Xe congrès d’AL (Angers, 2010)

Sur les quartiers populaires




A la suite des révoltes de novembre 2005, le constat de l’abandon militant, social et politique des cités par les courants d’extrême gauche fut plus que flagrant. Alternative libertaire, dont plusieurs militants sont engagés depuis plusieurs années sur ce terrain, doit s’engager pour la construction d’un mouvement social des quartiers, autogestionnaire et sans compromission politique.

Les quartiers populaires, en France comme ailleurs dans le monde (des simples quartiers ouvriers jusqu’aux ghettos ou bidonvilles) sont depuis plusieurs décennies des territoires où se retrouvent de façon concentrée les différentes injustices sociales, et plus exactement les différents rapports de domination que l’AL combat. Si la spécificité de la question sociale et raciale est prédominante (selon le pays le premier dénominateur commun est soit le critère sociale comme en France soit ethnique comme au USA, mais les deux sont indéniablement lié dans chaque cas), tous les autres rapports de domination s’y retrouvent plus qu’ailleurs et concentré : en premier lieu l’oppression étatique policière, judiciaire et carcérale, mais aussi l’oppression patriarcale (les femmes des quartiers populaires sont plus pauvres, exploitées, victimes du chômage ou de violences, davantage que les femmes du reste de la société). Tous les problèmes s’y retrouvent : chômage, logement, sans-papiers, éducation et services public... Les quartiers populaires, souvent insalubres, sont généralement les territoires urbains les plus pollués...

Les quartiers populaires reflètent l’analyse que fait l’AL de la spécificité et de l’interdépendance des différents rapports de dominations, (étatiste, bourgeois et capitaliste, raciste et colonial, patriarcal...). S’investir fortement pour l’émergence d’un large mouvement des quartiers, est aussi une des meilleures pistes pour la convergence des luttes. Populations souvent immigrées, les habitants et les habitantes sont parfois plus sensibles que le reste de la population aux questions et évènements internationaux, notamment lors d’évènements dans des pays où des liens familiaux ou culturels sont forts (exemple récent, les manifestations pour Gaza ou en solidarité avec le mouvement de grève aux Antilles). Un mouvement social fort dans les quartiers offre plus de possibilités de mobiliser sur des questions de solidarité internationale que n’importe quels autres mouvements.

Tous ces éléments peuvent se transformer en de multiples luttes qui concernent l’ensemble de la société mais qui sont bien plus concentrées, interdépendantes, sur les lieux de vies dits sensibles ou populaires. Il est temps de repolitiser nos territoires.

Pour toutes ces raisons, ouvrir, en parallèle au lieu de travail un second terrain de lutte dans les quartiers populaires est indispensable. Les syndicats doivent s’engager sur la spécificité que représentent les quartiers populaires et la prise en compte des différents rapports de domination, doit être une piste pour l’AL, à la fois pour l’émergence de ce mouvement social des quartiers, et pour le renouveau du syndicalisme de lutte de classe. Leur engagement contre les violences policières est souhaitable également.

On peut faire le même constat social concernant le milieu rural, différent territorialement et sociologiquement mais subissant finalement les mêmes rapports de dominations (les campagnes ont aussi leurs quartiers populaires). L’équivalent peut être fait à ce sujet.

1. Expériences politique dans les quartiers

En France, initié par certains courants de l’extrême gauche, autogestionnaire, tiers-mondiste, libertaire dans les années 1970 , le travail politique de quartier s’est ancré au sein même des quartiers populaires (création de la première Régie de quartiers à Roubaix,...). Cependant, l’arrivée au pouvoir de l’union de la gauche dans les années 1980, a transformé radicalement l’implication militante dans les quartiers. Les mesures prises par le fait de déléguer le lien social aux associations 1901 a entraîné d’une part une privatisation du lien social mais aussi la transformation des énergies militantes en professionnalisation du lien social. Cela a entraîné de nombreux effets pervers :
 La dépendance des associations envers les pouvoirs publics discrétionnaires sur le politiquement correct au travers du chantage à la subvention.
 Une nécessité de gestion rigoureusement productive qui a entraîné des dérives autocratiques de la part des CA et directeurs d’association envers leur personnel.
 Dans une période accrue de chômage, ce secteur emploie 1 million de salariés la plupart dans une précarité certaine. L’activité militante s’est donc transformée en source d’emplois de masse de la part de personnes cherchant un simple revenu et ayant au mieux une conscience humanitariste de son action Tout cela est très éloigné d’une réelle conscience de classe.

