Suicide de Caroline Grandjean : L’Éducation nationale fait une nouvelle victime

Le jour de la rentrée scolaire, Caroline Grandjean, directrice d’école dans le Cantal, s’est donnée la mort après des mois de harcèlement lesbophobe. Au-delà de l’horreur et de la tristesse, il y a la colère : celle envers l’institution scolaire qui a ajouté la violence de l’indifférence à celles déjà subies. Car son suicide, aussi brutal soit-il, n’est une surprise pour personne. Avant sa mort, l’institutrice n’a eu de cesse de témoigner du sentiment d’abandon et d’humiliation qu’elle ressentait vis-à-vis de l’Éducation nationale. Notre soutien va à sa femme et à ses proches.
Tout commence en décembre 2023, lorsqu’est découverte l’inscription « Sale gouine » dans l’établissement. La directrice alerte alors l’inspection, mais obtient pour toute réponse qu’elle doit « rester professionnelle ». Elle se met en arrêt quelques jours et porte plainte contre le corbeau une première fois – cinq plaintes seront déposées au total, toutes restées sans suite.
En mars 2024, après une inscription « Gouine = pédophile », l’inspectrice s’empresse de l’appeler « pour lui faire comprendre qu’elle ne devait pas se mettre en arrêt, pour que l’école continue de tourner ». À la fin du mois, on découvre une menace de mort dans la boîte aux lettres de l’école. La directrice académique propose de la faire muter loin de chez elle, « pour sa protection ».
Début 2025, l’institutrice contacte l’auteur de bande dessinée Christophe Tardieux, alias Remedium, qui recueille les témoignages de directeurs et directrices d’écoles en souffrance. Lorsque son histoire est publiée dans l’album Cas d’école, l’Éducation nationale va jusqu’à porter plainte contre l’auteur en diffamation, procédure au cours de laquelle Caroline Grandjean est convoquée au commissariat en tant que témoin – humiliation supplémentaire [1].
Une institution hétéro-patriarcale
Comment pourrait-on être surpris et surprise qu’après tant de minimisations, de tergiversations, et même de dissuasions de la part de l’institution, la directrice d’école ait finalement décidé de mettre fin à son calvaire ? Comment être surpris et surprise, quand cela vient s’ajouter aux manques de réaction de la part des collègues, des familles des élèves, de la mairie ? Plutôt que de protéger ses fonctionnaires face à la violence homophobe, l’Éducation nationale préfère endosser son rôle de machine à broyer.
Les cas similaires en milieu scolaire, s’ils ne tuent pas toujours, adviennent trop fréquemment pour que l’on parle de simples défaillances du système. On peut parler des enseignantes et enseignants, mais il ne faut pas oublier le reste du personnel, et bien entendu les élèves – ces dernières années on pense aux suicides de Lucas, Dinah ou encore Avril. Ces différentes victimes toutes ont en commun d’être LGBTI, d’avoir demandé du soutien, de n’en avoir pas reçu assez.
La mort de Caroline Grandjean m’émeut d’autant plus qu’elle me ramène à ce que j’ai vécu au centre de formation où j’enseignais. La convocation par le directeur qui me demande de « ne pas faire de provocation », le mégenrage et refus de mes supérieurs hiérarchiques d’employer mon prénom choisi qui m’ont finalement amenée à démissionner. L’homophobie et la transphobie dans l’Éducation nationale, et plus généralement dans le domaine de la formation, sont systémiques. On attend des enseignantes et enseignants qu’elles et ils transmettent les valeurs de la République et assument leur devoir de neutralité – et par neutralité on veut dire, entre autre choses, ne pas contrevenir à la norme cis-hétéro.
Face à la violence de l’institution, beaucoup se cachent et décident de subir le placard en silence. D’autres, comme Julia Torlet, enseignante et présidente de SOS Homophobie, prennent le risque d’être visibles et offrent aux élèves LGBTI des modèles auxquels s’identifier et auprès de qui s’exprimer [2].
De mon côté, je pense que l’Éducation nationale devrait considérer les profs, instituteurs et institutrices LGBTI comme une chance plutôt qu’un embarras. Non pas dans un principe libéral creux de diversité, mais parce que nous sommes en première ligne pour prendre conscience des différentes formes d’oppression qui traversent l’institution. À une époque où les réactionnaires cherchent à lui imposer leur vision autoritaire et traditionaliste, il est plus que jamais temps d’aller vers une éducation qui prenne en compte la violence sociale plutôt que de l’invisibiliser. Nous organiser pour politiser l’enseignement est une urgence : des ressources se développent pour sensibiliser et former les personnels [3].
Pour que l’école ne soit plus un lieu de souffrances mais un espace de soin. Pour que cessent les victimes.
Johanna (commission Antipatriarcat de l’UCL)





