Répression : Mettre fin à 50 ans de « guerre à la drogue »

La doctrine de la « guerre à la drogue », appliquée par tous les États et puissances impérialistes, nous laisse un bilan humain social et politique dramatique. Doctrine de proue du capitalisme sécuritaire, elle constitue une guerre au peuple ainsi qu’une courroie de fascisation de l’État.
En janvier, Darmanin et Retailleau, l’un à la Justice et l’autre à l’Intérieur, ont déclaré vouloir faire la guerre au narcotrafic, évoquant des « narco-racailles », une « Mexicanisation » de la France. Darmanin avait déjà repris le concept de « guerre à la drogue » depuis qu’il est ministre de l’Intérieur et avec le soutien politique de Macron [1]. Aux États-Unis, Trump a dernièrement déclaré qu’il fallait traiter les narcotrafiquants comme des terroristes et a suggéré l’envoi de troupes au Mexique. Des hausses de ton qui s’inscrivent dans une longue histoire, entre enjeux sécuritaires et économie capitaliste souterraine.
Aux origines de la guerre à la drogue
Le concept de « guerre à la drogue » a été forgé aux États-Unis par Richard Nixon en 1969. La question de la toxicomanie était alors devenue une priorité, sur fond de contre-cultures et de black-révolution. Ce sera le point de départ d’un processus de violence étatique qui s’est ensuite étendu à toute la planète. La France emboîte le pas aux États-Unis en 1970 et diverses conventions internationales y engageront la plupart des États.
Voulant se donner les moyens de démanteler les réseaux de narcotrafiquants par le biais de la DEA [2], les États-Unis passent des accords avec les pays concernés par la production et l’exportation de coca. Mais cette lutte deviendra vite un nouveau motif d’ingérence, notamment dans les années 80 sous Reagan, quand l’Amérique du Sud entre dans leur logique de « containment », visant à bloquer l’extension de la zone d’influence soviétique [3].
Parmi les déclinaisons au bilan catastrophique, en 2006 au Mexique, Felipé Calderon, mal élu et contesté, lance sa guerre à la drogue qui a déjà fait près de 450 000 mortes et morts et 70 000 disparues en 18 ans : pour riposter au déploiement militaire de l’État mexicain, les cartels se sont armés, jusqu’à s’équiper de drones bombardiers, armes achetées librement aux États-Unis. Loin d’endiguer les cartels, la corruption a gagné tout l’État [4].
Une dimension idéologique et raciste
Partout dans le monde, la guerre à la drogue est accompagnée de discours racistes et de réactualisation de l’imaginaire colonial (négrophobie, stigmatisation de populations latinos...). Ces discours exacerbent la xénophobie d’État et les discriminations, et ont renforcé la théorie des « classes dangereuses », réactualisant la figure du « lumpen » à travers celles des gangs des ghettos, favelas et cités… Elle a permis la mise sous coupe policière des quartiers populaires et bidonvilles partout dans le monde et d’une politique carcérale d’emprisonnement massif, notamment des personnes noires aux États-Unis, aux profits des prisons privées. « La guerre à la drogue s’articule directement avec l’industrialisation sécuritaire des prisons et des camps d’internement. » [5]. Aux discours racistes s’articule un discours anti-marginaux. Le trafic de drogue est parfois le seul débouché ou moyen de survie pour les populations paupérisées et discriminées, mais les trafics divisent les habitants et habitantes parfois victimes de guerres de gangs ; dès lors les discours moralistes accompagnent la doctrine répressive et prospèrent avec elle.
- Michael Cetewayo Tabor, Capitalisme + came = génocide, PMN Éditions, février 2023, 52 pages, gratuit (pdf en ligne).
Résistances à l’ordre policier
La dimension stigmatisante et raciste permet à la répression de supplanter la prévention, par exemple les embûches semées par la bourgeoisie pour ralentir le développement des « salles de shoot » qui permettent une meilleure prise en charges des consommateurs addicts. Au final, la répression est inefficace, et les moyens utilisés ne visent que superficiellement les « commanditaires » et se concentrent sur la répression des petits dealers. Cela provoque naturellement des résistances à l’ordre policier imposé aux quartiers populaires et à ses violences. Des contestations internationales sont apparues, ainsi l’ONU reconnaît que la répression provoque des problèmes de santé publique et de respect des droits humains [6]. Par ailleurs, l’ancien président du Venezuela Chavez a interdit à la DEA d’opérer dans le pays, considérant que l’impérialisme américain se prolonge dans la lutte antidrogue. Le nouveau gouvernement colombien a décidé de réagir également en ce sens [7]. En France des organisations comme ASUD dénoncent le prohibitionnisme, la guerre à la drogue et ses dimensions racistes. Mais alors que le coût humain de cette guerre est décrié jusqu’à l’ONU et remis en cause, les néo-fascistes états-uniens et français décident pourtant de la relancer…
Un processus de fascisation
50 ans de « guerre à la drogue » ont ancré dans les sociétés le racisme et l’autoritarisme sécuritaire, nous habituant aux lois punitives et liberticides et aux recours à la violence, au contrôle, à la surveillance et aux incarcérations, visant particulièrement certaines populations racisées et associées à des « ennemies de l’intérieur ». Comme la guerre au terrorisme, elle justifie la policiarisation de l’armée et la militarisation de la police et alimente le marché de la sécurité.
Ces deux doctrines font ainsi partie des courroies de transmission du processus de fascisation de l’État et de la société [8]. S’opposer à la « guerre à la drogue » ce n’est pas être complaisant ou angélique sur la consommation de drogue et encore moins avec les réseaux de narcotrafic, pas plus que refuser la « guerre au terrorisme » signifie une complaisance avec l’intégrisme religieux et les attentats de masses réactionnaires. Au contraire c’est constater que non seulement elle est inefficace mais que plutôt que d’être une réponse, elle est un outil de la radicalisation des États. Nous devons la combattre, car elle est le produit du capitalisme sécuritaire et raciste et d’une évolution normale de l’État régalien, lui servant à masquer les problèmes issus de la misère capitaliste, tout en permettant la mise en place d’un système contre-insurrectionnel : une forme de guerre au peuple, raison pour laquelle les néo-fascistes la réactualisent. « La police ne peut résoudre le problème car elle fait partie du problème » [9].
Nicolas Pasadena (UCL Montreuil)





