Qatar : Une béquille pour l’Occident en crise




Alimentant tous les fantasmes et théories du complot qui y voient un « cheval de Troie de l’islamisme », le Qatar reste une puissance servant largement les intérêts diplomatiques et économiques des grandes puissances occidentales.

Le Qatar est un État créé par les Britanniques lors du grignotage de l’Empire ottoman au XIXe siècle. Indépendant depuis le 3 septembre 1971, le pays est membre de l’Organisation des pays producteurs de pétrole (Opep) et troisième producteur de gaz naturel du monde. Générant de très confortables excédents financiers, il a atteint un niveau de vie élevé, offrant tous les services sociaux et agréments de n’importe quel pays industrialisé. Avec 8 500 euros par mois, le salaire moyen bat tous les records. Le pays n’est cependant pas auto-suffisant, notamment du point de vue alimentaire, ce qui l’amène aujourd’hui à de nombreux rachat de terres agricole à travers le monde.

Le Qatar est dominé par la famille Al Thani depuis 1867. Depuis 1995, l’émir Hamad bin Khalifa Al Thani est à la tête du pays. Il apparaît comme un émir plus ou moins libéral ayant permis des avancées, pour les droits des femmes entre autres. La station de télévision Al Jazeera a acquis une réputation unique de source libre et non censurée de l’information dans les pays arabes. Pourtant, la liberté d’expression est loin d’être une réalité dans le pays.

Alliances régionales en redéfinition

L’économie du Qatar dépend en grande partie d’une importante main-d’oeuvre étrangère travaillant principalement dans le secteur de la construction. La population du Qatar est composée à 65 % d’ouvriers et d’ouvrières immigré-e-s, la plupart provenant du sous-continent indien, vivant et travaillant dans des conditions effroyables. Sur une population de 1 600 000 personnes, 20 % de celle-ci est composée de Qataris, et 80 % d’expatrié-e-s. Le Qatar accueille par exemple de nombreux expatrié-e-s issu-e-s des banlieues françaises, diplômé-e-s et qualifié-e-s, Doha leur ayant offert des postes là où la France ne leur a offert que des discriminations.

En mai 2011, la rencontre houleuse entre le président syrien Bachar el-Assad et le premier ministre qatari a signé la fin de l’idylle entre les deux pays, ce qui constitue un changement radical de la diplomatie de l’émirat qui a, jusqu’à la fin des années 2000, tenté l’établissement d’un axe diplomatique fort avec la Syrie et l’Iran afin de faire contrepoids au tandem Égypte-Arabie saoudite. Mais avec le Printemps arabe, les cartes régionales ont été rebattues. Doha a préféré lâcher son ancien allié en misant sur une chute progressive du régime et a donc décidé de prendre fait et cause pour la révolte syrienne, Doha appelant à sanctionner le régime de Bachar el-Assad. La crise syrienne a fait monter à son paroxysme l’antagonisme sunnites-chiites, et c’est désormais largement par ce prisme que sont appréciés les soubresauts régionaux  [1].

Théories du complot en pagaille

L’émirat a compris qu’il était rentable de soutenir des révoltes populaires qui débouchaient sur la victoire électorale de formations islamistes dont la plupart avaient trouvé refuge à Doha auparavant. La cohérence qatari sur ce point est économique et diplomatique  : les Frères musulmans sont très liés aux Qataris après des années de persécutions et de méfiance de la part des puissances occidentales. Financer les Frères, pour le Qatar, c’est financer des acteurs en quête de respectabilité et les placer sous sa dépendance. Y compris peut-être le Hamas en train de perdre son soutien syrien, qui a accepté les investissements de l’émirat pour Gaza suite à la visite du premier ministre qatari en octobre 2012. Doha, en vassalisant autant qu’il peut tous les groupes politiques des Frères musulmans, gonfle ainsi son influence diplomatique sur la région vis-à-vis des différents acteurs. « Domestiquer les Frères pour le compte des États-Unis, cela fait partie du rôle du Qatar »  [2]

Depuis le rachat du PSG par l’émirat, toutes les inquiétudes circulent sur l’emprise qu’aurait le Qatar sur la France. Les fantasmes fusent principalement depuis que ce dernier à décider d’investir dans les banlieues française. L’implication des fonds spéculatifs américains ou brésiliens, pourtant du même ordre, n’ont jamais déclenché les mêmes réactions. Sans surprise, Marine Le Pen n’a pas tardé à brandir la menace que représente l’investissement du Qatar, « cheval de Troie de l’islamisme ». C’est un peu le vieux mythe de l’invasion qui est avancé avec ses relents anxiogènes, pourtant le Qatar « n’interagit pas avec les milieux musulmans et salafistes français, ce qui est plutôt le cas de l’Arabie saoudite par le biais de l’octroi de bourses étudiantes »  [3]. Suite à la rumeur d’un financement de la campagne de Netanyahu par le Qatar, la blogosphère complotiste a saisi elle aussi la balle au bond.

Pétrodollars à la rescousse

L’idée que Doha joue la partition d’un sombre agenda américano-israélien qui tire les ficelles des révoltes arabes n’en finit pas de bien se porter. Ainsi, que ce soit l’extrême droite islamophobe ou l’extrême droite antisémite, toutes deux se retrouvent dans la dénonciation du Qatar et de machinations secrètes fantasmées, que ce soit « Eurabia » ou le « complot judéo-sioniste ».

En fait, nul besoin d’aller chercher d’explication magique. À la différence des grandes puissances capitalistes, endettées ou en déficit public, Doha dispose d’un avantage non négligeable  : de l’argent, avec un excédent de 60 milliards de dollars chaque année et un fonds de 130 milliards de dollars réservé aux investissements étrangers. À ce pactole, il faut rajouter 30 milliards alimentés par l’État chaque année. Objectif d’ici à 2030 : « Maximiser les profits afin que les placements internationaux parviennent à égaler les revenus de l’énergie »  [4].

Mais ce fantasme de la toute-puissance financière du Qatar néglige qu’une puissance ne repose pas uniquement sur l’argent : tout ogre capitaliste qu’il soit et malgré ces ambitions d’influence, le Qatar reste un petit pays en impossibilité géographique d’autosuffisance alimentaire et dépendante des protections militaires occidentales, notamment face à l’Iran. Et qui, en conséquence, mène une politique régionale au service des intérêts occidentaux, et vient par le biais de ses flots d’argent à la rescousse des marchés et des économies d’Europe.

Nicolas Pasadena (AL Montreuil)

[1Nabil Ennasri, « Quel rôle joue le Qatar dans la révolution en Syrie ? », Rue 89, septembre 2012.

[2Pierre Puchot, « La lune de miel entre Paris et Doha est derrière nous », entretien avec Karim Sader, Mediapart, mars 2013.

[3Nabil Ennasri, cité par Priscille Lafitte, « Le gouvernement reprend la main sur le fonds qatari pour les banlieues », France24, septembre 2012.

[4Gregory Raymond, « Le Qatar investit en Grèce : bon samaritain ou ogre capitaliste ? », Le Huffington Post, janvier 2013.

 
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