Réforme de la représentativité : L’État veut vassaliser les syndicats




L’Assemblée a voté la loi modifiant les règles de représentativité passée sans grand encombre au Conseil constitutionnel. Au-delà d’une simplification du paysage syndical autour du duo CFDT-CGT, l’ambition de Sarkozy est de faire des syndicats de simples supplétifs de l’État dans l’écriture du droit du travail. Décryptage.

La loi portant sur le temps de travail et sur la « rénovation de la démocratie sociale » a finalement été promulguée le 20 août, sans même attendre les résultats des élections prud’homales de décembre. Son premier volet, qui abolit les 35 heures, a, dans les médias, totalement occulté le second volet, qui pourtant révolutionne la représentativité syndicale, sur la base de la « position commune » Medef-CGT-CFDT du 18 avril [1]. Le régime tente de marginaliser toute contestation sociale en favorisant l’émergence d’un axe syndical hégémonique constitué par la CGT et la CFDT. Une sorte de bipolarisation transposée du système politique libéral limité au tandem PS-UMP.

Les réorganisations s’annoncent

Dans le même temps, la recomposition s’annonce au sein des organisations les plus modérées. La CGC et l’Unsa ont déjà annoncé leur fusion future. On parle de grandes manœuvres entre la très laïcarde FO et la très chrétienne CFTC. La bataille pour exister à côté de la CFDT risque d’être dure tant le camp syndical modéré est émietté.

Mais l’enjeu pour le pouvoir n’est pas vraiment de simplifier le camp modéré : il est de réduire le camp du syndicalisme de lutte de classe en pesant le plus possible pour la transformation de la CGT en une organisation d’accompagnement du système, engagée dans un tête-à-tête permanent avec la CFDT et le Medef. Les forces syndicales de lutte – à l’intérieur comme à l’extérieur de la CGT – se trouveraient ainsi marginalisées.

Bien sûr ces objectifs ne sont à cette heure pas réalisés, et nous pouvons nous y opposer.

La vision de Sarkozy

Le régime de Sarkozy assigne un rôle particulier au syndicalisme : mettre en œuvre les décisions prises par le pouvoir politique, après les avoir quelque peu aménagées à la marge via des négociations entre « partenaires sociaux ». C’est le gouvernement qui définit les sujets et le calendrier des négociations (le fameux « agenda social ») ; et si les « partenaires sociaux » n’arrivent pas à se mettre d’accord dans le temps imparti, le pouvoir légifère seul. Voilà le chantage permanent qui ne laisse aucune liberté sur les thèmes et la durée de la négociation et qui, bien évidemment, exclut le recours au rapport de force.

Dans le Monde du 18 avril 2008, Sarkozy se prononçait pour des « syndicats plus forts et plus responsables ». « J’ai l’intime conviction, disait-il, que, pour expliquer et mener à bien les réformes dont notre pays a besoin, nous devons le faire en partenariat étroit avec ceux qui représentent les intérêts des salariés et des entreprises ».

Dans le cadre d’un débat organisé au Conseil économique et social le 23 juin par l’association Dialogues, qui regroupe des représentants patronaux et syndicaux (dont CFDT et CGT), le Premier ministre avait déploré « un système de relations sociales qui reposent encore très largement sur des règles et sur des pratiques qui remontent au siècle dernier ». « D’un côté, avait-il estimé, l’éclatement du paysage syndical a donné une sorte de “prime à la contestation” et de l’autre, les règles de la négociation collective n’ont pas vraiment favorisé l’émergence d’une véritable culture du compromis ».

Lors du débat parlementaire de juillet, le député UMP Bernard Perrut estimait que la loi devait « permettre de sortir de la logique du conflit et de fonder une culture de la négociation, du compromis et de la responsabilité ». Et la nouvelle étoile montante de l’UMP à l’assemblée, Benoist Apparu de s’enflammer : « il appartient au pouvoir politique de fixer les objectifs de la négociation et aux partenaires sociaux de négocier leur application politique ».

La loi du 23 juillet fait désormais du respect des « valeurs républicaines » – sans plus de précision – un critère de représentativité syndicale. Or durant les débats, le rapporteur UMP, Poisson, n’a pas hésité a considérer que ces « valeurs » englobaient « la défense de la propriété privée » ! On suivra avec attention les premières décisions de justice sur ces fumeuses « valeurs républicaines ».

Unité des anticapitalistes pour défendre le syndicalisme

L’État a la prétention de faire du syndicalisme un simple supplétif du gouvernement du moment. Ce serait la fin de l’indépendance de classe, de la capacité des exploités à faire de la politique dans les luttes sociales et les grèves, à porter un projet émancipateur propre. Toute contestation serait désormais circonscrite à l’arène électorale et limitée aux programmes des partis électoralistes. C’est l’idée même de la lutte des classes et d’une opposition extraparlementaire qui est l’objet des attaques actuelles, d’une intensité sans précédent.

Face à une pensée stratégique aussi claire, il est nécessaire d’opposer une stratégie commune à tous les anticapitalistes qui considèrent que le développement de l’organisation de classe, permanente, des travailleurs et des travailleuses, capable de porter un projet émancipateur, est une nécessité. Ce ne sont pas les intérêts de telle ou telle organisation syndicale ou de tel ou tel courant politique qui sont en jeu, mais bien l’intérêt supérieur de l’ensemble du salariat. Rien n’est écrit. Si on peut vaincre les sectarismes de boutique, nous serons capables de battre ensemble ces projets néfastes.

Thierry Renard (AL Transcom)


MEDEF-UIMM, CGT-CFDT : DÉSACCORDS SUR LE RÔLE DE LA « DÉMOCRATIE SOCIALE »

Si le Medef, la CGT et la CFDT peuvent se satisfaire de la loi du 23 juillet, ils nourrissent leur propre conception de la « démocratie sociale », distincte de celle de Sarkozy. La CFDT appuie par exemple le Medef dans l’idée que les « partenaires sociaux » doivent devenir des législateurs secondaires voire des « négociateurs légiférants ». Le Medef réclame que le Parlement soit dessaisi de sa prérogative de légiférer dans le domaine du travail et qu’une modification de la Constitution oblige le Parlement à transposer les accords entre partenaires sociaux dans la loi, sans même les amender.

Une révolution du droit du travail à laquelle sont opposées la CGT et l’Union des industries et des métiers de la métallurgie (UIMM), attachées à la prééminence du Parlement. L’UIMM, toujours pas mise au pas par le clan Parisot, écrit dans son bulletin Actualité n° 284 de juillet-août 2008 que « le problème de fond demeure ; celui de la coexistence de la démocratie politique et de la démocratie sociale. Seule, faut-il le rappeler, la première est vraiment légitime car elle procède du suffrage universel ». Quant à la direction confédérale de la CGT, sur une fiche en ligne sur son site Web, elle estime que « la démocratie sociale ne peut pas limiter la démocratie politique. […] Reconnaître le rôle du Parlement dans la législation sociale, ce n’est pas relativiser le rôle des syndicats. Ceux-ci ont vocation à intervenir auprès des pouvoirs publics, à l’instar des organisations patronales ». T. R.

[1Lire AL de mai et juin 2008 à ce sujet, et l’analyse de la branche Entreprises d’AL, sur www.alternativelibertaire.org.

 
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