Débat : Wal-Mart, boycott et lutte des classes




L’article « Boycott Wal-Mart ! Leçons d’un échec » publié dans Alternative libertaire d’octobre 2007 a suscité deux réactions. La première de deux communistes libertaires canadiens de la Northeastern Federation of Anarchist-Communists (Nefac). La seconde d’une camarade de Seine-Saint-Denis qui a souhaité mettre en lumière la politique spécifiquement sexiste de Wal-Mart.

Le boycott comme action politique est une stratégie qui commence à se répandre dans l’univers militant nord-américain et québécois. Mais derrière l’enthousiasme pour un « nouveau » mode d’action se cache une croyance naïve en la possibilité d’un capitalisme éthique.

La stratégie du boycott prend naissance dans un courant réformiste qui prétend que la consommation est une forme d’action politique. « Acheter c’est voter ! », tel est le mot d’ordre d’une certaine gauche, plus soucieuse de s’acheter bonne conscience que de résoudre radicalement le problème social. Selon eux, une « consommation éthique » pourrait contenir en elle les germes d’un contre-pouvoir au capitalisme. Elle permettrait ainsi l’émergence d’une société plus égalitaire pour contrecarrer les effets néfastes de la mondialisation néolibérale.

Un capitalisme à visage humain ?

Cette stratégie a été élaborée par une certaine gauche bien pensante mais aussi par certains éléments plus radicaux. Selon eux, il y aurait deux façons de « voter » par la consommation : l’achat et le refus d’acheter (le boycott). D’un côté on cible quelques formes de commerces éthiques pour lesquels on encourage la consommation. De l’autre on attaque certaines compagnies soupçonnées de porter en elles tous les maux du capitalisme.

Cette théorie repose sur la croyance en un capitalisme à visage humain qui serait dénaturé par « quelques » compagnies. Il y a derrière cette vision, une hiérarchisation des différents capitalismes, quelques uns d’entre eux jugés bons et éthiques, et d’autres non. Ainsi la production nationale est préférable à la production étrangère et le système artisanal est jugé moins aliénant que le système industriel.

Le boycott est souvent prôné pour faire fléchir la politique d’une compagnie sur une pratique précise, tel que le travail des enfants. Aussitôt que la compagnie change ses pratiques, la consommation n’est plus blâmée et la bonne conscience occidentale est préservée. Cependant, nos âmes bien pensantes cessent au passage de s’inquiéter des conditions de vie et de travail des ouvrier-e-s appelés à remplacer ces enfants.

Certains éléments de la gauche radicale, quant à eux, considèrent le boycott, ou la consommation responsable, comme un pas à franchir vers la fin du capitalisme. Si McDo tombe sous le poids du boycott, il y aurait possibilité de passer à une compagnie suivante pour ainsi ébranler l’ensemble de l’édifice capitaliste.

Articuler boycott et lutte des classes

Toute cette vision est incohérente. Elle s’attaque au problème par la fin – la consommation – et non par le moyen qu’est la production. La consommation n’est que la façon d’échanger les marchandises produites ; les rapports sociaux inégaux, l’exploitation et le profit sont le résultat du mode de production. C’est donc par une lutte de classe que nous parviendrons à mettre le capitalisme en déroute.

Il n’y a pas de hiérarchie de capitalisme. Il n’existe pas de compagnies qui méritent plus d’être boycottées et d’être l’objet de notre haine. Elles sont toutes bien ancrées dans ce système et doivent leur profit à l’exploitation de leurs employé-e-s.

La consommation comme moyen d’action politique est perçue comme une fin en soi et non comme un moyen de solidarité avec les travailleurs. Lorsqu’un conflit de travail éclate, il peut être stratégique d’appeler au boycott. Mais là encore, ce sont les travailleurs et les travailleuses qui doivent en décider. Même chose pour le travail des enfants : les travailleurs et les travailleuses occidentaux doivent être solidaires des luttes des pays du Sud par des actions telles que le boycott. Mais ces actions doivent être bien intégrées à une stratégie globale axée sur la lutte de classe !

Sébastien et Jam (Nefac-Montréal)


TRAVAILLEUSES ET CITOYENS CONTRE WAL-MART

La chaîne de supermarchés Wal-Mart est menacée depuis près de dix ans par un procès gigantesque. Un coup dur pour le premier employeur privé américain ? Non, une revanche pour les salarié-e-s, mais aussi pour l’ensemble des citoyennes et des citoyens.