Pourtant dans d’autres pays ou continents comme l’Amérique du Sud, la pratique de l’action directe est présente dans les quartiers depuis un certains nombres d’années et avec des résultats : il faut savoir que les mouvements de chômeurs en Argentine sont des mouvements de quartiers populaires.

L’état jacobin social a, en France, aseptisé le volontarisme militant et exerce une chape de plomb au travers d’une politique néo-coloniale (répression, clientélisme, assistanat social, etc.)

La gauche de gouvernement a aussi réduit au silence l’émergence d’une génération militante issue de l’immigration, en institutionnalisant l’antiracisme au travers notamment de SOS Racisme et en pratiquant localement le clientélisme parmi les plus actifs de cette génération militante.

En soit, la gauche de gouvernement, comme la droite en suivant, n’a fait qu’appliquer les bonnes vieilles recettes pratiquées précédemment dans les colonies.

Cet abandon militant doit il être pour autant qualifié de « désert » ?

Un certain nombre de militants et militantes reste malgré tout présent dans ces quartiers, souvent salarié-e-s du service public ou des associations de lien social, mais aussi habitant-e-s. S’y rajoute une nouvelle génération de jeunes gens issus de l’immigration. Plusieurs initiatives existent déjà : le Mouvement des Quartiers pour la Justice Sociale (MQJS), à Marseille le CRAP...et le FSQP (MIB) dont les orientations actuelles reprennent malheureusement les erreurs électoralistes du passé comme les Motivés sur Toulouse. Au mieux ces expériences ont échoué à mettre en place une politique réelle pour les quartiers, au pire elles ont trahis ou se sont compromises. Les militant-e-s de l’AL impliqués dans cette dynamique restent vigilants quant aux rapports d’institutionnalisation ou de tendances électoralistes qui ont marqué les échecs du passé. Le MQJS se maintient dans le contre pouvoir. Autrement, des associations de contre pouvoir (comités de locataires, antiraciste, anti-fasciste, féministe, syndicats, comités de chômeurs, associations de solidarités internationales, etc.), indépendantes des institutions d’État, peuvent porter aujourd’hui l’expression politique dans les quartiers.

Il n’y a pas que le PS, PC et des associations au tournant électoraliste dans les QP : à droite l’influence des groupes politiques réactionnaires, communautaristes, intégristes religieux ou xénophobe y grandit sur le désespoir et l’absence de réponse concrète et spécifique aux quartiers de la part des courants progressistes. Par ailleurs, l’UMP tente une offensive politique et idéologique libérale dans son sens par les biais d’associations aidant à la création d’entreprise, valorisant l’effort et le mérite. Avec la commission quartiers populaire du NPA, un travail de terrain s’est mis en place à l’extrême gauche, mais leur objectif premier est l’implantation du NPA dans les quartiers, et faire des scores électoraux plus qu’y faire émerger un mouvement social, malgré l’engagement sincère de leurs militants et militantes et l’entrée dans le NPA, de nombreux habitants et habitantes des quartiers (particulièrement ces 2 dernières années). Pour ces raisons, le mouvement libertaire doit peser pour l’émergence d’un mouvement social des quartiers et pour l’émergence d’un mouvement progressiste fort, démocratique et autogestionnaire, sous contrôle des habitants eux-mêmes. Toute erreur due au sectarisme ou à une forme de paternalisme serait déplorable et provoquerait la désillusion des habitants et habitantes.

2. Nature des quartiers populaires

Le quartier en soi n’est pas seulement un lieu de vie comme peut l’être la résidence bourgeoise et/ou de classe moyenne. Il rassemble une population fortement discriminée racialement et socialement. Ce fait s’est accentué depuis la fuite des classes moyennes et des fonctionnaires qui partageaient auparavant ce lieu de vie. S’y retrouvent des travailleurs et travailleuses pauvres, certain-e-s étudiants et étudiantes précaires, plusieurs familles monoparentales, les chômeurs et chômeuses,...

Les militant-e-s anticapitalistes doivent partir de cette réalité pour reconstruire une identité collective du prolétariat, qui intégrerait y compris les catégories les plus marginalisées.

On peut déterminer aujourd’hui deux types de quartiers populaires :

Les premiers étant des quartiers intérieurs aux grandes villes dans lesquels la mixité sociale entre une population précaire issue de l’immigration et la présence de couches de salariés stables se partagent logement et espace public. Le 19e et 20e arrondissement de Paris mais aussi une partie de la proche banlieue comme à Montreuil, ou en province comme le quartier de Figuerolle à Montpellier ou Arnaud Bernard à Toulouse, font partie de cette catégorie où un potentiel militant existe.

