Tolbiac : Quand l’occupation n’est pas à la fête




Durant la séquence de mobilisation contre Parcoursup et la loi ORE, les occupations furent l’une des principales tactiques employées par les étudiantes et les étudiants en lutte. Celle de Tolbiac, à Paris 13e, fut particulièrement médiatisée. Bilan critique, vu de l’intérieur, par un militant communiste libertaire.

Il n’est pas question ici de revenir sur tous les détails de cette occupation qui, du 26 mars au 20 avril, fit de Tolbiac l’un des lieux-phares de la contestation étudiante en France, aux côtés de Toulouse ou de Montpellier. L’expérience fut belle, riche de rencontres nouvelles, de sensations fortes ainsi que de moments de joie et de partage.

Entre enthousiasme et déceptions

La Commune libre de Tolbiac devint un creuset dans lequel furent façonnées de nouvelles individualités militantes, maintenant déterminées à porter leur enthousiasme dans de nouvelles batailles. Néanmoins, elle souffrit également de bon nombre de problèmes, parfois très graves.

Le premier et le plus fondamental fut l’impréparation générale des occupantes et des occupants. À Paris-I, les militantes et les militants de l’autogestion étaient notamment regroupées au sein de Solidaires étudiant.es qui fut l’une des principales forces à l’origine du projet d’occupation. De création récente, le syndicat était une structure trop fragile, qui vola en éclat dès le début de l’entreprise. Le projet d’occupation y avait été évoqué dans les semaines ayant précédé sa mise en place, mais sans que soient réellement préparés tous les éléments logistiques nécessaires à son bon fonctionnement. Par ailleurs, ces militantes et ces militants n’avaient individuellement pas ou peu l’expérience concrète de la vie en communauté et de l’autogestion.

De ce manque de préparation et de cette inexpérience découla largement l’incapacité des occupantes et des occupants à installer durablement un cadre collectif afin d’organiser l’occupation. Après quelques jours, ils décidèrent de tenir quotidiennement une réunion afin de discuter de la gestion au jour le jour de l’occupation. Malheureusement, à cause du manque de temps et d’un défaut d’organisation, elle n’eut lieu que de manière irrégulière. En outre, elle fut constamment parasitée par des problématiques étrangères à la gestion du lieu, souvent amenée par des militantes et des militants qui n’étaient pas eux-mêmes occupants. Par ailleurs, la répartition des tâches au sein de l’occupation se fit par le biais de grands tableaux où chacun s’inscrivait selon son bon plaisir. La notion de mandat, pourtant centrale, fut complètement passée à la trappe.

Des tensions lourdes à gérer

De cette absence de cadre collectif découla l’incapacité générale des occupantes et des occupants à faire respecter les règles qu’ils avaient essayé d’élaborer en commun. Face aux méthodes quasiment mafieuses de plusieurs groupes autonomes ou antifascistes qui, sous prétexte d’offrir à l’occupation une «  protection  » que celle-ci ne réclamait pas, semaient le désordre, ils furent incapables de faire front. Des dégradations et des agressions furent donc commises sans que les occupantes et les occupants ne puissent rien y faire. Leur manque de cohésion et leur nombre fluctuant, souvent trop restreint, les empêchèrent d’instaurer durablement le rapport de force nécessaire au maintien de la sécurité à Tolbiac. Une autre source de tensions durant l’occupation fut le rapport compliqué des occupantes et des occupants avec les jeunes de la cité située en face. Arrivant à Tolbiac vers la fin de la seconde semaine d’occupation, ils se heurtèrent à la méfiance des occupantes et des occupants. Ils se rendirent rapidement compte de l’incapacité de ces derniers à faire front, et ignorèrent donc la plupart des règles du lieu. Néanmoins, dans les derniers jours, un dialogue s’instaura tant bien que mal, et certains de ces jeunes montrèrent dès lors une volonté grandissante de participer à l’occupation et de s’y intégrer pleinement. Qui sait ce qu’aurait pu donner sur le long terme cette convergence naissante  ?

Tous ces éléments finirent par faire peser sur les occupantes et les occupants un étouffant sentiment d’urgence et de panique. Leur petit nombre, les problèmes d’organisation ainsi que les menaces d’attaques fascistes ou policières, tous ces facteurs contribuèrent à les épuiser, tant mentalement que physiquement. Dans une autogestion sans mandats, les quelques individualités qui se retrouvèrent mécaniquement au centre de toute la gestion de l’occupation se virent critiquer pour leur autoritarisme supposé, tandis qu’elles étaient accablées par la fatigue et le stress. Ce sont sur ces bases que se développa le sentiment parmi bon nombre d’occupantes et d’occupants que Tolbiac était une zone à défen­dre, y compris au détriment de la mobilisation dans son ensemble.

Plusieurs textes de bilan affirment que c’est essentiellement à cause des convictions politiques des occupantes et des occupants que l’occupation a fini par se replier sur elle-même. Cet élément idéologique a pu jouer, et l’imaginaire de la Zad était effectivement très présent à Tolbiac. Néanmoins, ces idées n’ont pu se développer que parce qu’elles ont trouvé un terrain fertile dans ce sentiment d’urgence dont les causes étaient très concrètes.

Une nécessité face à la fermeture

Du moment que l’administration de l’université avait décidé de fermer administrativement Tolbiac afin d’empêcher les étudiantes et les étudiants de s’y regrouper, l’occupation était devenue une nécessité pour le mouvement. Toutes les composantes politiques présentes dans la mobilisation finirent par en convenir et par soutenir cette idée. Néanmoins, toutes ne semblaient pas conscientes des contraintes concrètes qu’allait imposer au mouvement l’utilisation de cette tactique. Il est faux d’opposer, comme l’ont par exemple fait des membres du NPA, l’idée d’une occupation conçue comme un «  lieu de vie  » à celle d’une occupation qui ne serait qu’une simple tactique au service de la lutte. S’il y a occupation, il y a forcément création d’un lieu de vie et nécessité de sa gestion quotidienne.

Dès lors, plutôt que de critiquer de loin la méfiance supposée des occupantes et des occupants vis-à-vis de l’extérieur, en jouant aux étonnés dès qu’ils entendaient parler des problèmes de l’occupation, les militantes et militants politiques auraient dû davantage s’impliquer dans l’occupation. Ainsi, leur participation aurait pu saper les bases matérielles de cette mentalité de forteresse assiégée, mentalité que leurs critiques perpétuelles n’ont au final fait que renforcer. Pendant ce temps, les occupantes et les occupants succombaient peu à peu à l’épuisement ou au découragement, et c’est sans difficulté que la police put venir mettre un terme à l’occupation.

Guillaume (AL Paris Nord-Est)

 
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