Travail et emploi des immigré-e-s en France




Dans ses travaux de recherche, Odile Merckling propose une approche historique des phénomènes migratoires, ainsi que des approches comparatives - statistiques et monographiques - de l’insertion professionnelle des personnes (hommes ou femmes) de différentes nationalités, générations d’immigration. Aperçu.

La constitution de la population active en France au cours de la seconde moitié du XXe siècle a été marquée, en effet, par l’arrivée de vagues successives d’immigrant(e)s. Cette population se révèle diversifiée tant par ses statuts juridiques que par ses modes d’accès à un marché du travail segmenté : migrant(e)s régulier(e)s ou clandestin(e)s, migrant(e)s muni(e)s de titres de séjour de courte ou de longue durée ; Français(es) ou étranger(e)s ; Français(es) par filiation, par acquisition ou venant des Tom-Dom.

L’immigration répond aux conditions de ce qu’un sociologue comme Robert Castel a dénommé la « désaffiliation » : celles d’un déracinement, d’une coupure des individus vis-à-vis de leurs moyens de subsistance traditionnels. Certains pays du Maghreb ou d’Afrique subsaharienne ont été confrontés à un long processus de colonisation, qui a entraîné un appauvrissement massif des populations. La mobilité a ensuite déstructuré les liens sociaux. Les migrant(e)s cherchent toujours à reconstituer ces liens, mais leurs communautés ne sont que des transpositions lointaines des anciennes communautés d’origine. Le marché du travail produit une atomisation. De plus, en France comme dans d’autres pays, les modalités de l’urbanisation et du regroupement familial ont conduit les familles à s’installer à la périphérie des grandes villes. Enfin, des restructurations incessantes de l’industrie ont cassé la transmission des professions.

Ségrégation sociale

La ségrégation s’est affirmée, surtout depuis une trentaine d’années, tant en matière de politiques du logement, de création de services publics, que de constitution de filières d’enseignement ou de filières d’emploi. Un processus de « construction de différences » a été mis en œuvre au travers d’un cloisonnement de filières, de statuts et de secteurs d’activité accessibles à des catégories de personnes, d’où un creusement des écarts sociaux.

Les travailleurs migrants avaient été, depuis les années 1950, en partie recrutés par le patronat directement ou par le biais de l’ONI (Office national d’immigration), avec des contrats temporaires. On avait aussi - y compris en cas de contrats à durée indéterminée - une pratique de hauts turn over. Après 1974, les immigré(e)s se sont stabilisé(e)s dans les entreprises et les employeurs ont développé la flexibilité avec l’intérim, les CDD et les contrats de sous-traitance. L’accès à la protection sociale est conditionné par la régularité et la durée de séjour, et les droits sociaux sont toujours restés difficiles à faire respecter, d’autant qu’il y a eu depuis vingt ans des remises en cause de « l’État-providence ».

Les étranger(e)s sont en moyenne deux fois plus souvent au chômage que les Français(es). Ceux qui viennent des pays de l’ancienne CEE sont pratiquement aussi souvent chômeur(se)s que les Français(es) ; tandis que les autres le sont presque trois fois plus. À la fin des années 1990, les mêmes phénomènes se sont encore aggravés ; parmi les Français de naissance, 23% sont désormais précaires ou chômeurs, parmi les Français par acquisition 31% et parmi les étrangers 38%. Pour les femmes, les pourcentages sont encore plus élevés.

Femmes immigrées, flexibilité et précarité

La place des femmes est devenue de plus en plus importante, surtout après 1975, avec le regroupement familial, mais aussi du fait d’une émigration de femmes seules (célibataires, divorcées ou veuves) ou de changements de situation familiale après leur venue en France. Cette place des femmes, qui n’est plus cantonnée à un rôle familial, est aussi devenue plus importante du fait de la nature des emplois créés (développement d’une économie de services). On a vu ainsi rapidement augmenter les taux d’activité féminins ; cependant, pour les actives venant de pays situés hors de l’Union européenne, 40% sont au chômage.

Ce sont des situations d’urgence qui poussent de nombreuses femmes à aller sur le marché du travail : jeunes femmes qui tentent d’acquérir une autonomie, femmes chefs de famille monoparentale ou ayant un conjoint au chômage, et souvent absence de formation et de logement décent.

Depuis les années 1980, le développement de la flexibilité a entraîné des parcours chaotiques et une variabilité dans l’organisation de la vie familiale, dont les effets retombent en grande partie sur les femmes. Avec la flexibilité, l’organisation de la vie quotidienne est sans cesse perturbée. La difficulté à combiner les tâches domestiques et un travail professionnel conduit beaucoup de femmes à travailler dans des activités de proximité, qui ont fini par constituer un marché du travail spécifique.

