Salariat : dévouement militant, gare à l’arnaque




Pour les animatrices et animateurs de colonies de vacances, c’est la surexploitation sans fard : proportionnellement au nombre d’heures travaillées, le salaire est dérisoire – presque de l’argent de poche. Et cela, avec la complicité des employeurs et de l’État.


Cet article est issu d’un dossier spécial sur l’éducation populaire


Pourquoi les animatrices et les animateurs revendiquent-ils si peu leurs droits ? Parce qu’ils vivent un paradoxe. Au nom de la tradition militante de l’éducation populaire, on considère l’animation comme un engagement au service des enfants. En réalité, elle est au service de structures dépolitisées, prestataires de services.

Résultat : les employeurs exigent à la fois une posture professionnelle – neutralité, responsabilité, autonomie, respect de la hiérarchie – et les sacrifices d’un engagement militant – en terme de temps de travail, de mise en danger, d’investissement...

Solidaires-Isère, attaque en justice

La contractualisation de ce paradoxe porte un nom : c’est le contrat d’engagement éducatif (CEE). Ce contrat massivement utilisé a pour particularité de ne pas relever du Code du travail mais d’un objet juridique hybride et très contesté : le Code de la famille.

En 2006, année de la création du CEE, Solidaires-Isère a dénoncé devant le Conseil d’État les entorses au droit du travail dont il fourmillait. Le syndicat a été débouté sur les questions de rémunération et de temps de travail hebdomadaire, mais, en octobre 2010, la Cour de justice de l’Union européenne lui a donné raison sur le repos quotidien. Celui-ci n’était tout simplement pas prévu dans le CEE !

Le lobby patronal contre-attaque

L’État français devait donc introduire dans le CEE un minimum de 11 heures de repos quotidien [1]. Mais cela ennuyait bien les employeurs qui ont aussitôt mis en place un véritable lobby – non pour réclamer davantage de financement public du « droit aux vacances », mais pour préserver… la précarité de leur main d’œuvre.

Un groupe de travail, dirigé par l’Inspection générale des affaires sociales, s’est alors mis en place avec des employeurs comme la Ligue de l’enseignement, la Jeunesse au plein air (JPA), le comité d’entreprise de la SNCF, des collectivités territoriales et des organismes à but lucratif. Objectif de la réflexion : contourner la décision de la justice européenne. Et là, le lobby a marqué des points. Le repos de onze heures consécutives par jour a été entériné, mais avec la possibilité de le limiter à huit heures, voire de le supprimer si besoin. De toute façon, les employeurs peuvent dormir sur leurs deux oreilles : les contrôles sont quasi inexistants, le gouvernement est de connivence.

Le plus intéressant, dans cette contre-offensive, c’est toutefois le discours sur lequel elle s’est appuyée.

Le Front populaire a bon dos !

Après un discours empreint de nostalgie sur la défense de nos jolies colonies de vacances attaquées par les normes absconses de Bruxelles [2], le lobby a invoqué la spécificité française du secteur de l’animation, issu du Front populaire. Des employeurs qui se réclament de « la spécificité française » [3] et du Front populaire, non vous ne rêvez pas ! C’est la magie du patronat de gauche.

Jamais à court d’imagination, les employeurs se sont également mis à revendiquer, dès le jugement européen, la création d’un statut de volontaire qui permettrait, une fois encore, d’échapper au Code du travail. Et de jurer, la main sur le cœur, qu’il ne s’agirait pas de travail dissimulé.

Oui, on peut faire autrement

Les animatrices et animateurs de l’association Les 400 coups (Isère) ont décidé d’aller à contre-courant. Certes, porteurs d’un projet autogestionnaire et anticonsumériste, ils ne veulent pas perdre le caractère militant de l’animation, mais ils refusent que cela justifie la casse des conditions de travail.

En instaurant l’égalité salariale entre directeurs et animateurs et en intégrant dans les équipes des intervenants spécialisés (encadrants sportifs, culturels,...) plutôt que de recourir à des « prestataires extérieurs », Les 400 coups ont abouti, pour l’année 2015, à des quotas d’encadrement corrects tout en portant le forfait journalier à 40 euros. Un des objectifs de long terme est d’atteindre le smic horaire. Et oui, c’est demander le beurre et l’argent du beurre... Les animatrices et les animateurs volontaires n’ont généralement ni l’un ni l’autre.

Tudy (AL Savoie)


ABOLIR LE SALARIAT GRÂCE AU « SERVICE CIVIQUE »

Il est courant que des associations fassent travailler des jeunes en service civique, pour des durées de six à douze mois, et un temps de travail de 24 à 35 heures hebdomadaires… le tout pour 573 euros net par mois. Le service civique a été créé en 2010 par Martin Hirsch, officiellement pour aider à l’insertion professionnelle de jeunes peu ou pas diplômés.

Pourtant, il n’ouvre pas droit aux indemnités chômage. Pourquoi ? Parce qu’il n’est pas rétribué par un salaire, mais par une « indemnité » – 442 euros versés par l’État + 100 euros versés par l’association. Un bon moyen pour faire bosser des gens pour pas cher : 542 euros pour un temps plein, qui dit moins ?

Les responsables associatifs peuvent bien être titillés par leur mauvaise conscience… les volontaires ne manquent pas. Ces services civiques sont en effet, pour beaucoup, l’occasion de servir une cause en laquelle ils et elles croient, tout en touchant un petit revenu, et en espérant un emploi pérenne par la suite.


LE CEE : TRAVAILLER POUR 1,78 EURO DE L’HEURE

Quelles sont les traits principaux du contrat d’engagement éducatif (CEE) ?

Durée : extensible
 plafond horaire : 48 heures par semaine… calculé sur une moyenne sur six mois ;
 la totalité des contrats signés par une ou un employé ne peut excéder 80 jours sur 12 mois consécutifs.

Temps de repos : rétractable
 chaque semaine : minimum un jour complet ;
 chaque jour : minimum 11 heures consécutives.
Ce repos quotidien peut toutefois être supprimé ou être réduit à 8 heures, ouvrant droit à un repos compensateur par la suite.

Rémunération : en fraises Tagada
Le forfait journalier minimum est de 21,40 euros.
Une ou un animateur payé au plancher, qui fait douze heures dans une journée travaille donc pour 1,78 euro de l’heure !

Rupture du contrat : sans pitié
Si une ou un animateur est malade ou accidenté, l’employeur peut rompre le contrat pour « impossibilité pour le titulaire de continuer à exercer ses fonctions ».

[1« Désormais, les monos de colos ont droit à un repos quotidien », Libération, 11 octobre 2011.

[2Jean-Paul Fauché (Ligue de l’enseignement) : « L’ Europe veut-elle la peau de nos jolies colonies de vacances ? », sur Atlantico.fr, le 4 août 2011.

[3Généralement, le patronat est plus prompt à invoquer le modèle anglo-saxon ou allemand, et à déplorer le « retard français ».

 
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