Syndicalisme

Véronique Decker : « L’école est un miroir des crises de la société »




Elisabeth Borne, ministre de ­l’Éducation, multiplie les annonces, dont le retour à une formation professionnelle très attendue ou encore une convention sur les rythmes scolaires. Nous avons sollicité les réactions de Véronique Decker, institutrice puis directrice d’école durant 27 ans à Bobigny (93). Militante syndicale à l’Ecole émancipée, puis à SUD éducation, militante pédagogique à l’Institut coopératif de l’école moderne (ICEM) pédagogie Freinet et à l’OCCE [1], militante du droit des enfants à DEI [2], elle a publié quatre livres aux éditions Libertalia.

La réforme de la formation initiale des enseignantes et enseignants, c’est un retour du modèle des écoles normales ?
Face aux nombreuses démissions d’enseignants et enseignantes et aux hésitations des étudiants et étudiantes à passer des concours exigeants pour un métier difficile et mal rémunéré, le gouvernement est contraint d’agir. Pour l’instant, Borne annonce restaurer une formation professionnelle des enseignantes et enseignants sans guère de précisions. Pour rendre le métier attractif, il faudrait augmenter les salaires, restaurer les droits sociaux, en particulier l’obligation des communes à loger ses enseignants et enseignantes et augmenter les dotations par élève qui varient terriblement entre communes.

Pour être efficace il faut accroître considérablement le temps de formation professionnelle, didactique et pédagogique en formation initiale, mais aussi continue. La création d’une licence universitaire repositionne le début de la formation au niveau du Bac. Les deux années rémunérées de fonctionnaire-stagiaire en master pourraient être un progrès. Mais avec un mi-temps « devant élèves » en responsabilité et non en stage accompagné, il y a tromperie. Et des profs du secondaire craignent une perte en compétence sur leur discipline.

Véronique Decker est une directrice d’école retraitée, militante pédagogique à l’ICEM pédagogie Freinet, syndicaliste, autrice de livres chez Libertalia.

Comment assurer une formation de qualité ?
Il existe l’Institut national supérieur du professorat et de l’éducation doté de professeures et de conseillers et conseillères pédagogiques. Mais pour certaines académies très déficitaires, comme Versailles et Créteil, les référentes et référents manquent pour accompagner les très nombreux et nombreuses contractuelles en poste sans aucune formation. Les mutations à l’ancienneté ont un effet pervers : les enseignantes et enseignants les moins formées sont devant les enfants des quartiers qui connaissent le plus de difficultés. Cela provoque beaucoup de souffrance pour les élèves comme pour le personnel. Et rien n’est sérieusement prévu pour elles et eux.

Pour remonter la pente, il faudrait embaucher dans les universités des professeures titulaires et expéri­mentées dans les domaines disciplinaires, pédagogiques et sur la psychologie de l’enfant et de l’adolescent. Mais ce n’est pas ce qui se profile. Au contraire, on voit les lobbys de l’Intelligence artificielle promettre toujours plus de contenus dématérialisés. La course à une performance standardisée remplace une éducation constructrice de la personnalité des enfants.

Quels contenus sont à prioriser dans les formations ?
Borne évoque 450 heures de formation en Master 1 et 300 heures en Master 2 avec la charge d’une classe à mi-temps, soit 432 heures d’enseignement. Les étudiants et étudiantes devront préparer leur classe, corriger les devoirs, recevoir les parents, apprendre leurs cours et finaliser un mémoire de maîtrise… Mission impossible !

Pour le retour d’une formation disciplinaire et pédagogique avec des contenus de qualité, il faudra poser les exigences collectivement avec des étudiantes et étudiants et leurs syndicats. Ils et doivent construire leurs propres projets pédagogiques en commun avec les syndicats enseignants et les réseaux pédagogiques.

Et que penses-tu de la convention citoyenne sur les rythmes scolaires ?
Le temps de l’enfant, c’est d’abord le temps social de leurs parents et le besoin de garde qui permet aux femmes d’aller travailler puisque c’est généralement la mère qui s’en charge. Les municipalités n’assurent plus assez de colonies de vacances ou de centres de loisirs avec du personnel stable et qualifié. On a vu dans les communes les plus pauvres les effets délétères des dispositifs « temps de l’enfant » avec des pseudo-ateliers culturels animés par des vacataires sous-qualifiées. Borne ouvre un débat sur les « rythmes » pour dresser les parents contre les enseignants et enseignantes, les élèves contre l’institution et in fine augmenter le temps de travail du personnel éducatif.

La vraie réforme serait d’assurer à tous les parents des horaires de travail compatibles avec ce « temps de l’enfant ». Qui s’interroge sur le temps des enfants des caissières qui travaillent le dimanche ou celui des enfants dont les parents travaillent en trois-huit ? Qui exige des classes transplantées pour tous les élèves à la mer, à la montagne ? Pour un « temps de l’enfant jusqu’à ses trois ans », enfant qui a besoin de construire des interactions sociales fortes avec une parentèle disponible, il ne faut pas un simple congé parental à la naissance, mais permettre de travailler à mi-temps sans perte de salaire.

Audrey Chenu et Véronique Decker, Entrer en pédagogie féministe, Libertalia, juin 2023, 188 pages, 10 euros.

J’entends souvent que les vacances trop longues pénalisent les enfants des quartiers défavorisés, et c’est vrai. Sauf que ce ne sont pas les vacances qui les pénalisent, mais l’absence de contenus. Où sont les colos ? Les bâtiments, coûteux en entretien, ont été vendus. Où sont les Maisons des jeunes et de la culture ? Les équipes, trop précaires, se sont délitées. Même les dispositifs avec l’armée, la police, qui venaient faire des animations sur les dalles et les pelouses des cités ont disparu ! Restent les dépenses folles du Service national universel… Mais allonger le temps scolaire avec du personnel épuisé ne va pas améliorer la situation. Déjà, on cherche le bilan du dispositif « vacances apprenantes ». Les enfants ont-ils vraiment appris avec une enseignante ou un enseignant qu’ils ne connaissent pas en une demi-semaine de classe ? On cherche aussi un bilan du dispositif « internat d’excellence » qui devait envoyer les meilleures élèves des quartiers populaires en internat.

L’éducation suppose un temps long, des programmes stables discutés démocratiquement avec la population et les enseignants et enseignantes. Il faut aussi des bâtiments, des espaces, une hygiène, de la nourriture, des jeux, des infrastructures sportives. Et des médecins scolaires, des assistants et assistantes sociales, des médiations avec les parents, du personnel spécialisé pour aider les élèves en difficulté. Il faut également du personnel formé et des effectifs adaptés à l’inclusion des enfants handicapés et un parcours simple pour la scolarisation des mineures isolées ou non-francophones.

Mais non. On se retrouve avec des ministres Kleenex, jetées tous les six mois, qui ont tous et toutes un grand plan, une réforme fondamentale, une convention citoyenne et autres gadgets dont les résultats ne sont jamais évalués alors qu’on oblige les profs à des évaluations stupides. L’objectif libéral sur l’école est simple : détruire la confiance dans le service public pour favoriser l’essor du privé et ouvrir un retour juteux aux actionnaires.

Propos recueillis par Jean-Yves (UCL Limousin)

[1L’Office central de la coopération à l’école est une association qui fédère les actions des coopératives des élèves avec l’aide de leurs enseignants.

[2La Défense des enfants international est une association qui veille à l’application de la Convention internationale des droits des enfants.

 
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