Le travail des femmes est resté jusqu’ici dans une invisibilité et l’obtention d’un contrat de travail difficile. Nombre de mécanismes ont contribué à masquer ce travail. Les étrangères obtiennent souvent des titres de séjour en tant qu’épouses, ce qui ne leur permet pas légalement de travailler. Des restrictions de leurs droits peuvent aussi provenir de l’attitude de l’entourage (conjoint ou parents), du fait de l’application en France de codes de statut personnel rétrogrades, encore en vigueur dans certains pays. Par ailleurs, le statut économique de leur travail reste problématique, ce que montre une évocation de multiples formes qu’il prend : travail informel, travail à domicile, travail salarié non ou semi déclaré, travail à temps partiel dans les commerces et les services.

Les contrats à durée déterminée, l’intérim, les emplois aidés et autres stages concernent 15 % des salarié(e)s et 20 % des salarié(e)s immigré(e)s. La précarité de ces dernier(e)s tient aussi au fait qu’ils/elles sont majoritairement en CDI dans le secteur privé, alors que les salarié(e)s français(se) (de naissance) sont souvent dans la fonction publique - près de 20 % y étant titulaires. Les femmes immigrées travaillent plus souvent chez des particuliers, dans de petites entreprises ou des associations.

Depuis 1975, une forte diminution de l’emploi des hommes étrangers a coïncidé avec une augmentation de celui des femmes. Les hommes travaillent désormais pour la moitié dans le secteur tertiaire, les fils d’immigrés étant cependant encore ouvriers à près de 60 %. Les immigrés qui se sont reconvertis de l’industrie sont allés vers des professions indépendantes (artisanat, cafés, conduite de taxi), ou vers les commerces, les livraisons, les transports et les services aux entreprises (dont les sociétés de prestation de travail temporaire). Dans ce dernier cas, le contenu du travail a peu changé, mais il est effectué dans un autre cadre.

Les femmes, de plus en plus nombreuses à entrer dans le salariat, sont soumises à une précarité de masse. Le contenu du travail est souvent similaire à ce qu’elles ont l’habitude de faire chez elle, mais elles le font désormais à l’extérieur. Les parcours aléatoires empêchent les processus de formation. En 1975, l’industrie et les services domestiques employaient 60 % des actives étrangères, mais l’importance de ces secteurs a diminué de moitié. Les délocalisations ont entraîné une régression rapide des activités industrielles (notamment dans le textile, les industries électriques et électroniques).

Dans la sous-traitance

Les personnels de services domestiques ont diminué au profit d’activités de services marchands telles que le nettoyage industriel, la blanchisserie, la restauration collective ; par ailleurs au profit des emplois de l’aide sociale ou de la petite enfance. Les emplois du secteur public ont stagné, notamment du fait d’une extériorisation des travaux les moins qualifiés. Les femmes immigrées sont souvent dans des sociétés de sous-traitance qui travaillent elles-mêmes pour l’hôtellerie, les administrations ou le secteur hospitalier, où elles ont très peu de possibilités d’évolution. Les emplois de commerces (vendeuses-caissières) et des cafés, hôtels et restaurants ont pris enfin une place importante.

La mobilité professionnelle s’est effectuée selon les nationalités, soit vers des professions intermédiaires (et parfois cadres) du secteur privé, soit vers des professions du secteur public, soit vers des professions non salariées ; mais il faut en relativiser les effets. D’une part, cette évolution concerne surtout des personnes de nationalité française, d’autre part elle coïncide avec une précarisation des professions (y compris celles de cadres). Les modes d’intégration à la société française ont été appréciés en fonction d’un ensemble de critères juridiques, économiques, socioculturels : assimilation diffuse, surtout pour d’anciens migrants venus de pays de l’ex-CEE ; assimilation segmentée pour des migrants venus des Dom-Tom ou de pays d’Afrique subsaharienne anciennement colonisés par la France ; enfin, constitution de minorités plus ou moins ségréguées pour d’autres.

Le travail des femmes est un élément essentiel du processus d’intégration. Il est à la fois un facteur d’augmentation des revenus, un moyen d’accès à l’autonomie des femmes et il accélère une remise en cause de valeurs traditionnelles. Les femmes d’origine étrangère connaissant une mobilité vers les emplois du secrétariat, de la formation, de la santé ou de l’action sociale, ont la possibilité de travailler dans la fonction publique, les hôpitaux ou les collectivités territoriales.

Odile Merckling

Odile Merckling est l’auteure d’Emploi, migration et genre des années 1950 aux années 1990, aux éditions L’Harmattan, collection Logiques sociales, 2003, 354 pages (28,50 euros).

 
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