Ecologie

« Ecoterrorisme », répression : l’étau se ressère sur les écolos




Jamais à court d’invention d’un ennemi de l’intérieur pour mieux justifier sa politique de contrôle et de répression généralisée des oppositions, le gouvernement Borne par son ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, a fait de l’« écoterroriste » la figure à abattre. Loin de décourager les opposantes au capitalisme, écocide par nature, les luttes écologiques et sociales se multiplient et les ZAD sont appelées à se multiplier.

Écoterrorisme : le mot était lâché par Darmanin à l’issue de la première manifestation de Sainte-Soline. Un pas de plus dans la construction de la « menace écologiste » par le pouvoir, laissant cours à toutes les dérives. Car au-delà des discours, la répression, déjà bien initiée par Hollande et Cazeneuve en 2015, lorsque des militantes et militants écolos avaient été assignées à résidence au moment de la COP 21, s’est gravement accentuée depuis un an.

Les procès visant les militantes écologistes se sont ainsi multipliés. Désormais, les activistes pratiquant la désobéissance civile, comme ceux de Dernière rénovation qui mènent des actions spectaculaires et médiatiques, sont quasi systématiquement arrêtées et placées en garde à vue. Autre lutte très visible ces derniers mois, celle contre les mégabassines a vu près de vingt-cinq personnes être poursuivies depuis un an. Et sur les procès qui ont déjà eu lieu, les condamnations sont particulièrement lourdes et disproportionnées.

Dix mois ferme pour un jet de caillou

Ainsi, après la manifestation du 29 octobre 2022 à Sainte-Soline, cinq personnes sont condamnées à deux à trois mois de prison avec sursis… pour la simple participation à la manifestation interdite, sans qu’aucun fait spécifique, ni violence ni dégradation, ne leur soit reproché, via le délit de « groupement en vue de commettre des dégradations ou des violences ».

En juin, une personne en comparution immédiate est condamnée à dix mois d’emprisonnement ferme pour avoir jeté un caillou lors de la deuxième manifestation à Sainte-Soline, le 25 mars. En juillet, un autre est condamné à un an de prison ferme sous bracelet électronique après un mois de détention provisoire. Il était accusé d’avoir tagué un camion de gendarmerie, et d’avoir brièvement saisi un gilet de gendarme volé à Sainte-Soline. En tout, près de vingt personnes ont déjà été condamnées pour ces mobilisations, et bien d’autres attendent encore leur jugement.

C’est que l’État ne lésine pas sur les moyens pour retrouver les éventuels auteurs d’infraction. Des moyens d’enquête délirants ont ainsi été mis en œuvre pour retrouver des militants ayant débâché une bassine en novembre 2021 : fadettes, géolocalisation en direct, filatures… plusieurs enquêteurs à temps plein ont été mobilisés pendant plusieurs mois. À l’automne 2022, la police n’a pas non plus hésité à aller arrêter un manifestant dans sa chambre d’hôpital après sa grave blessure due à un tir de LBD dans la tête à Sainte-Soline.

Une démultiplication inouïe de moyens

Mais la répression a encore franchi un cap dans l’affaire Lafarge. En décembre 2022, environ 200 militants s’introduisent sur un site du cimentier à Bouc-Bel-Air dans les Bouches-du-Rhône, et y commettent des dégradations. C’est alors carrément la Sous-direction anti-terroriste (SDAT) qui est saisie. Pendant des mois, les bandes des caméras de surveillance sont épluchées, des personnes sont mises sous écoute, des traceurs GPS sont installés sur leurs véhicules et des filatures sont mises en place. Pour la première fois en France, un logiciel espion est même installé sur le smartphone d’un militant.

Ces moyens d’enquête exceptionnels, permis par le régime antiterroriste, sont en réalité utilisés pour faire du renseignement sur les Soulèvements de la Terre, soupçonnés d’être à l’origine de l’action. En juin, la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignements (CNCTR) alertait d’ailleurs sur la confusion entre l’entrave d’actions violentes et la surveillance des activités militantes par les services de renseignements. Ceux-ci demandent de plus en plus de moyens de renseignement (géolocalisation, fadettes, écoutes…) visant des militantes.

Puis, en juin, toujours dans l’affaire Lafarge, une trentaine de personnes est arrêtée partout en France. Réveillées au petit matin par des canons de fusils d’assaut pointés sur elles, arrêtées violemment, leur domicile perquisitionné, elles sont ensuite conduites, yeux bandés, dans les locaux de la DGSI / SDAT. Là, leur ADN est prélevé contre leur gré via un masque sanitaire.Leur garde à vue dure quatre jours.

L’un des interpellées, gravement malade, devra voir trois médecins avant de pouvoir être libéré. Si la qualification terroriste n’est pas retenue, deux personnes sont par la suite mises en examen pour « association de malfaiteurs » et « dégradation en bande organisée ». L’instruction est en cours. Ils encourent vingt ans de prison.

Une cellule « anti-ZAD » spécialement créée

Mais même sans les moyens antiterroristes, l’État dispose déjà de tout un arsenal pour réprimer le mouvement écolo. La loi séparatisme et son « contrat d’engagement républicain » a ainsi déjà été utilisée pour mettre au pas des associations. Ainsi, le préfet de la Vienne a demandé à la ville de Poitiers l’arrêt des subventions d’Alternatiba. L’association avait organisé en septembre 2022 un village des alternatives contenant une formation à la désobéissance civile. Devant le refus de la mairie, la préfecture a saisi le tribunal administratif. Dans les Deux-Sèvres, c’est l’Association de protection d’information et d’études de l’eau et de son environnement (APIEE) qui s’est vue couper ses subventions. Son crime : avoir financé des toilettes sèches pour un rassemblement contre les mégabassines. Même la Ligue des droits de l’homme (LDH), association historique pourtant reconnue, a été menacée par Darmanin de se voir supprimer ses subventions après son rapport sur les violences policières à Sainte-Soline.

Autre signe de durcissement, au mois de septembre, le ministre de l’intérieur a mis en place une « cellule anti-ZAD ». Composée de cinq juristes, elle est chargée d’épauler les préfets pour empêcher l’installation de toute zone à défendre sur le territoire.

Enfin, ultime arme utilisée par le gouvernement : la dissolution. Si les Soulèvements de la Terre ont gagné leur référé, le jugement sur le fond n’a pas encore eu lieu à l’heure où nous écrivons ces lignes, mais une dissolution entraînerait un dangereux précédent, et permettrait la mise en place de nouveaux moyens de renseignement pour réprimer le mouvement.

Et l’horizon ne paraît pas s’éclaircir. Ces derniers mois, la commission d’enquête parlementaire sur les « groupuscules, auteurs de violences » dans les manifestations de ce printemps, a notamment visé les groupes écolos présents à Sainte-Soline. Il est probable qu’elle débouche sur une nouvelle proposition de loi répressive dans les prochains mois.

Agrippine (UCL Nantes)

 
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