Plein feux

Affaire Oudéa-Castéra Ce sont eux les séparatistes !




La première apparition publique de la nouvelle ministre à mi-temps de l’Éducation nationale a été l’occasion d’une sortie de route cauchemardesque pour le nouveau gouvernement Attal. Son mépris affiché de façon aussi décomplexée pour l’école publique et les enseignantes du public est la marque d’une bourgeoisie qui fait de l’entre-soi et du séparatisme social un art de vivre.

La scène est déjà entrée au panthéon des pires sorties politiques. Le lendemain de sa nomination au Ministère de l’Éducation nationale en remplacement de Gabriel Attal nommé premier ministre, Amélie Oudéa-Castéra est interrogée par Mediapart à propos de la scolarisation de ses enfants dans le très select Collège Stanislas  [1]. Cet établissement privé catholique s’illustrait jusqu’alors pour l’excellence de ses résultats au baccalauréat (100 % de réussite et de mention en 2022) et de ses classes préparatoires aux grandes écoles est l’un des établissements les plus prisé de la bourgeoisie parisienne.

La ministre se lance alors dans une tirade, préparée, comme le confirmera Ilyès Ramdani, journaliste au pôle politique de Mediapart  [2], qui n’est qu’une tentative d’imposer un storytelling politique : « Je vais vous raconter brièvement cette histoire […] ». L’objectif était de susciter l’identification du plus grand nombre en convoquant des éléments qui relèvent autant du prof-bashing que du fonctionnaire-bashing (forcément toujours absentes) tout en se mettant au niveau des millions de parents qui s’inquiètent pour l’avenir de leurs enfants : « Et puis la frustration de ses parents, mon mari et moi, qui avons vu des paquets d’heures qui n’étaient pas sérieusement remplacées, on en a eu marre comme des centaines de milliers de familles qui à un moment ont fait un choix d’aller chercher une solution différente ».

Un mépris de classe savamment entretenu

Heureusement, il reste des journalistes pour qui l’information ne se résume pas à servir la soupe aux puissantes et très vite les preuves de dissimulation et de mensonge de la ministre se sont accumulées : son fils n’a été scolarisé que quelques mois dans le public, à temps partiel, en petite section ; l’enseignante de son fils niant qu’il y ait eu « des paquets d’heures qui n’étaient pas sérieusement remplacées » ; elle et son mari ont fait le choix d’une éducation en non-mixité pour leurs enfants… La communication de la ministre devenant de jour en jour plus absurde, jusqu’à aller affirmer qu’elle n’avait pas menti mais que « la réalité lui donnait tort » ! Amélie Oudéa-Castéra s’est élevée au niveau d’Emmanuel Macron pour ce qui est du mépris exprimé envers les classes populaires.

Le couple Castéra n’est pas une famille française comme tant d’autres. On est là en plein cœur de l’élite médiatico-politico-financière, si souvent évoquée mais rarement démasquée (elle sait se faire discrète). Amélie Oudéa-Castéra est diplômée de Science-Po Paris, de l’ESSEC, et enfin de l’ENA. Si elle commence sa carrière à la Cour des comptes, elle va vite aller exercer dans le privé, autrement plus lucratif, chez AXA d’abord, puis à Carrefour, elle est également présente au sein de conseils d’administration de plusieurs entreprises et intègre même le Medef. Son mari, Frédéric Oudéa, est un ancien conseiller de Nicolas Sarkozy au ministère du Budget, ancien directeur général de la Société générale de 2008 à 2023 dont il fut le PDG entre 2009 et 2015, et actuel président du conseil d’administration du laboratoire pharmaceutique Sanofi depuis mai 2023. Ajoutons que Amélie Oudéa-Castéra est la nièce des éditorialistes politiques Alain Duhamel (BFM TV) et Patrice Duhamel (directeur général de France Télévisions), nièce de l’éditorialiste Nathalie Saint-Cricq (France Télévisions) et cousine du journaliste Benjamin Duhamel (BFM TV). Mediapart n’hésitant pas à parler du couple Castéra comme d’un « parangon des élites françaises ».

