés aux kibboutz, à la colonisation, ou à l’alliance franco-israélienne, tandis que l’image classique d’assassins de prophète perd son importance (même si elle reste prégnante chez la frange la plus réactionnaire du clergé musulman ou catholique).

L’influence du conflit palestinien

Parallèlement, de plus en plus de Français et de Françaises ont commencé à prendre parti dans le conflit israélo-palestinien, parfois selon des lignes communautaires. Ainsi, les institutions juives, comme le Crif (Conseil représentatif des institutions juives de France), ont adopté une ligne de soutien sans nuance à la politique israélienne  [1] . En même temps, les deux bords ont fait des tentatives pour internationaliser le conflit, notamment en jouant sur la dynamique communautaire. Pour compenser le déséquilibre des forces en présence, côté palestinien ; pour pousser de plus en plus de juifs à émigrer en Israël afin de gagner la «  guerre démographique  », côté israélien. Enfin, certains groupes politiques ont cherché à utiliser le conflit pour politiser les français issus de l’immigration.

Ces identifications communautaires ont été instrumentalisées pour créer une confusion entre antisémitisme et antisionisme  [2]. Celle-ci est d’autant plus facile que la différence n’était pas toujours claire sur le terrain (ainsi, le Hamas est à la fois la force la plus active de résistance à l’occupation et un parti vecteur d’un projet de société fasciste et antisémite)  [3]
et que l’extrême gauche française, très impliquée dans le soutien à la cause palestinienne, a parfois fait l’impasse sur la lutte contre l’antisémitisme.

Et aujourd’hui ?

Ce qui inquiète, c’est surtout la popularité grandissante que peuvent connaître ce type de discours. Elle s’explique parce que dans un contexte de crise, une partie de la population cherche des responsables. Le racisme a alors pour objectif est de souder la communauté nationale autour du combat contre un bouc émissaire. L’antisémitisme en est une variante permettant de récupérer une thématique anticapitaliste en paraissant cibler les dominants (faisant ainsi l’impasse à la fois sur la bourgeoisie non juive comme sur le prolétariat juif). La progression des discours racistes est donc en cohérence avec la situation historique. C’est ce qui explique que le gouvernement tente de lutter contre l’antisémitisme tout en continuant les attaques contre les Roms et les musulmans. Il s’agit plus ici de désaccords sur le choix de la cible que d’un réel antiracisme (qui nécessiterait la mise en avant d’une alternative sociale crédible).

Ce qui pourrait faire que le discours antisémite soit repris dans notre camp social, c’est qu’il pervertit des notions progressistes en mots d’ordres fascistes. Il nous faut donc être d’autant plus clair sur ces points. Le capitalisme est un système économique intégré au niveau mondial permettant l’exploitation d’une classe par une autre par le biais de la propriété privée des moyens de production. Les antisémites et les complotistes le voient comme domination de groupes mystérieux qui contrôleraient le monde dans l’ombre (illuminatis, «  lobby juif  », etc.). Au niveau international nous soutenons ceux qui se battent contre l’oppression, en Palestine comme ailleurs. Soral et consorts préfèrent soutenir tout les ennemis supposés du Nouvel Ordre mondial (de Poutine à Assad en passant par le Hamas), appuyant ainsi des massacreurs et des mini-impérialismes. Nous luttons contre le racisme, pour la fin des inégalités basées sur une origine, une religion, ou une nationalité. Les racistes préfèrent fantasmer sur une réconciliation à l’ombre du drapeau tricolore contre un ennemi fantasmé (ici les juifs, ailleurs les musulmans).

Pour lutter contre l’antisémitisme, nous devons également interroger les notions de minorités nationales, de communautarisme, etc., et les questions qu’elles posent du point de vue de l’auto-organisation  [4]. Si le mouvement libertaire est traditionnellement plutôt hostile au communautarisme, le développement du racisme risque de nous forcer à réfléchir de nouveau à tout ça, au nom de la nécessaire organisation autonome des racisé-e-s.

Dany (AL Toulouse)

[1Ce soutien prend appui sur l’idée qu’Israël serait de nature la deuxième patrie de l’ensemble des juifs, et qu’en conséquence la défense des intérêts des juifs de France passerait par la défense des intérêts israéliens.

[2Par les antisémites comme par des groupes sionistes, ces derniers comptant par là discréditer toute critique de la politique israélienne.

[33. Cette confusion est par exemple présente dans le texte «  Pourquoi Dieudonné n’est pas fréquentable  », qui termine en faisant de Cheikh Yassine un combattant antisioniste.

[44. Ce que fait notamment un texte comme le récent « Face à l’antisémitisme, pour l’autodéfense ».

 
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