Si Wal-Mart provoque aux États-Unis l’opposition de simples citoyennes et citoyens, en plus des luttes « internes » menées par ses employé-e-s, c’est parce que cette chaîne de distribution discount est une calamité pour la société tout entière. On a été jusqu’à inventer le terme de walmartisation pour désigner la paupérisation d’une région suite à l’implantation d’un hypermarché Wal-Mart. En effet, son modèle économique repose sur la pauvreté des travailleurs et des consommateurs. C’est en quelque sorte un « antifordisme ». Ford payait ses ouvrières et ses ouvriers un bon salaire pour qu’ils achètent des voitures Ford. Wal-Mart comprime les salaires au maximum pour garder sa clientèle de working poor travailleurs pauvres »).

Discrimination sexiste

Wal-Mart utilise plusieurs tactiques pour ne pas payer les temps de pause ou les heures supplémentaires, qui donnent lieu régulièrement à des procès. Rien qu’en 2003 par exemple, 6 949 plaintes avaient été déposées. Mais il y en a une qui constitue une stratégie directrice depuis toujours, c’est la discrimination sexiste.

Cette discrimination donne lieu aujourd’hui au plus grand procès jamais intenté à une entreprise privée. Wal-Mart est accusé de « discrimination contre les femmes » en violation du Civil Rights Act, de 1964. En clair : on lui reproche un manque de promotion professionnelle, des salaires inégaux selon le sexe, et une restriction d’accès à certains postes pour ses employées.

Tout a commencé en 1998 quand une Californienne de 54 ans, Betty Duke, a porté plainte. Cinq autres plaintes analogues devaient suivre. Avec la procédure américaine d’action collective (class action) qui permet à toute personne dans la même situation de se porter partie civile, ce sont aujourd’hui près de 2 millions de femmes qui ont travaillé pour Wal-mart entre décembre 1998 et 2005 qui sont concernées !

Une mobilisation d’ampleur

Le procès a débuté par la demande de certification d’action collective, déposé en juin 2001. Une mobilisation gigantesque a été lancée sur Internet par des syndicats, des associations et des ONG. En juin 2004, le juge a accordé la class certification. Wal-Mart a fait appel de la décision, et a été débouté en novembre 2005. Le géant du discount a plaidé que le nombre élevé des plaignantes rendrait le procès ingérable. La Cour d’appel lui a répondu qu’une action collective de 1,6 millions de femmes serait nettement moins chère que 1,6 millions de procès.

Le procès a ensuite été gelé pendant un an, grâce à une loi sur les class actions opportunément concoctée par l’administration Bush, qui a entraîné une réorganisation des procédures. Wal-Mart en a profité pour contester à nouveau la class certification, mais nouvel échec : en février 2007, la class certification du procès Dukes vs Wal-Mart Stores a été confirmée.

Dernièrement le groupe a indiqué qu’il irait jusqu’à la Cour suprême si la révision de la class action n’était pas obtenue. Mais dans cette affaire, il y a fort à parier que Wal-Mart sorte perdant. En effet, il est à noter que même certains États américains sont intéressés par une défaite du géant de la distribution. Car la campagne anti-Wal-Mart a enfin permis de mettre en lumière le « coût social » local de la walmartisation.

On n’a donc pas fini d’entendre parler de ce procès qui aura des conséquences directes pour les employées de Wal-Mart, et par ricochet pour l’ensemble du prolétariat de Wal-Mart. Et par un second ricochet, pour l’ensemble des travailleuses et des travailleurs américains. Ce sera l’objet d’un article qui paraîtra le mois prochain.

Yvonne (AL93)


UN MONSTRE TENTACULAIRE

Wal-Mart, c’est :

 3 566 supermarchés ;
 127 millions de clientes et de clients par semaine aux États-Unis ;
 1,3 million de salarié-e-s aux États-Unis et 500 000 dans le reste du monde, dont deux tiers sont des femmes ;
 256 milliards de dollars de chiffre d’affaire en 2004 ;
 6,3 milliards de dollars de profit ;
 Les quatre héritiers Walton à la tête de l’entreprise sont les 7e, 8e, 9e et 10e fortunes mondiales.

L’impact économique de Wal-Mart est tel que le cabinet d’études indépendant Global Insight a calculé que sur la période 1995-2004, Wal-Mart avait à lui seul freiné la hausse des prix aux États-Unis de 3,1%, et freiné la hausse des salaires de 2,2 % !

 
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