Espagne : Marinaleda, l’autogestion à l’andalouse




Ce qui se passe à Marinaleda depuis 1979 dépasse très largement en importance cette petite ville andalouse de 3 000 habitants. Un exemple à suivre, enrichir, développer partout dans le monde.

Alors que le problème majeur des pays que l’on dit « civilisés » et « évolués », c’est « la crise » et le chômage massif, à Marinaleda il y a seulement 5 % de chômage, contre 30 % dans le reste de l’Andalousie. Et tout le monde a un toit. À la coopérative qui fait vivre la ville, les ouvrières travaillent dans une atmosphère détendue, en musique et sans chefs. Elles ont le sentiment de travailler pour elles. Et que leur travail leur appartient. La production est de première qualité, notamment l’huile d’olive, exportée en Italie.

Une expérience sociale

Les élus de la ville pourraient difficilement être corrompus par leur charge : ils ne touchent pas un centime pour l’occuper. Ils ont signé par devant notaire l’engagement à être les premiers à agir pour amener des progrès économiques et sociaux à Marinaleda et les derniers à en bénéficier. Les loyers de logements spacieux et modernes sont de 15, 52 euros par mois. La crèche, nourriture comprise, coûte 12 euros par mois et par enfant. L’abonnement annuel pour la piscine coûte 3 euros. Toutes les décisions municipales sont proposées en assemblées générales où les habitantes et habitants discutent et votent, enfants compris. Il y a une centaine d’assemblées générales par an. Il n’y a pas de délinquants, pas de policiers et pas d’amendes.… Et pas de capitalistes, de banquiers ou de spéculateurs, qui sont les délinquants légaux du libéralisme économique.

Autre chose est à souligner : ce qui se passe à Marinaleda a été obtenu sans violences, excepté celle de la guardia civile, qui vint s’opposer aux habitants et habitantes durant les années où ils luttaient pacifiquement pour obtenir de pouvoir travailler des terres. En 1936, lors du pronunciamento, soulèvement militaire franquiste, les franquistes assassinèrent le maire républicain Vicente Cejas, son fils et trois dizaines d’habitants de cette petite ville.

Une histoire à suivre

Les jornaleros, l’immense masse de travailleurs agricoles sans terre, s’opposent aux latifundios, propriétaires riches de gigantesques propriétés, très souvent en friches. Le plus gros propriétaire de la région de Marinaleda est le duc de l’Infantado. Il possède 17 000 hectares, qui lui rapportent beaucoup d’argent, car il touche de l’Europe une « aide », qui se montait à deux millions d’euros par an dans les années 1980.

Après la mort du général Franco, se fonde à Marinaleda en 1977 le Sindicato de Obreros del Campo (Syndicat des Travailleurs de la Terre, SAT). Il compte 55 membres à son début. Bientôt ils seront 600. Il va lutter pour assurer la subsistance et des conditions de vie décentes pour la population. D’abord pour obtenir l’eau, puis pour obtenir la terre. Comme cela s’avère nécessaire, les militantes et militants s’engagent dans le combat politique. Et remportent les premières élections libres depuis la fin du franquisme. En 1979, Juan Manuel Sánchez Gordillo, un enseignant né en 1952, devient à Marinaleda le plus jeune maire d’Espagne. Dans son bureau, le drapeau républicain remplace le drapeau royal, le portrait de Che Guevara celui du roi. Le maire porte une chemise rouge et un foulard palestinien. Il lui est arrivé d’être frappé par la police. À deux reprises des organisations d’extrême-droite ont cherché à attenter à sa vie.

Il déclare être inspiré par l’exemple du Che, du Christ, de Gandhi et des anarchistes andalous. Après son élection, la lutte pour la terre se poursuivra durant des années, avec occupations de fermes, blocages de routes, ligne de chemin de fer, aéroport... L’action se porte en particulier sur les terres du duc de l’Infantado. Elles sont défendues par la guardia civile, la police du régime. D’innombrables actions judiciaires sont intentées contre les protestataires, qui subiront la violence y compris physique de la répression. Le maire fera de la prison. Et sera et reste constamment réélu depuis sa première élection.

À force de protestations pacifiques, une victoire est remportée. En 1991, le gouvernement espagnol achète au duc 1259 hectares de terres agricoles et les remet à la municipalité de Marinaleda. Elles vont être cultivées en coopérative. Chaque employé, quel que soit son poste, touche aujourd’hui 47 euros pour 6 heures et demi de travail par jour, de 7 à 14 heures. La moyenne du salaire en Andalousie est de 30 à 35 euros par jour.

Le travail est réparti. Si, par exemple, il y a 200 travailleurs et qu’on a besoin de 50, on fait quatre équipes de 50 qui travaillent chacune à tour de rôle durant une semaine. Et tout le monde est payé pour quatre semaines de travail. Quand il y a un surcroît temporaire de travail, on embauche des travailleurs extérieurs. On n’augmente pas l’intensité ou la durée habituelle du travail des habitants de la coopérative de Marinaleda. Si des bénéfices sont faits, ils ne sont pas distribués, mais servent à créer des emplois nouveaux.

Quand le chômage apparaît avec l’arrivée de la crise économique à partir de 2008, on s’applique à ce que chaque famille de Marinaleda ait au moins un emploi à la coopérative afin qu’elle ne se retrouve pas sans ressources. Le principe suivi est que chacun a droit de manger. Et aussi de se loger. La municipalité a exproprié une quantité de terrains autour de la mairie, ensuite mis gratuitement à la disposition de mal logés de la ville. Les matériaux de construction sont fournis grâce à une aide de l’État et de la région. La mairie paie un architecte et des ouvriers spécialisés. Aux plans de l’architecte, les futurs habitants de l’ensemble de maisons peuvent proposer des modifications. Une fois logés, ils paient juste 15,52 euros par mois pour rembourser les matériaux de construction. Le résultat de cette politique d’auto-construction est qu’un tiers des habitants de Marinelada est logé dans plus de 300 maisons.

Et aujourd’hui ?

Autre action : en août 2012, avec 400 militants syndicaux du SAT, le maire a exproprié de la nourriture de première nécessité dans deux supermarchés de la région. Elle a été distribuée à des sans abri de Séville qui squattent un bloc d’immeubles. Durant le même été, souhaitant offrir plus de terres à cultiver, le maire de Marinaleda, avec des militants et militantes syndicalistes du SAT, a occupé durant dix-huit jours la ferme de Las Turquillas à Osuna, appartenant à l’armée espagnole. En friche, juste une vingtaine de chevaux y vivent. Les occupantes et occupants ont été chassés par la police.

En novembre 2013, le tribunal de la région a condamné pour cette occupation le maire de Marinaleda et le secrétaire général du SAT Diego Cañamero à une très importante amende et sept mois de prison ferme. Après la confiscation de nourriture opérée en août 2012, le ministre de l’Intérieur espagnol a fustigé cette action en disant qu’il y avait certes des problèmes, mais qu’on ne devait pas réagir ainsi, car ce serait « la loi de la jungle ».

Basile (ami d’AL)

 
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