Le second type est plus homogène sociologiquement, il relève des grands ensembles de béton construits en périphérie des grandes villes dans les années 1960-70. La grande borne à Grigny, Courcouronnes, les 3000 à la Courneuve, Vaulx-en-Velin ou le Mirail à Toulouse (même si ce dernier est considéré comme intra muros) ainsi que Chanteloup-les-Vignes (dont les bâtiments ne dépassent pas 4 étages). Si la hauteur des immeubles n’est pas un critère pour nous, c’est surtout la getthoïsation qui s’est installé dans ces habitats, qui nous interpelle.

3. Donner un sens aux dynamiques des quartiers

La convergence paraît évidente entre les différentes luttes sociales qui peuvent et sont menées habituellement.

Il ne semble pas envisageable d’espérer intervenir de façon constructive dans des quartiers où Alternative libertaire n’est pas un minimum implantés. En effet, ce sont aux personnes vivant concrètement une oppression de s’organiser contre celle-ci, et les militant-e-s d’AL ne se situent pas au-dessus de ce principe de base. Pour reprendre la distinction du paragraphe 2.2, cela signifie qu’une intervention d’AL dans les quartiers se fera principalement dans des quartiers mixtes socialement ou alors en soutien à une ou un militant habitant dans un grand ensemble ou encore en soutien extérieur à une lutte émergeant dans un quartier.

Une intervention dans les quartiers doit se faire par deux biais :
 une intervention politique directe, en tant qu’AL, éventuellement en lien avec d’autres organisations. La mise en place d’outils de contre-information (blogs, journaux, bulletins, émissions de radio) est une première option, expérimentée par le CAL 93 ces dernières années. Une intervention contre la politique municipale, que ce soit en terme de logements, de sécuritaire etc., en est une seconde, testée par le CAL Rennes l’an passé. Dans les deux cas, les CAL tirent un bilan positif de cette intervention.
 une intervention dans le mouvement social des quartiers. Il semble important de privilégier l’intervention dans des associations indépendantes des pouvoirs publics. Nous pensons en particulier ici aux associations de défense des sans-papiers, antiracistes, anti-expulsions, de chômeur-se-s etc. Ici aussi, une intervention de militant-e-s du mouvement social extérieur au quartier considéré ne peut se faire qu’en soutien à des militant-e-s habitant ou travaillant dans le quartier. Nous manquons cruellement de retour sur l’intervention de camarades investis dans le mouvement social des quartiers.

Afin d’inciter les CAL à développer une intervention dans les quartiers, Alternative libertaire doit se doter d’une commission spécifique, dont le rôle serait de :
 recenser les interventions des militant-e-s d’AL dans les quartiers, en faire des synthèses régulières,
 détailler le côté « pratique » de ces interventions, afin de faire la synthèse des difficultés ou des succès rencontrés par les militant-e-s,
 organiser périodiquement des rencontres entre les militant-e-s investis sur ce terrain,
 donner une visibilité extérieure à cette intervention, notamment à travers des articles de journal, à partir de l’intervention des militant-e-s d’AL,
 faire avancer la réflexion d’AL sur ce type d’intervention par des débats de coordination fédérale et de congrès.

La pérennisation de l’action sur les quartiers passe par la création de comités de quartiers indépendants des institutions. La présence de salarié-e-s du quartier est aussi l’une des réussites d’un comité de quartier car il doit rompre l’antagonisme voulu par les pouvoirs publics et affirmer la solidarité avec les habitants et habitantes. Et enfin pousser à la création de réseaux locaux, et d’un collectif national, d’une sorte de LKP des quartiers, où seraient présentes associations des quartiers (locales comme nationales), de chômeurs et précaires, des associations antiracistes, des comités de soutient contre les violences policières, des associations féministes de quartiers, de l’immigration, de logement et de soutien aux sans-papiers, de solidarités internationales, des syndicats, qui appellerait à des mobilisations, porterait des revendications, permettrait de futures luttes, et mobilisera les habitants et habitantes. Leur expression autonome passe par la démocratie directe et ne doit pas être phagocytée par les conseils de quartiers, émanation des Mairies, qui en déterminent les enjeux et le calendrier, au nom d’une démocratie participative aux finalités douteuses.

L’assemblée populaire est historiquement l’expression de la démocratie directe qui se réuni sur l’Agora. L’implication civique de chaque habitant-e-s dans celle-ci participera à élaborer une véritable parole collective :

Il faut transporter le débat de société dans les quartiers. Repolitisons nos territoires.

 
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