Un rapport resté sur le bureau du ministre

L’établissement privé dans lequel les époux Castéra scolarisent leurs enfants est un établissement catholique qui promeut les thérapies de conversion pour les personnes homosexuelles (interdites en France), qui nie la contraception autre que « naturelle », qui prône une éducation différenciée en fonction du genre –les enfants Castéra étudient d’ailleurs dans des classes non-mixtes ! – et qui impose aux filles des tenues « correctes » afin de ne pas attirer les regards et de « se respecter ». Rappelons que dans les missions de la ministre à mi-temps il y a la lutte contre les stéréotypes de genre à l’école. Les nombreuses infractions de cet établissement de prestige ont d’ailleurs fait l’objet d’un rapport interne de l’inspection générale de l’Éducation nationale commandé par Pap Ndiaye, mais que Gabriel Attal a choisi de ne jamais rendre public  [3]. Sans doute Gabriel Attal, ancien élève d’un autre établissement prestigieux, privé mais laïc celui-ci, l’École alsacienne, autre lieu de l’entre-soi du gotha  [4], également situé dans le VIe arrondissement de Paris, n’a-t-il pas voulu heurter un établissement où le « gratin » de la bourgeoisie économique scolarise ses enfants. La conscience de classe est toujours bien développée dans la bourgeoisie.

L’« affaire Stanislas » tombe d’autant plus mal pour la Macronie qu’elle intervient quelques semaines après qu’un autre établissement privé confessionnel, mais musulman celui-ci, ait également fait l’objet d’un rapport de l’inspection générale de l’Éducation nationale, le lycée Averroès à Lille. Dans un cas un rapport accablant mis sous silence. Dans l’autre, un rapport dans lequel aucune recommandation n’est suggérée… mais le préfet qui s’en servira pour notifier la fin du conventionnement avec l’État  [5]. Tandis qu’on apprendra que Stanislas se voit offrir une dotation horaire supérieure aux établissements du public comparables et qu’il obtient des subventions supralégales de la part de la Région Île-de-France  [6]. Deux poids, deux mesures…

Bourgeois et réactionnaires main dans la main

Derrière le cas Oudéa-Castéra et du Lycée Stanislas c’est tout un système de l’entre-soi d’une caste de privilégiés qui vivent sur les fonds publics tout en faisant l’éloge de la libre-entreprise, et font du séparatisme un art de vivre. Rien dans le lycée Stanislas n’est en accord avec la loi confortant le respect des principes de la République, dite loi séparatisme. Bien évidemment celle-ci ne visait pas l’entre-soi bourgeois, volontiers catholique intégriste. La couverture du torchon raciste et réactionnaire – dont le titre doit être compris comme une anti-phrase –, Valeurs actuelles, du 25 janvier dernier : « Pourquoi il faut sauver l’école privée », montre bien qui sont les soutiens de ces projets de ségrégationnisme scolaire.

Contrairement à ce qu’affirme Valeurs actuelles, ce n’est pas une guerre scolaire mais belle et bien une guerre de classe. Si l’« école libre » comme aime à l’appeler celles et ceux qui ne rêvent que d’écoles casernes est un choix qui appartient aux familles, celui-ci ne doit pas se faire sur des fonds publics. Dès à présent exigeons le déconventionnement de Stanislas et engageons la fin du financement public des établissements privés. Ce dont l’école publique a besoin ce n’est pas d’une ministre à mi-temps, méprisant les valeurs d’égalité et de liberté, mais des moyens à hauteur des besoins de toutes et tous les élèves.

David (UCL Savoies)

[1En fait une cité scolaire, propriété d’une société anonyme, qui scolarise des enfants depuis la maternelle jusqu’aux classes préparatoires.

[2À l’air libre, « Oudéa-Castéra, lycée Stanislas : comment Mediapart a enquêté », sur le site Mediapart.fr

[3« Affaire Oudéa-Castéra : Mediapart publie le rapport sur Stanislas caché par les ministres », Mediapart, 16 janvier 2024.

[4« Le couple Oudéa-Castéra, parangon des élites françaises », Médiapart, 15 janvier 2024

[5« Entre les lycées Stanislas et Averroès, “l’inégalité de traitement est évidente”, entretien avec Pierre Mathiot », Mediapart, 24 janvier 2024.

[6« Une enquête ouverte sur l’établissement scolaire privé Stanislas pour injures sexistes et homophobes »,
Le Monde, 19 janvier 2024.

 
☰ Accès rapide
Retour en haut