politique

Belgique : Le mouvement libertaire doit se refonder (1/2)




La Belgique est un laboratoire de l’atomisation sociale et de « l’individu forteresse », complétés par une culture politique du consensus, sans véritable équivalent en France. Notre tâche est donc unique et c’est pour partager son expérience particulière et les défis spécifiques auxquels il est confronté que le collectif Alternative libertaire Bruxelles lance cet série d’articles cette série d’article destinés à ses camarades français.

L’anarchisme, en Belgique, est à l’image des milieux radicaux et révolutionnaires du pays : éclaté, géographiquement et politiquement, en mal d’une histoire à laquelle se raccrocher et meurtri par l’absence de mouvement populaire de masse.

Nos camarades français ont sans doute du mal à s’imaginer l’état de délabrement intellectuel de la Belgique ; coupée en deux par la frontière linguistique, au-dessus de laquelle Wallons et Flamands s’ignorent superbement, subdivisée en une multitude de niveaux de pouvoirs institutionnels qui la rendent incompréhensible aux yeux étrangers et qui nourrissent une cohorte de politiciens professionnels, elle n’a ni l’unité culturelle de la France, ni sa (très relative) variété médiatico­-éditoriale.

Un manque criant de médias militants

Cela peut paraître anecdotique mais ça ne l’est pas du tout. Il n’existe pas, dans l’espace francophone, de presse dite de gauche, encore moins de presse révolutionnaire. Nous comptons une seule maison d’édition alternative, d’obédience plutôt communiste, et qui frôle la faillite tous les ans. Nous ne possédons pas non plus de lieu d’échanges et de rencontres commun aux groupes radicaux.

En fait, chaque organisation possède son petit média, souvent un blog ou un web-journal, qui suit une ligne politique trop restrictive pour parler véritablement à des non-encarté.es ou même à ses allié.es objectifs. Le journalisme, chez nous, est encore plus délétère qu’en France, les deux grands quotidiens généraux, Le Soir et La Libre Belgique, adhèrent ouvertement à la « modernisation » libérale et sont devenus des agences de communication au service des politiques professionnels et des grandes entreprises.

Politiquement, l’espace de la « révolte » est occupé par un ancien parti maoïste, le Parti du travail de Belgique (PTB), qui, depuis quelques années, a réussi une reconversion dans la social-démocratie « radicale ». Plus le temps passe et plus le PTB adhère aux codes de la communication politique et entre dans le jeu parlementaire ordinaire ; sa « radicalité » va toujours décroissant. Les autres partis, des groupuscules trotskistes ou communistes vieille recette, sont complètement écrasés et demeurent dans une position ambiguë, entre présentation aux élections et appels à la révolution prolétarienne.

Notre Parti socialiste (PS) se vante d’être l’un des « plus à gauche » d’Europe – ce qui est sans doute le cas au niveau program­matique, mais le mode de gouvernement de la Belgique, où personne ne peut former de gouvernement unitaire, amène le PS à bâtir des coalitions avec les partis conservateurs ou libéraux. Ils peuvent alors se cacher, après chaque privatisation ou chaque politique répressive, derrière la nécessité de faire « des compromis », qui ne sont en réalité que des compromissions supplémentaires.

Depuis que l’émergence du PTB met en danger leurs prés carrés électoraux, les vieux dinosaures du PS ont mis la barre à gauche, en promettant une semaine de travail de quatre jours et un processus de codécision dans les entreprises ; mesures qui seront bien entendu supprimées après coup sous la double pression de la « réalité économique du marché » et le besoin de gouverner avec la droite.

Absence d’une organisation bilingue

Les seules bouffées d’air se trouvent dans quelques recoins du mouvement syndical.

Des groupes de jeunesse, nés dans les cendres des jeunes ouvriers chrétiens ou dans les milieux étudiants, pratiquent l’autogestion et occupent un rôle central dans l’organisation des actions de rue, en particulier à Bruxelles. Ces groupes, au croisement des différentes sphères radicales, voient se côtoyer des anarchistes, des écologistes radicaux, des trotskistes et tout un tas de personnes qui ne rentrent pas dans ces cases.

Malgré leur « hégémonie » sur la pratique de la radicalité politique dans l’espace public, ces groupes sont ultraminoritaires et ne réunissent, à Bruxelles, pas plus d’une ou deux centaines de militantes et de militants.

Les anarchistes sont profondément divisés, d’abord entre Wallons et Flamands, mais aussi entre les centres urbains, et il n’existe aucune organisation nationale (bilingue) ou même représentative de l’espace francophone dans son entièreté.

Les deux principaux foyers libertaires francophones se trouvent à Bruxelles et à Liège. Au sein même des villes, les militants et militantes anarchistes se subdivisent au moins en trois groupes : les organisés (collectif Alternative libertaire Bruxelles), ceux qui se fixent autour d’un lieu/projet culturel comme une librairie (Acrata) ou une bibliothèque (BibLibre), et enfin les plus autonomes dont le collectif se cristallise dans les squats et dans lesmanifestations, rassemblements, combat contre les prisons, etc.

Faible implantation populaire

Même si les personnes finissent par se connaître, à force de fréquenter les mêmes actions, les liens politiques sont inexistants et il serait difficile de parler de « mouvement anarchiste » belge ou francophone. Le projet d’un grand rassemblement, d’un congrès des anarchistes belges, est régulièrement évoqué mais demeure une arlésienne. Il est de toute façon douteux que celui-ci permette de créer une dynamique intergroupes, étant donné les différends politiques et surtout stratégiques qui opposent les libertaires entre eux.

Le principal obstacle séparant les anarchistes d’une vraie fusion avec la grogne occasionnée par les politiques libérales et autoritaires du gouvernement vient de la composition sociale de nos groupes. Les libertaires se recrutent d’abord chez les fils blancs et diplômés des classes moyennes. L’apport des classes populaires et en particulier des Belges issus de l’immigration est extrêmement marginal ; cela déconnecte l’action politique du quotidien de ceux qui subissent le plus directement les pires effets du capitalisme financiarisé.

Le processus de déclassement et de précarisation est bien enclenché en Belgique mais la pauvreté se concentre encore dans des communes-ghettos où les groupes libertaires n’ont pas d’enracinement.

L’accumulation de ces problèmes – absence quasi-totale de diffusion des positions anarchistes, propagande médiatique écrasante, division et éclatement, déconnexion avec les classes populaires – nous questionne et nous oblige à remettre en cause nos modes de pensée et d’action.

Thibault (AL Bruxelles)

 
☰ Accès rapide
Retour en haut