Syndicalisme : Un printemps, deux CGT




Quatre mois d’un conflit social soutenu par la majorité de l’opinion publique, ponctué de manifestations à répétitions, de grèves reconductibles, de blocages ciblés et de violences vont forcément provoquer des débats et des réajustements au sein de la CGT. Un enjeu pour tous les syndicalistes « lutte de classe » et pour les libertaires.

Au terme du 51e congrès confédéral, en avril, on se posait la question suivante : la « gauchisation » de la CGT, dénoncée par les médias, sera-t-elle une réalité malgré les divergences non réglées lors du con­grès ? [1] Deux mois plus tard, après la manifestation giratoire du 23 juin à Bastille, nous avons plus de questions que de réponses...

Une seule chose semble certaine : Philippe Martinez avait accédé au poste de secrétaire général dans des conditions contestables. Puis il a gagné son vote d’intronisation au 51e congrès en proposant la grève reconductible dans les AG de salariés. Le congrès confédéral validait alors la position exprimée par Martinez la veille du congrès dans Médiapart  [2]. Dans cette interview, il mettait au pied du mur l’aile la plus droitière de la CGT et coupait l’herbe sous le pied de l’aile gauche... Grâce au mouvement contre la loi El Khomri, il s’est construit une vraie légitimité, aussi bien dans la base militante qu’à l’extérieur de la CGT. Sauf faux pas de dernière minute, il restera celui qui s’est rendu dans les usines en grève, a soutenu les blocages de raffineries et de dépôts pétroliers, allant jusqu’à jeter un pneu devant les photographes pour alimenter un barrage enflammé. Bref l’avion CGT a un pilote ; ses passagers sont ravis. Mais y a-t-il un équipage dans le cockpit ?

Ligne illisible de la fédération des cheminots

De toute évidence, les divergences d’orientation, les baronnies locales et fédérales ont empêché la CGT d’avoir un vrai plan, clair, de montée vers la grève générale. Les agendas des uns et des autres se sont percutés jusqu’à rendre illisible l’attitude de la fédération des Cheminots alors que plusieurs syndicats CGT partaient en grève reconductible en même temps que SUD-Rail…

Pour le reste, la pétition de Caroline Haas et ses 1,3 million de signataires, le mouvement lycéen-étudiant et, d’une certaine manière, l’affrontement avec les flics impulsé par les réseaux « autonomes » auront en permanence poussé aux fesses l’intersyndicale. Il ne sera donc pas possible, comme en 2010 sur les retraites, d’accuser la direction confédérale CGT d’avoir saboter le mouvement. Et il faut reconnaître que même les équipes syndicales les plus combatives n’ont pas réussi à entraîner leurs collègues dans un mouvement de grève dure.

Avec ses méthodes hypercentralisées, la fédération des Ports et Docks aura tenu plusieurs journées de grèves. La fédération de la Chimie a manifestement poussé à la grève des raffineries mais n’a pas réussi à aller au-delà dans cette branche industrielle. Les fédérations de la Métallurgie, du Commerce, du Livre n’ont guère été visibles alors que l’inversion de la hiérarchie des normes vise directement les entreprises de ces secteurs. Idem dans l’interpro : là où les unions départementales des Bouches-du-Rhône et de Seine-Maritime ont réellement pris des initiatives fortes, combien d’UD ou d’UL auront attendu la votation citoyenne pour se bouger ? Dans combien de villes la CGT a-t-elle construit des AG intersyndicales et interprofessionnelles ? C’est tout autant la frilosité des directions fédérales que la faiblesse des équipes syndicales dans les entreprises et les localités qui sont donc en cause. Pour les militants révolutionnaires, l’enjeu qui se dessine est clairement de reconstruire à la base les forces syndicales qui ont fait faux bond au printemps 2016.

Réticence à dénoncer les «  casseurs  »

L’attitude de la CGT vis-à-vis des «  casseurs  » mérite aussi un décryptage. Si la chasse aux «  gauchistes  » reste un réflexe, il ne s’applique pas partout de la même façon  [3]. Mais c’est l’attitude de Martinez qui mérite d’être soulignée car il a, au début des violences, refusé de condamner ceux que les journalistes appel­lent «  les casseurs  » alors que de nombreuses déclarations fédérales ou départementales les con­damnaient sans ambages.

Il aura fallu l’escalade des destructions et des pressions médiatiques et internes pour l’amener
à condamner plus nettement, puis brutalement, après le 14 juin et le bris des vitres de l’hôpital Necker, les « individus » qui s’en seraient pris aux manifestants, ce qui était faux  [4].

Accusé de « collusion avec les casseurs » il n’était pas facile, dans sa position, de s’en tenir à renvoyer dos à dos casseurs et policiers. Mais il sera plus difficile d’avoir en interne un débat sur les méthodes des « autonomes » après avoir ainsi simplifié et nié les choix politiques de ces militants assimilés sans autre forme de procès à des provocateurs policiers. Car leur capacité, sur Paris par exemple, à entraîner des milliers de manifestants hors des cortèges syndicaux posent de vraies questions…

Un rôle central dans la lutte des classes

Néanmoins il ne faudrait pas qu’un débat indispensable sur les conséquences des tactiques de guérilla urbaine et leur instrumentalisation par le gouvernement devienne l’arbre qui cache la forêt. Si une leçon est à retenir de la séquence de lutte du printemps 2016, c’est la place centrale que conserve la CGT dans la lutte des classes en France. L’évènement qui pourrit la vie d’un gouvernement, c’est bien la capacité de la CGT à mettre (ou pas) des centaines de mil­liers de salarié-e-s en grève ; de remplir l’immense majorité des rangs des manifestations ; d’organiser la grande majorité des blocages de sites.

Après ce constat, pour les communistes libertaires, une double tâche : renforcer l’expression des va­leurs du syndicalisme de lutte avec toutes et tous les militants qui s’y retrou­vent, dans leur diversité politique ; faire vivre dans nos sections et syndicats, nos unions locales et départementales, les pratiques de démocratie directe, d’AG, de radicalité des méthodes de lutte inspirées du syndicalisme révolutionnaire des origines.

Avec le refus de bouger même sur l’article 2, et l’interdiction de manifester le 23 juin, le gouvernement veut humilier les sept syndicats qui lui tiennent tête. Plus encore, il cherche à rendre la défaite amère pour permettre aux ailes droites des bureaucraties syndicales de tirer un bilan négatif de l’affrontement. Infliger une défaite aux syndicalistes com­batifs pour discréditer leurs discours et ramener la CGT dans le sillage de la CFDT. Voilà l’enjeu pour le PS et le patronat.


Jean-Yves Lesage (AL 93)


Les autres articles de ce dossier spécial :


[1« CGT : un congrès sous haute tension », Alternative libertaire, juin 2016.

[2«  Philippe Martinez (CGT) : “Le gouvernement joue un jeu
de dupes”  », Mediapart, 18 avril 2016.

[3« Affrontements du 12 mai à Paris  : un mauvais remake », blog Communisteslibertairescgt.org, 14 mai 2016.

[4Pour le prouver, il a exhibé au JT de France 2 la photo d’un autocar caillassé. En fait, ce car, garé à hauteur du métro Duroc
et vide d’occupants, n’a jamais été visé. Il a simplement pris des pierres perdues, destinées aux CRS massés à côté.

 
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