Stagiaires : « Sans contrat, sans salaire, sans droit »




Vêtus de noirs, masque blanc. Une apparence qui ne laisse pas sans voix, tant sur les ondes que dans les discours de nos chers patrons et politiciens. Depuis le mois de septembre, ils sont un nombre croissant de stagiaires à se rassembler autour d’une seule revendication : la création d’un statut du stagiaire permettant ainsi de lutter contre l’esclavagisme moderne et les pratiques de travail déguisé.

« Réclamons un bilan, un véritable état des lieux. Et pour se faire, en attendant, ne travaillons plus gratuitement et refusons les stages. C’est fou, c’est la grève, on est pas en situation de force pour la faire… mais les ouvriers du début du siècle étaient loin d’une situation plus favorable. Ils travaillaient 15h par jours et avaient à charge leur famille, leur loyer. Il n’y avait pas de syndicats, de CAF, de RMI, de lois pour l’emploi. Ça ne les a pas empêchés de penser et d’agir. » [1] Ce bref extrait d’un message posté sur un forum Internet, illustre le point de départ de cette mobilisation inattendue face à la perversion d’un système depuis longtemps constaté. Katy, 32 ans, diplômée d’un DESS de direction de spectacle vivant, avec une formation Beaux-Arts, collectionne près d’une dizaine de stages.

Elle est l’auteure de ces quelques lignes. Suite à la publication de son message, de nombreuses réponses positives d’autres stagiaires ont fusé, puis les premières émissions de radio, un site Internet regroupant divers témoignages et expériences communes ont vu le jour.

Le 30 septembre, ils sont 8 à se réunir. Une première apparition, enfin, lors de la manifestation interprofessionnelle du 4 octobre, l’occasion pour ces stagiaires de faire entendre leur voix. Le collectif Génération Précaire se constitue, revendiquant son indépendance vis-à-vis de tout parti politique ou syndicat, préservant les diverses sensibilités politiques, avec pour seul objectif : la mise en place d’une loi, c’est-à-dire un cadre obligatoire et contraignant et rappelant l’objectif pédagogique du stage.

Mais la situation n’est pas nouvelle. Dès 1978, un arrêté permet à l’entreprise (ou l’administration) de ne pas rémunérer le stagiaire. D’une manière plus générale, pour un stage de 3 mois, la rémunération s’élève à 300 euros. L’entreprise se voit donc être bénéficiaire d’un employé coûtant 3 fois moins qu’un salarié payé au Smic, d’une déduction fiscale qui, dans certaines conditions peut aller jusqu’à 10% de la taxe d’apprentissage, et d’une indemnisation des cotisations sociales.

Quelle aubaine pour le patronat, une main-d’œuvre docile, peu onéreuse, et de surcroît qualifiée ! Malheureusement, pour cette génération de jeunes précaires en voie d’insertion professionnelle, et, dans le cadre d’une éducation cogérée par le Medef, il est impératif de professionnaliser ses diplômes, le stage étant une sorte de valeur ajoutée de son cursus universitaire.

Le stage est ainsi devenu un passage obligatoire de fait pour ces 800 000 étudiants [2] en France puisque 95 % des jeunes diplômé(e)s déclarent en avoir effectué au moins un durant leurs études, alors que 9 % accèdent à un poste en fin de contrat.

De l’esclavage légal

La situation est d’autant plus critique lorsque les conséquences d’un tel système s’élargissent à la société entière. En effet, ces pratiques abusives conduisent à remplacer un salarié permanent par une succession de conventions de stage université/employeur. Alors que le chômage chez les moins de 26 ans s’élève à 21 % [3], la nécessité de stabiliser sa future vie professionnelle passe par la multiplication des expériences à n’importe quel prix. La précarité devient alors le lot quotidien : impossibilité de devenir autonome, difficulté d’accès au logement ou au crédit, aucune cotisation à l’assurance chômage ou à la retraite. Au niveau de la protection même du salarié, le stagiaire se trouve à nouveau dans une impasse : n’étant pas considéré comme employé de l’entreprise mais comme étudiant, la saisine des Prud’hommes ou du Tribunal admnistratif est impossible, de même que l’intervention de l’Inspection du travail. D’autant que l’entreprise n’est en rien tenue de jusitifier un licenciement.

À partir de ce constat, le collectif Génération Précaire a développé un certain nombre de revendications :
 l’ inscription du statut du stagiaire dans le Code du travail ;
 le stage doit retrouver un caractère pédagogique, ainsi l’université ou l’organisme de formation doit contrôler l’adéquation du stage par rapport à la formation ;
 l’entreprise doit respecter un quota de stagiaires, en fonction de son nombre de salarié(e)s ;
 l’instauration d’une rémunération minimale, progressive et assujettie aux cotisations sociales.

Ces trois derniers mois, les stagiaires en lutte ont su développer un mode d’organisation horizontal, et percutant. La division du collectif en 6 pôles (médias, témoignages, études, juridique, politique, mobilisation) a permis d’interpeller les médias, et attaquer de front le gouvernement.

Leur plate-forme revendicative a donc été présentée aux 5 centrales syndicales, au patronat (Medef et CGPME), aux députés et sénateurs. Des rencontres sont en cours avec les ministères de l’Education nationale et de l’Emploi.

Le fonctionnement en réseau de Génération Précaire permet le développement de nouveaux collectifs sur d’autres villes de France (Lyon, Lille, Bordeaux, Caen, Toulouse, Strasbourg…) ainsi que d’un réseau européen avec l’Espagne, le Portugal, l’Allemagne et l’Italie en l’occurrence. S’ajoutent les flash mobs, des actions mobiles et rapides, l’occasion de scander une nouvelle fois « nous voulons une loi, pas une charte », action leur permettant d’acquérir un soutien médiatique certain. « Nous sommes motivés et nous irons jusqu’au bout pour faire aboutir nos revendications », ne manque pas de souligner Benoît.

Marie-Au. (AL Paris Sud)

[1extrait du 02-09-05 surgrevedesstagiaires.blog.ca

[2Rapport du Conseil économique et social, juillet 2005.

[3Observatoire de la vie étudiante, 2003.

 
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