SUD-Solidaires : L’interpro, ça finit par payer !




Engagée depuis le début du mouvement contre la loi Travail dans une démarche intersyndicale parfois inconfortable, l’Union syndicale Solidaires est parvenue à trouver sa place parmi les grandes centrales tout en imposant des mots d’ordre radicaux largement partagés et diffusés localement.


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A la fin de février, après l’annonce du projet de loi El Khomri, les communications de l’intersyndicale dont Solidaires est membre semblaient privilégier le « dialogue social » avec le gouvernement au détriment d’une opposition claire. Il a fallu atten­dre le succès de la manifestation du 9 mars, appelée principa­lement sur Internet, pour que
les syndicats les plus combatifs appa­raissent dans la rue et prennent leurs responsabilités en se lançant dans la préparation d’une journée de grève et de manifestation le 31 mars.

Si Solidaires, avec ses 110.000 membres, ne compte pas autant que les poids lourds de l’inter­syndicale que sont la CGT (700 000) ou FO (250 000), l’union Syndicale a néanmoins su porter à partir de là des mots d’ordre combatifs et les ancrer dans le quotidien. Les cadres interprofessionnels élaborés dans les unions locales et départementales ont permis de mettre en débat partout où cela était possible la question de la grève reconductible et des blocages économiques.

Pousser à des dates de plus en plus rapprochées

A partir de la journée d’action nationale du 31 mars, Solidaires s’est employée à pousser, au sein de l’intersyndicale, à des dates de plus en plus rapprochées pour favoriser des départs en grève reconductible à partir du mois de mai, partout où la chose était possible.

L’idée directrice de Solidaires était de tenir un rythme de mobilisation soutenu pour populariser le refus de la loi Travail, per­mettre aux travailleuses et aux travailleurs de constater leur nombre dans la rue, de reprendre confiance, et crédibiliser ainsi ­l’idée de grève reconductible.

Le 3 mai, Solidaires provoque la surprise en appelant publiquement à la grève reconductible lors du meeting unitaire, place des Invalides, à Paris, à l’occasion de la première lecture du projet de loi Travail à l’Assemblée nationale. Cet appel a contribué à donner d’autres perspectives sur le terrain aux syndiqué-es pour qui les journées de grève espacées d’une ou de deux semaines ne permettaient pas d’engager la lutte dans leur secteur. Mais c’était un pari. Il s’agissait que cet appel soit suivi d’effet sur le terrain. Alors que, jusque courant mai, le reste de l’intersyndicale considérait cette position volontariste comme une posture incantatoire, la mobilisation des travailleurs et des travailleuses a montré qu’un mouvement fort de grèves et de blocages économiques était possible. Défendre ce rythme croissant dans la mobilisation allait de pair avec un fonctionnement démocratique et l’usage d’outils favorisant la transparence, comme des bulletins internes nourris des actualités locales et diffusés à toutes et tous les adhérents.

Occupation de la basilique de Saint-Denis

Cette stratégie de lutte n’est pourtant pas évidente à tenir pour Solidaires, qui n’a aujourd’hui pas les moyens à elle seule de construire une grève majoritaire dans des « secteurs bloquants » (chimie, raffineries, transport, docks et zones portuaires...) et qui reste peu présente dans le ­privé. Cependant les syndiqué-es sont parvenu-es à impulser, à ­l’échelon local, des collectifs interprofessionnels permettant de populariser la grève et de dépasser les cadres de mobilisation sectoriels qui prévalent même dans un mouvement d’ampleur. Ces collectifs interpro sont porteurs de radicalité, d’abord dans les modes d’action – ce sont généralement eux qui impulsent les blocages économiques – mais aussi dans le contenu politique, puisque les débats qui s’y mènent s’élèvent, par la force des choses, au-dessus des problématiques strictement sectorielles.

La stratégie de développement des Solidaires locaux, élaborée en 2009, s’avère payante : le syndicalisme ne se vit pas uniquement sur le lieu de travail mais de manière interprofessionnelle, par dans les quartiers. C’est ainsi qu’à Saint-Denis, Solidaires a participé, en marge d’une Nuit Debout, à l’occupation de la basilique avec le DAL et des familles expulsées de leur logement. A Rennes, ça
a été l’implication dans la reconquête de l’ancienne bourse du travail : la « Maison du peuple » devenue, pendant un temps, un lieu de rencontre et de débat pour les anti-loi Travail.

Ces aspirations se sont manifestées dans l’activité d’un bon nombre de fédération ou de syndicats SUD. SUD-Rail s’est ainsi employé à lier les revendications propres au chemin de fer au mouvement contre la loi Travail, et cela malgré la frilosité des autres syndicats cheminots. De même, SUD-Education a tenté, avec succès au vu de l’essor de ses cortèges à Paris par exemple, de faire converger les luttes contre la précarité dans l’Education nationale et la lutte contre la loi Travail.

Composer avec toutes les sensibilités

La radicalité affichée dans la rue par Solidaires résulte donc bien de l’alternative qui est portée au quotidien sur le terrain. Alors que le mouvement social a pu paraître à certains moments écartelé entre un mouvement syndical traditionnel jusqu’ici en perte de vitesse, un milieu autonome spontanéiste et des formes plus citoyennistes du type Nuit debout, Solidaires a su composer avec toutes les sensibilités du mouvement social, sans marquer de rupture, tout en affirmant sa stratégie : convaincre que c’est par une grève massive qu’on gagnera.

Les manifestations ont été un moment-clef de l’affirmation des positions de Solidaires qui a réussi, dans un climat plus que tendu, à maintenir des cortèges structurés et combatifs jusqu’à leur terme en garantissant la sécurité des camarades qui s’y trouvaient.

Les succès de Solidaires dans la rue annonce un renforcement du syndicalisme de lutte, des unions locales et de la dynamique interprofessionnelle qui y est portée. Reste à voir si cela permettra à Solidaires de s’implanter plus largement dans le privé. Ce sera sa capacité à entraîner des secteurs entiers dans la grève qui permettra à Solidaires de peser plus fortement dans l’intersyndicale mais surtout dans le mouvement social. Les liens tissés aujour­d’hui dans la lutte entre les militants et militantes de Solidaires, les syndicats les plus combatifs de la CGT, les mouvements de jeunesse et les précaires décideront des victoires de demain.

Maud (AL Paris nord-est)

 
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