Intermittents : Printemps des comédiens, été qui ne lâche rien




La grève du Printemps des comédiens à Montpellier a créé la première annulation de festival causée par la renégociation des accords Unédic. Elle a aussi donné un nouveau souffle à la lutte des intermittents, des chômeurs et des précaires. Entre amplification de la mobilisation, convergence des luttes et extension aux autres festivals : voyage à l’intérieur de la grève.

Lundi 2 juin 2014, Montpellier. Nouvel élan après quatre mois de mobilisation des intermittents. L’équipe des permanents et des intermittents du Printemps des comédiens, associé-e-s aux artistes programmé-e-s, lance un ultimatum au gouvernement, lui enjoignant de : « Ne pas agréer l’accord du 22 mars et mettre en œuvre de nouvelles négociations sur la base des propositions de la plateforme du Comité de suivi ». Mardi 3 juin, devant l’absence de réponse, la grève est de mise. Un des plus importants festivals de théâtre français ne lèvera pas le rideau.

Sous les micocouliers du domaine d’O, le site du festival, les assemblées générales s’enchaînent. Le matin, celles des employé-e-s du Printemps des comédiens qui y votent jour après jour la poursuite de la ­grève. L’après-midi, celles du Mouvement unitaire, ouvertes à tous, et regroupant les personnes mobilisées comme les sympathisants. Selon un rythme soutenu – quotidien d’abord puis tous les deux jours – ces rassemblements deviennent rapidement le théâtre de la mobilisation. État des lieux de la lutte, actions, communiqués y sont abordés.

Apprendre à lutter

Les discussions s’enflamment. Le ton est parfois houleux. Celles et ceux qui sont là risquent gros. Des dates annulées, des heures perdues, des salaires en moins. La peur de ne pas pouvoir renouveler ses droits aux indemnités chômage. Le risque de voir l’intermittence dépouillée de son contenu. Malgré cela, des propositions, toujours plus nombreuses, transforment chaque jour leur colère en une pluie d’initiatives qui donne « le courage de poursuivre la grève ».
Les personnes présentes ne sont pas des spécialistes de la lutte sociale mais des artistes, des techniciens, des administratifs, des entrepreneurs du spectacle, quelques intérimaires et spectateurs qui apprennent ensemble à se mobiliser et à s’organiser. Pour plusieurs d’entre eux, il s’agit de la première lutte. Surgissent des questions, inévitables mais ­saines. Quels moyens d’action ? Dans quels buts ? Faut-il user de la force ? La grève et les blocages ne sont jamais des parties de plaisir. « Nous ne sommes pas des casseurs de machine ». Mais, devant le mutisme du gouvernement, la nécessité semble faire loi. Et c’est sans joie, parfois avec appréhension, que tous les modes de lutte sont étudiés pour répondre et s’adapter au contexte.

Effet tache d’huile

Depuis son entrée dans la lutte, le Printemps des comédiens est devenu le centre névralgique de la mobilisation. Première structure à se mettre en grève. Premier coup de force médiatique. Premier modèle incitatif pour l’ensemble du milieu culturel. L’effet tache d’huile est depuis lors recherché. Un seul mot d’ordre, « il faut tenir jusqu’à Avignon. Il faut que les copains nous rejoignent ».

Pour se faire, les délégations se multiplient et partent chaque jour à la rencontre des ­autres festivals, des théâtres, des compagnies, de tout acteur culturel touché par l’accord du 22 mars. Les carnets d’adresse sont épluchés. Mails, coups de téléphone, lettres. Initiatives personnelles ou collectives. Tous les moyens sont bons pour que la mobilisation gagne en puissance. Il est parfois nécessaire de convaincre, d’user de pédagogie mais parfois, simplement, il faut soutenir et aider ceux qui voudraient entrer en lutte sans trop savoir comment.

Les spectateurs ne sont pas en reste. Nombre d’actions sont pensées en leur direction. Il faut expliquer les réalités qui se cachent derrière l’appellation mal connue d’« intermittent ». Que « nous luttons pour tous », que l’accord du 22 mars concerne autant les intermittents que les intérimaires, les chômeurs et futurs chômeurs du régime général. C’est ce « faux-semblant d’accord » sur l’assurance chômage qui est en cause. Négociée au siège du Medef au cours d’une farce paritaire, cette convention génère un durcissement considérable des règles d’indemnisation. Avec pour toile de fond la réduction du déficit des caisses de l’assurance chômage, elle s’attaque aux régimes des plus précaires pour leur faire supporter l’intégralité des coupes budgétaires.

Durcissement

En quelques semaines, à l’approche de l’échéance de l’agrément de cet accord, les actions se durcissent. Occupation de structures culturelles, annulation de spectacles, interventions et prises de parole comme à l’Opéra-Comédie de Montpellier ou au festival Montpellier Danse, annulation de présentations de saison, flash-mobs, occupation du Medef, des directions régionales des affaires culturelles (Drac), de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte), des hôtels de région, etc. Les manifestations prennent de l’ampleur. Le 16 juin, ce sont près de 1 300 personnes qui défilent dans les rues de Montpellier.
En parallèle, les grèves et préavis de grève fleurissent et gagnent l’Hexagone. Près d’une centaine de lieux culturels et compagnies rejoignent le Printemps des comédiens dans la lutte. D’autres trouvent des alternatives pour soutenir le mouvement. Des salaires sont reversés à la caisse de soutien. Certaines commissions Drac, comme celle du Languedoc-Roussillon, en charge d’attribuer les subventions, refusent de siéger. Les écoles nationales supérieures de théâtre se réunissent pour s’opposer publiquement à l’accord fustigé.

Convergence

Depuis plusieurs jours, la stratégie de la convergence des luttes prend forme. « Il faut s’unir pour lutter contre le gouvernement ». Dans quelques bouches, résonne déjà l’appel à la grève générale. « Ce que nous défendons, nous le défendons pour tous. Il est nécessaire de faire cause commune ». Alors les mouvements se rejoignent, comme le 16 ou le 19 juin, où manifestation et rassemblement ont associé les intermittents aux cheminots, aux employé-e-s pharmaceutiques de Sanofi ou encore aux salarié-e-s de Pôle emploi. Des délégations sont envoyées dans les autres assemblées générales. Les actions commencent à se penser en commun. Un tournant dans la mobilisation se dessine. Diviser pour mieux régner ou s’unir pour mieux lutter, le choix semble être fait.

Charles, membre
du Mouvement unitaire

 
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