Racisme et travail : Le racisme systémique au service du capital




Sans-papiers, immigré-e-s postcoloniaux, Françaises et Français issu-e-s de la colonisation, Rroms : toutes et tous connaissent depuis trois décennies une précarisation massive les contraignant, avec des degrés et des contraintes de natures différentes, à devenir une main d’œuvre précaire. Le racisme systémique, au service du capital, doit être détruit.

Nous assistons de plus en plus à une régulation segmentée et ethnique du marché du travail, accompagnée d’un réinvestissement de l’imaginaire colonial qui vise à la légitimer. Le sociologue de l’immigration Abdelmalek Sayad expliquait que l’immigré-e est avant tout défini comme pure force de travail avant d’être considéré comme une personne détentrice de droits. Aujourd’hui, rien n’a changé et cette définition concerne également les nationaux racisés et les Rroms. La fonction classique de l’immigration est d’être une variable d’ajustement. Plus précarisée que le reste du monde du travail, disposant de possibilités moindres de résistance, l’immigration est utilisée pour libérer les ouvriers nationaux des secteurs et des postes de travail les plus rudes, flexibles et dangereux. Des concessions aux ouvriers nationaux ont pu être réalisées notamment au détriment de la composante immigrée de la classe ouvrière. Pour que cela soit possible, le racisme comme outil idéologique sert à ce que le monde du travail accepte un traitement discriminatoire contre une de ses composantes et par là-même à empêcher la conscience d’une communauté d’intérêt [1].

La figure idéale du sans-papier

Tout en conservant l’ensemble de ces fonctions classiques, l’immigration contemporaine s’inscrit dans un contexte de mondialisation libérale et postcoloniale. Deux figures nouvelles émergent : la figure du sans-papier et celle du jeune issu de la colonisation [2]. Les sans-papiers en sont la figure idéale : ne disposant d’aucun droit, soumis à la précarité absolue, ils sont contraints de vendre leur force de travail à n’importe quelles conditions : embauche à la tâche ou à la journée, flexibilité totale, absence de charge et de salaire indirect. Tout cela est rendu possible par la construction étatique d’un contexte juridique et idéologique favorable. L’appel au sans-papier est devenu une donnée systémique de certains secteurs économiques – agriculture, Bâtiment, restauration, nettoyage, textile – et tend à s’étendre à d’autres secteurs. La précarité organisée du droit des étrangers et des étrangères contraint des salariés étrangers à accepter des postes qui ne correspondent pas à leurs qualifications (médecins par exemple) mais sans le statut : embauche au Smic, titre de séjour dépendant du renouvellement de contrat, etc.

Le jeune précaire issu de la colonisation

Le nouveau précariat se compose massivement de jeunes Français et Françaises issus de la colonisation. Surreprésenté-e-s dans les secteurs les plus précaires et les plus flexibles, ils sont les premiers concernés par les nouveaux contrats précaires : CDD, temps partiel, alternance, stage, intérim à répétition, saisonnier [3]. Les discriminations à l’avancement et à la promotion précarisent aussi davantage ces populations. Le Bureau international du Travail a constaté qu’en France, en 2009, quatre employeurs sur cinq discriminent en fonction de l’origine et les rapports successifs de l’Insee confirment l’omniprésence de ces discriminations [4].
Ces discriminations participent à soumettre ces populations au travail précaire. D’autre part, le processus de paupérisation, qui conduit à une surreprésentation carcérale des racisé-e-s, continue de leur réserver ce rôle de travailleuses et de travailleurs corvéables à merci en prison. La génération qui arrive a grandi avec le spectacle de frères ou sœurs diplômés mais précarisés ou subissant les conséquences de la paupérisation : délinquance, toxicomanie, prison, mortalité. Le refus des nouvelles générations d’être assignées à ces places conduit à cette radicalisation du discours raciste et intégrationniste à droite comme à gauche.

