Pleins feux

Retraites Automne 2010 : premiers bilans




Sans prétendre épuiser toutes ses caractéristiques, dont certaines n’apparaîtront qu’avec le recul et le temps, on peut toutefois réinscrire le mouvement dans une perspective historique propre à éclairer les opportunités qui se présentent aux syndicalistes de lutte, et les perspectives ouvertes, malgré la défaite, aux collectifs militants.

Incontestablement d’une portée historique, le mouvement social de l’automne 2010, à l’instar de ceux de 1995 ou 2003, peut, malgré la défaite, ouvrir des perspectives aux collectifs militants. Le mouvement social de l’automne 2010 manifeste quelques grandes filiations.

Avec le mouvement anti-CPE d’une part, du point de vue de son ampleur et de son élargissement continu sur huit semaines, de la haute et constante participation des salarié-e-s aux grandes journées d’action, de la solidarité similaire qui a commencé à émerger entre société française et grévistes.

En revanche du point de vue de la dynamique du mouvement et de ses forces motrices, on est dans la continuité des grèves de 2009 : le mouvement s’est organisé moins autour de professions « en pointe », que de convergences interprofessionnelles locales, souvent portées par une intersyndicale (Rouen, Le Havre) mais pas partout (Bouches-du-Rhône). L’exception des raffineries, restées fers de lance, illustre le rôle croissant du privé, tandis que dans le public ce sont les fonctionnaires territoriaux qui ont pris le relais des grands secteurs de l’éducation et des transports [1].

Enfin, touchant au rôle de l’intersyndicale et à sa stratégie, l’« Anatomie d’un grand mouvement social » de Sophie Béroud et Karel Yon [2] les analyse comme une recherche des faveurs de l’opinion à travers une posture « responsable », mais qui rime avec un relatif désaveu du syndicalisme de lutte. À l’encontre du point de vue des auteurs cités, on peut penser que de nombreuses tentatives d’auto-organisation du mouvement sont nées du rejet de cette stratégie. C’est le cas des deux appels de syndicalistes pour la grève générale.

Des points d’appui

Ces appels (voir AL n°199 et 200), en montrant qu’il était possible de porter des orientations communes par delà les appartenances organisationnelles respectives ont pu servir la mobilisation. Mais ce travail de convergence et d’unité d’action des syndicalistes de lutte n’en est qu’à ses balbutiements. Il peut néanmoins s’affirmer demain à partir de toutes les actions collectives, unitaires et de masse mises en œuvre dans le mouvement : blocages de dépôts de carburant, solidarité physique sur les piquets de grève, barrages des axes de communication, encerclements des zones industrielles…

Autant d’éléments de mobilisation reposant sur l’action directe des travailleurs et des travailleuses, qui, associés aux convergences interprofessionnelles locales mentionnées plus haut, peuvent servir de fondations à la mise en place d’un véritable réseau syndical de lutte.

Des questions en suspens

Mais ce mouvement social laisse des questions que les syndicalistes de lutte, les militants révolutionnaires, ne peuvent évacuer. Un des principaux « ratés » de ce mouvement est de ne pas avoir trouvé l’articulation pertinente entre grève de 24 heures, grève reconductible et actions directes de masse. La mobilisation aura donc pour l’essentiel reposé sur les fameuses grèves « carrées », « saute-mouton », tant critiquées.

C’est bien la succession de ces journées qui a construit un calendrier d’action… permettant à des équipes syndicales de le déborder pour partie entre les 23 septembre et 19 octobre sous la forme d’une série de reconductions, même restées circonscrites aux raffineries et à la SNCF.

Maintenir une offensive de terrain

Voilà qui limite la focalisation sur les temps forts démobilisateurs. C’est bien plutôt l’abandon en rase campagne des équipes militantes engagées dans les reconductions et les actions directes de masse qui a freiné les débordements. Ces actions qui n’ont pas suffisamment pris d’ampleur pour imposer un calendrier d’action alternatif après la mi-octobre.

Pourtant, en posant assez centralement les questions de grève générale, de blocage de l’économie, de redistribution des richesses pour des centaines de milliers de salarié-e-s mobilisé-e-s, le mouvement de l’automne 2010 nous offre des perspectives. Nous ne devons pas laisser échapper un tel contenu politique. Il appartient aux militants révolutionnaires de travailler sur ces éléments de bilan à deux niveaux immédiats.

Dans les équipes syndicales d’abord, en ayant un vrai débat sur les orientations stratégiques : qu’est-ce que la grève générale ? Comment faire pour la construire, éviter l’incantatoire ? Comment mobiliser collectivement les salarié-e-s, leur proposer des pratiques de rupture, d’action directe ? Et ensuite sur le terrain lui-même en relançant les luttes sociales. Dans de nombreux endroits, des militants ont mis leurs pratiques en commun, et sont susceptibles de construire une offensive de terrain, peut-être de plus basse intensité, mais inscrite dans la durée et à même d’ouvrir un nouveau cycle de contestation.

Mouchette (AL 93) et Théo Rival (AL Orléans)

[1Amoindris tant par la défaite de 2003 que par les récentes évolutions y favorisant la précarisation et la division des salariés.

[2Tous les travaux de Sophie Béroud et Karel Yon cités ici sont accessibles sur le site web de la revue Contretemps.

 
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