Mexique - Oaxaca : Etat de siège à San Juan Copala




Depuis la mi-août, des femmes du peuple Triqui campent sur la grand-place d’Oaxaca, réclamant la justice pour la commune de San Juan Copala. Le gouvernement d’Oaxaca livre en effet à ce peuple indigène une guerre particulièrement meurtrière, en toute impunité.

Le peuple triqui est l’un des peuples indigènes les plus combatifs face à la domination politique du gouvernement mexicain. Apportant son soutien aux paramilitaires et aux caciques [1], ce dernier a dépossédé le peuple Triqui de près de 50 % de son territoire en 400 ans. Alors que les accords de San Andres garantissent le droit à l’autonomie des peuples indigènes, aucun gouvernement ne s’est donné la peine de légiférer sur ce point, chacun y allant de son projet de développement touristique, d’exploitation des ressources naturelles, de la culture même des peuples, condamnés à devenir le folklore du Mexique touristique.

Or les peuples indigènes du Mexique se sont toujours gouvernés par eux-mêmes, et refusent de se voir imposer des autorités qui n’émanent pas de leur propre volonté et ne respectent pas leurs ressources naturelles ni leur culture.

Dès 1832, les Triquis prennent les armes pour revendiquer la restitution de leurs terres et de leurs droits. Bien que la répression des leaders fut sanglante, ils renouvellent le soulèvement onze ans plus tard, une lutte s’étendant cette fois-ci à de nombreux peuples des États de Oaxaca et du Guerrero, jusqu’à ce qu’ils soient matés par l’armée.
Il faut attendre les années 1970 pour que la lutte reprenne au sein du Mouvement d’unification et de lutte triqui (MULT) qui va organiser de nombreuses actions de récupération des terres, tandis que le gouvernement va renforcer la répression, emprisonnant et assassinant nombre de rebelles.

Diviser pour mieux régner, une pratique bien rodée

Le gouvernement d’Oaxaca n’entend pas laisser libre cours au développement d’un tel mouvement d’autonomie, et, plutôt que d’employer directement la force armée, il préfère semer la division et attiser les haines au sein même des peuples indiens. En 1994, le Parti révolutionnaire institutionnel (PRI [2]) de Oaxaca crée une milice paramilitaire, l’UBISORT (Union pour le bien-être social de la région triqui), en enrôlant de nombreux habitants des communautés.

D’un autre côté, une partie du MULT se transforme en 2005 en parti politique, le Parti d’unité populaire (PUP), et provoquer une scission de laquelle naît le MULT indépendant (MULT-I). Le MULT-PUP s’engage alors dans la voie institutionnelle, acceptant les propositions de négociation avec le gouvernement et, se rendant complice, par son silence, des atrocités commises par les dirigeants. Plusieurs camps émergent ainsi dans la région triqui : l’UBISORT, le MULT-PUP et le MULT-I, ce dernier faisant partie de l’APPO [3], tandis que l’adhésion du MULT-PUP (dont certains membres font partie de milices) est refusée.

Comme les zapatistes

Le climat politique reflète alors les doutes et les divisions engendrés par un système politique partisan particulièrement corrompu : les remous qui animent l’APPO lors des élections de 2007 le montrent bien. En effet, les tendances électoralistes poussent l’APPO à se présenter aux élections, surfant sur la vague Copala. Tandis qu’une autre partie, principalement les indigènes et les organisations anarchistes, ont refusé catégoriquement. Finalement, cette dernière position va l’emporter, mais le chaos règne dans la grande organisation, dans une configuration où la base nie de plus en plus la légitimité des leaders de l’APPO, tentés par l’exercice du pouvoir.

Dans un contexte général où les peuples indigènes sont décidés à reprendre par la force leur autonomie – comme le firent les zapatistes le 1er janvier 1994 – les Triquis, sous l’impulsion du MULT-I, se réunissent en assemblée générale le 1er janvier 2007, proclament la « commune autonome » (Municipio autónomo) de San Juan Copala et adhérent à la Otra Campaña [4]. Cette négation frontale des autorités officielles – le gouverneur du PRI, Ulises Ruiz – va provoquer une spirale de violence.

Guerre sans merci contre la commune autonome

En novembre 2008 le bras de fer commence. Les paramilitaires encerclent la commune autonome et prennent le Palacio (centre administratif de la communauté), le tout dans un bain de sang : neuf enfants tués. En mars 2009, les femmes triquis reprennent le Palacio, repoussant les paramilitaires. Ces derniers mettent alors en place un véritable blocus de San Juan, coupant l’eau, l’électricité, le téléphone et empêchant les médecins et les instituteurs d’entrer et les habitants de sortir.

Pour « briser l’état de siège paramilitaire », de nombreuses organisations locales et internationales se mobilisent : une première caravane se rassemble le 27 avril 2010. Celle-ci n’ira pas bien loin, stoppée par une embuscade des paramilitaires, au cours de laquelle la compañera Bety Cariño et l’observateur international finlandais Jyri Jaakkola perdent la vie.

Petit réveil international : San Juan Copala surgit enfin dans l’actualité médiatique. En juin, c’est une seconde caravane transportant 30 tonnes de vivres pour la communauté assiégée qui se met en route. Le 8 juin elle est embusquée de la même manière par l’UBISORT, alors que la police refuse d’intervenir, démontrant ainsi l’appui du gouvernement aux assassins. Le 23 août dernier, c’est en toute impunité que sont massacrés les organisateurs de la troisième caravane : des femmes et des enfants qui se préparaient à partir pour Mexico. Embuscades, viols et assassinats se perpétuent ainsi chaque jour, à l’encontre des femmes qui sortent pour aller chercher des vivres.

Ce 13 septembre, ce sont les paramilitaires de l’UBISORT et du MULT-PUP qui conjointement ont repris la mairie de San Juan Copala et menacé de massacrer le village de San Juan si les compañeros ne l’évacuaient pas dans les 24 heures. Le 15 septembre, trois femmes furent tuées par balle a San Juan, tandis que Ulises Ruiz tentait d’évacuer celles occupant la principale place de Oaxaca afin de laisser place aux réjouissances du bicentenaire de la révolution mexicaine.
En ce 17 septembre, alors que la communauté est assiégée, les habitants assassinés, les autonomos maintiennent leurs luttes et leurs dénonciations, notamment le campement sur la grand-place d’Oaxaca.

La communauté autonome de San Juan Copala appelle aujourd’hui à l’action urgente pour mettre fin au génocide perpétré contre les peuples indigènes, pour que justice soit enfin rendue et que leurs droits soient respectés. « Ya basta ! ».

Camille (AL Toulouse, au Mexique)

[1Classe dominante contrôlant les communautés (propriétaires terriens, autorités politiques et administratives, financiers...)

[2Le PRI est le parti qui contrôle la majorité du pays.

[3Assemblée populaire des peuples d’Oaxaca, organisation formée à la suite du soulèvement d’Oaxaca en 2006 et regroupant près de 350 associations de base.

[4Programme de lutte et de discussions initié par l’EZLN afin de réunir tous ceux « d’en bas à gauche ».

 
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