Syndicalisme

Sans-papiers : Des grévistes face à l’hypocrisie de l’État et de La Poste




Voilà un an que des travailleurs sans-papiers s’affrontent à la direction de La Poste et aux préfectures d’Île-de-France pour exiger leur régularisation. L’État, comme donneur d’ordre, refuse toujours d’assumer sa responsabilité et s’entête à refuser des régularisations collectives. Le bras de fer se poursuit.

Depuis fin octobre 2021, trois grèves de travailleurs sans-papiers ont démarré successivement et ont installé des piquets devant leurs entreprises. Ce sont les plateformes de DPD (filiale de La Poste) du Coudray-Montceaux, l’agence Chronopost d’Alfortville, et l’agence d’Intérim RSI de Gennevilliers. 

Ils sont soutenus par de nombreux travailleurs d’autres entreprises qui exigent aussi leur régularisation.  Ils sont organisés au sein du Collectif de Travailleurs Sans-Papiers de Vitry (CTSPV), actif dans toute l’Île de France, et soutenus syndicalement par Sud-PTT 94 et Sud Poste 91.

Un tract commun à ces organisations dénonce que l’exploitation sans vergogne de travailleurs sans-papiers est de mise depuis des années dans chacune de ces filiales : « obligés de bosser avec des horaires de dingues […] dont les heures supplémentaires (voire même une partie des heures tout court) ne sont pas payées, et dont les missions sont interrompues dès qu’ils réclament leurs droits ».

La régularisation des travailleurs en lutte des trois piquets dans le cadre d’une négociation collective est devenue la principale revendication. Mais au bout d’un an, la réponse reste la même : étudier les dossiers au cas par cas et refuser toute régularisation collective. La fin de non-recevoir est clairement politique, il s’agit d’épuiser et de faire échouer les tentatives d’organisation ¬collective.

Le tour de passe-passe de La Poste

L’État est actionnaire du Groupe La Poste, qui a plusieurs filiales dédiées au tri et à la livraison rapide de colis dont DPD et Chronopost. Pour concurrencer les géants du privé et faire baisser les coûts, ces filiales recourent massivement à des travailleurs sans-papiers via des cascades de sous-traitance. Ainsi DPD du Coudray sous-traitait la gestion de la moitié de son site au géant des services aux entreprises, Derichebourg, qui lui-même passait par de multiples sous-traitants pour embaucher des sans-papiers. En bout de chaîne, il devient presque impossible de faire le lien entre le travailleur et le donneur ¬d’ordre.¬

Extension du conflit à l’automne 2021

Dans les Hauts-de-Seine, le 22 octobre 2021, 83 travailleurs de l’agence RSI (spécialisée dans le BTP) se mettent en grève à Gennevilliers. Ils exigent la délivrance des CERFA (promesses d’embauches nécessaires à la régularisation) par leur employeur, et de la préfecture leur régularisation. Ils obtiennent les CERFA au bout de deux mois, mais le bras de fer avec la préfecture durera un an  !

En décembre 2022 ils obtiennent tous des récépissés avec autorisation de travail, ce qui devrait déboucher prochainement sur des cartes de séjour.

Dans l’Essonne, le 15 novembre 2021, 70 travailleurs sans-papiers du site DPD du Coudray-Montceaux se mettent en grève et installent un piquet tenu jour et nuit. Cette action est préparée de longue date par le CTSPV en lien avec Sud Poste 91.

Saisie du dossier, l’inspection du travail conclut que les grévistes ont bien été embauchés par Derichebourg, qui empêche par ailleurs toute tentative de médiation. En mai, c’est une première victoire : La Poste met fin aux contrats avec cette entreprise dans les deux sites en lutte (DPD et Chronopost).

En novembre, le procureur de la République ordonne à la gendarmerie de mener une enquête dont l’objectif est de confirmer que Derichebourg organise sciemment le travail de sans-papiers. C’est un nouveau coup de pression sur la préfecture. Cette ouverture laisse espérer un dénouement positif, mais le bras de fer se poursuit.

Dans le Val de Marne, après des luttes en 2019, la grève du Chronopost d’Alfortville démarre le 7 décembre 2021, en parallèle de celles commencées dans les Haut-de-Seine et l’Essonne. Comme en 2019, ils campent dans des abris de fortune bâchés, bravant le mauvais temps, au bord d’une route de la zone industrielle. 

Plusieurs rassemblements et manifestations sont organisées : devant la préfecture à Créteil, le ministère de l’Intérieur, les sièges sociaux de La Poste et de ses filiales, pour exiger que ces patrons assument leurs responsabilités  !  Le ministère du Travail a reçu une délégation des travailleurs en lutte à deux reprises, la situation et les responsabilités des sous-traitants et des donneurs d’ordre est parfaitement connue.

Racisme et capitalisme

Le gouvernement, cherchant à combler les pénuries dans les « secteurs en tension » tout en maintenant ce régime inégalitaire raciste et en courant derrière le RN, observe la multiplication de ces résistances collectives avec inquiétude. Ces luttes actuelles contre La Poste sont à intégrer au cycle de résistances des travailleurs et travailleuses migrantes qui ont émergé ces dernières années, comme celle des femmes de chambre des Ibis Batignolles en 2021.

Ces résistances mettent en lumière l’articulation de l’exploitation capitaliste et du racisme systémique qui soumet à la précarité l’ensemble des racisées, en proie à l’uberisation et aux emplois dégradés, entre autre dans la sous-traitance via notamment le recours à l’intérim. Les françaises issues de la colonisation y sont aussi soumises via les discriminations, la reproduction sociale et le chômage. Les immigrées subissent la xénophobie d’État et la précarité du séjour qui offre au patronat une armée de réserve de travailleurs sans droits.

Car le renouvellement du titre de séjour dépend de l’embauche, donc de l’employeur, depuis la circulaire Valls de 2012. Dans ce cas-ci, la responsabilité du gouvernement, en particulier en ce qui concerne La Poste et ses filiales, est totalement engagée comme actionnaire majoritaire dont il contrôle le capital aux côtés de la Caisse des dépôts et consignations. L’État ne peut feindre d’ignorer le système d’exploitation mis en place depuis des années.

La grève actuelle le met à nu, surtout qu’elle est résiliente et ne s’essouffle pas  !

Le bras de fer continue, et les différentes initiatives permettent de continuer à médiatiser la mobilisation, en espérant que l’accumulation de moyens de pression finisse par payer  !

Adrien (UCL Grand-Paris-Sud), Nico Pasadena (UCL Montreuil)


La grève de 2019-2020 à Alfortville

La lutte des Chronopost d’Alfortville a succédé à un premier acte qui fut victorieux en 2019. Une trentaine de travailleurs sans-papiers avait déjà campé durant six mois devant ce centre de tri de Chronopost à Alfortville, avec le soutien du collectif de sans-papiers de Vitry, de Sud-PTT et de l’union locale Solidaires 94. Ils témoignèrent : « Les supérieurs nous mettent la pression et nous imposent des cadences infernales. Nous ne pouvons pas nous plaindre, pas prendre de pause, ni prendre un jour pour nous soigner, sinon, c’est la fin de la mission ».

Victorieux à l’issue de la lutte ils avaient gagné un titre de séjour. La Poste sera condamnée en 2019, puis 2020 pour prêt illicite de main-d’œuvre et délit de marchandage à la suite de la mort d’un salarié non-déclaré, Seydou Bagaga, employé par un sous-traitant de Coliposte, qui s’était noyé en voulant rattraper un colis tombé dans la Seine.

 
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