syndicalisme

Référendum-boomerang à Air France : le moral est au plus haut




80% de participation, 55% en faveur du « non », le président d’Air France qui démissionne, et c’est reparti pour deux jours de débrayage les 7 et 8 mai. Presque 15 journées de grève organisées depuis la mi-février, une inter­syndicale de 10 organisations qui reste soudée, des pilotes de ligne qui ne la jouent pas corpo… Mais que se passe-t-il dans cette boîte  ?

Cela fait trois ans que le climat social se durcit à Air France, après plusieurs épisodes orageux.

Octobre 2015 : la direction d’Air France annonçait 2 900 suppressions d’emplois, dont 1 700 dans le personnel au sol, 900 stewards et hôtesses et 300 pilotes. Cette annonce donna lieu à l’épisode du DRH se faisant arracher sa liquette. Résultat : 5 licenciements décidés par un patron sarkozyste chaudement félicité par Valls et Macron qui qualifieront respectivement les grévistes de « voyous » et de « stupides ».

Novembre 2017 : les mécanos avion partaient spontanément en grève, réinventant des pratiques radicales des années 1980-1990, notamment la fameuse « minute africaine » – sorte de tintamarre infernal ou de casserolade géante paralysant les ateliers.

Enfin, depuis février 2018, nouvelle offensive. Il faut dire qu’après des années d’enfumage sur les mauvais résultats économiques, largement relayé par les médias as usual, le constat est là : 11 000 suppressions d’emplois en huit ans ; blocage répété des salaires ; hausse du taux de remplissage des avions (+ 4,2 % de productivité en 2017) ; baisse de la masse salariale de 11,5 % depuis 2012 ; retour des bénéfices depuis 2013… « Et en même temps » : un grand bond en avant de la rémunération de la direction exécutive (+ 30 % !).

cc Photothèque rouge

Les pilotes marchent sur des œufs

L’intersyndicale actuelle regroupe dix organisations de pilotes (SNPL, Spaf, Alter), de personnels navigants commerciaux et de personnels au sol (SNPNC, Unsa, CFTC, SNGAF, CGT, FO, SUD). La revendication centrale : 6 % d’augmentation générale des salaires, ce qui correspond à la perte de pouvoir d’achat depuis 2012 selon l’Insee.
La grève est très bien suivie chez les stewards, hôtesses et pilotes, moins dans les personnels au sol, hormis les mécanos. Il faut dire que beaucoup sont échaudé.es par les trahisons passées du principal syndicat de pilotes de ligne, le SNPL, et par le caractère inégalitaire de la revendication salariale : 6 % d’augmentation pour toutes et tous, ça veut dire beaucoup pour les hauts salaires, et pas grand chose pour les ouvriers et ouvrières…

Pourtant les syndicats de pilote s’efforcent de redorer leur image auprès de la masse des salarié.es. Le SNPL et deux syndicats minoritaires de pilotes (le Spaf et Alter  [1]) ont intégré leur échec de 2015 et la mauvaise image de leur mouvement dans l’opinion publique. Par ailleurs, les évolutions technologiques et la progression du low cost ont affaibli le rapport de force des pilotes, qui ont intérêt à ne pas rester isolés. Ils ont par exemple abaissé leurs prétentions salariales pour rester crédibles auprès de la masse des salarié.es.

Malgré tout, la direction a rejoué sa stratégie habituelle, à savoir négocier séparément avec certains pour semer la division. Hélas pour elle, pour l’instant, ça ne marche pas. D’une part, les syndicats de pilotes sont restés fidèles à l’intersyndicale ; d’autre part, l’intersyndicale a rejeté unanimement la tentative de la direction de négocier un accord avec les seuls syndicats représentatifs… ce qui aurait inclus la CFDT et la CGT, mais exclu SUD-Aérien et Alter.

Et enfin, il y a eu cette tentative de référendum auprès des salarié.es pour tenter de faire approuver la position de la direction. Violent désaveu : 80% de participation, 55% en faveur du « non », le président d’Air France qui démissionne [2].

La plupart des syndicalistes de lutte se félicitent donc de la mobilisation actuelle, même s’ils et elles s’inquiètent de la difficulté, dans les métiers spécifiques, à se dégager des revendications catégorielles – pas par égoïsme, plutôt par désespoir d’imposer une augmentation générale des salaires.

L’enjeu est déterminant pour l’avenir. L’intersyndicale tiendra-t-elle dans la durée ? La tentation catégorielle sera-t-elle écartée ? Pour l’instant, chaque secteur mobilisé est plus ou moins autonome dans ses modes d’actions. Si la grève gagne sur la revendication salariale unique pour toutes les catégories – même revue à la baisse –, ce sera une première depuis de longues années et ça redonnera confiance à beaucoup de salarié.es qui n’y croyaient plus !

P. Semeniouta (AL Banlieue sud-est)

[1Affilié à Solidaires, Alter pousse à davantage de solidarité avec les autres catégories de personnel.

[2Les conséquences du référendum seront analysées dans un prochain article.

 
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