Ethnicisation des grilles de lecture

Pour rendre cette précarisation possible, il faut un discours idéologique nouveau, producteur de légitimation. L’islamophobie, la stigmatisation des Rroms, la construction des « nouveaux barbares de banlieue » aide à justifier le traitement inégalitaire. Cela passe ensuite par une dimension idéologique qui tente d’ethniciser toutes les explications. Les discours intégrationniste et assimilationniste sont au cœur de cette idéologie : les inégalités vécues ne sont pas appréhendées comme résultat d’une place sociale assignée mais comme conséquence d’un manque d’adaptation à la société française [5]. L’ascension sociale d’une partie des nationaux racisés est ensuite instrumentalisée, passant par la mise en scène médiatique et politique de sa réussite par la diabolisation de son origine ou de sa communauté. Le message général est clair : assimilez-vous et faites allégeance à la République pour réussir.

Cette dimension idéologique et la diversité de statuts juridiques permet de diviser l’ensemble des populations touchées par le racisme d’Etat.

Quelles réponses du mouvement social ?

Aussi bien les gouvernements successifs que l’extrême droite – soralienne par exemple – tente de diviser les populations racisées en désignant parmi elles des boucs émissaires : stigmatisation du sans-papiers, des « islamo-racailles », ou des Rroms. Pour détruire ces divisions, il faut démontrer que ces populations sont toutes victimes d’un même système raciste contre lequel elles doivent s’unir et lutter. L’analyse des différents statuts et le profit qu’en tire le capital doit être faite et portée dans les syndicats. L’objectif est de combattre les discriminations, analysées comme systémiques et donc nécessitant des revendications et des luttes collectives. L’expérience des grèves de sans-papiers ou dernièrement des grèves de femmes sont des exemples à suivre et à étendre. La grève reste un moyen de pression fondamental pour faire gagner les revendications antiracistes, y compris celles extérieures au lieu de travail, et les faire converger avec les autres revendications sociales.

Il s’agit surtout de rendre plus visibles les revendications spécifiques des mouvements de l’immigration et d’éviter les écueils d’un discours parfois trop général dans le mouvement social sous-estimant les facteurs de reproduction systémiques racistes, au profit du capital.

Nicolas Pasadena (commission antiraciste)


Les discriminations racistes : un phénomène systémique

La plupart des définitions de la discrimination s’appuient sur une approche juridique, tendant à réduire les discriminations à deux catégories : directe et indirecte.

 Discrimination directe : acte intentionnellement ou inconsciemment discriminatoire, pouvant être motivé par un racisme idéologique ou un racisme-préjugé.

 Discrimination indirecte : traitement sans intentionnalité raciste (critère en apparence neutre) mais donnant un traitement inégalitaire handicapant un ou plusieurs individus d’un groupe minoritaire (exemple : embauche préférentielle des enfants de cadres donnant un recrutement inégalitaire, si par ailleurs les personnes d’origine étrangère sont sous-représentées parmi les cadres, on constatera de fait une discrimination des jeunes d’origine étrangère).

Les discriminations systémiques découlent, quant à elles, de l’existence d’inégalités sociales historiquement constituées qui produisent et reproduisent les places sociales inégalitaires en fonction de l’appartenance. Même si c’est par les discriminations directes et indirectes qu’elles se manifestent, elles ont un soubassement dans le fonctionnement du système social. Les trois formes de discriminations sont donc intimement liées, se renforcent mutuellement en contribuant au fonctionnement et au maintien du système.

 source : Saïd Bouamama, Jessy Cormont, Yvon Fotia, Dictionnaire des dominations, Editions Syllepse, 2012.

[1Bouamama Saïd, Les classes et quartiers populaires : paupérisation, ethnicisation et discriminations, Edition du cygne, 2009.

[2Bouamama Saïd, Les classes et quartiers populaires : paupérisation, ethnicisation et discriminations, Edition du cygne, 2009.

[3Bouamama Saïd, Les classes et quartiers populaires : paupérisation, ethnicisation et discriminations, Edition du cygne, 2009.

[44. INSEE, « Immigrés et descendants d’immigrés en France », 2012, disponible sur www.insee.fr

[5Bouamama Saïd, Les classes et quartiers populaires : paupérisation, ethnicisation et discriminations, Edition du cygne, 2009.

 
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