Médecine : Mon corps, même malade, m’appartient !




La confrontation plus ou moins douloureuse avec les médecins nous concerne toutes et tous, parfois à l’occasion de moments cruciaux faisant basculer nos vies, de l’accouchement à la maladie grave. À l’heure où l’hôpital et le système de santé en général sont de plus en plus soumis à des logiques financières, cette relation donne lieu à bien des sentiments de négligence voire de maltraitance, dans le cadre d’une relation de subordination.

La réforme « Hôpital, patients, santé, territoires » est impulsée par Roselyne Bachelot en 2009 dans le cadre de la révision générale des politiques publiques visant à accroître la rentabilité des services publics. À des fins de coupes budgétaires, les agences régionales de santé (ARS) nouvellement créées imposent la fermeture des hôpitaux de proximité au profit des seuls centres hospitaliers régionaux et/ou universitaires, prétextant un nombre de patients et patientes insuffisant ou des locaux qui ne sont pas aux normes.

Dépersonnalisation de la relation patient-médecin

Dans ces grandes « usines à cancer », les patientes et les patients sont déshumanisé-e-s voire réduites au statut de cobaye. Cette réforme implique une dépersonnalisation de la relation patient-médecin et du stress pour les deux parties. La détérioration des conditions d’exercice aggrave le phénomène de burn-out qui toucherait près de la moitié des étudiants en médecine au cours de leur cursus universitaire, induisant manque de professionnalisme et déclin d’empathie [1].

Ce contexte semble défavorable à l’esprit de la loi du 4 mars 2002 qui prévoyait notamment le droit à l’information, le consentement éclairé et plus largement l’autonomie du patient, valorisant la conception d’une décision partagée avec le médecin sur le choix du mode de guérison. Le modèle du médecin paternaliste qui use de son privilège thérapeutique pour ne divulguer que des informations choisies et limitées dans le but simple d’obtenir une absence de refus, décidant seul du traitement [2]
, est légalement jugé dépassé.

La volonté pour le patient ou la patiente de jouer pleinement le jeu de la loi de mars 2002 dépend de ses moyens financiers mais aussi de ses dispositions, socialement conditionnées, à se montrer obéissant ou au contraire résistant face à l’institution médicale. Du côté des patients, le niveau d’études et la catégorie professionnelle ont une forte incidence sur le comportement actif de recherche d’informations sur une maladie et ses traitements 3, tandis que sans surprise, les médecins se recrutent à 45 % dans les familles de cadres et professions intellectuelles supérieures [3]. Si l’on peut saluer la féminisation de la profession, cette surreprésentation des classes favorisées laisse d’emblée peu de place à une relation un tant soit peu horizontale avec le patient.

La considération du médecin à l’encontre du patient est proportionnelle au statut social au sein de modes relationnels contrastés : les médecins « mentent » plus aux personnes issues des milieux populaires. Le genre est aussi une donnée clef de la relation médecin-patient : les femmes sont « sur-prescrites » en psychotropes, les médecins ayant tendance à interpréter la cause de leur mal-être comme endogène, tandis que pour les hommes, elle serait de nature plus manifestement exogène (difficultés professionnelles par exemple). Bref, le dialogue qui s’établit et l’échange d’informations qui est exigé par la loi n’empêchent pas la reproduction des stéréotypes culturels et sociaux.

Dans Le Corps malade, le corps témoin, Philippe Barrier valorise de son côté « le regard naïf, au sens le plus profond, porté sur la maladie et la santé », estimant qu’il peut être utile à la science et au médecin « non comme signe, mais comme parole directe du corps ». À la « compliance » (soumission sans faille) religieuse envers les décisions du médecin, il oppose une vision « autonomique » qui considère que tout patient jouit de la capacité de percevoir et pratiquer la norme de santé correspondant à ce qui est préférable pour lui.

Cette capacité est tendancielle et donc éducable, c’est-à-dire susceptible d’être développée ou au contraire entravée voire contrariée par l’autoritarisme d’une pratique médicale un peu datée, mais aussi par l’hyperspécialisation et le « technicisme » qui se dessinent comme tendances fortes dans la médecine d’aujourd’hui.

Or le soin véritable ne relève ni de l’obéissance ni de la seule technicité. Le choix du préférable est un choix que le patient peut faire lui-même. Dans le cas contraire, il est une marionnette entre les mains du médecin ou d’une technique. Le rôle du médecin devrait donc être idéalement d’accompagner, d’écouter, de proposer, de conseiller, et d’affiner la pertinence dans cette évaluation du préférable qui implique un partage des connaissances et des responsabilités. Il doit apprendre à faire confiance, et surtout au patient lui-même à se faire confiance.

Entrevues chronométrées

Un programme qui semble révolutionner, le rapport patient-soignant, mais dont les conditions d’existence sont incompatibles avec l’austérité préconisée par les pouvoirs publics. Entrevues chronométrées, multiplicité des interlocuteurs sont autant d’entraves à une relation respectueuse du corps que nous devons refuser. Le système de santé, et par extension nos vies ne sont pas à brader !

Julie (AL Moselle)

[1Rev Med Brux, “The burn-out of medical students”,
E. Kains1 et D. Piquard, 2011.

[2Sciences sociales et santé, vol. 25, n°2, juin 2007, « La relation
de coopération médicale
et l’asymétrie médecin-patient »,
A. Jaunait.

[3Étude de la Drees (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques) sur les étudiants de Paces (première année commune aux études de santé) 2013/2014.

 
☰ Accès rapide
Retour en haut