Syndicalisme

Euskadi Sud : Caisse de grève- arme du syndicat ELA




La confédération basque ELA (Eusko Langileen Alkartasuna –« Solidarité des travailleurs et travailleuses basques ») engage aujourd’hui le plus haut niveau de conflictualité d’Europe. À l’heure où beaucoup de travailleurs et travailleuses renouent avec la grève, le modèle d’ELA et son mode d’emploi confédéral constituent un éclairage salutaire pour l’avenir du syndicalisme de masse et de classe, au service de la révolution sociale.

Elle est créée en 1911, puis s’est reconstruite à la sortie du franquisme en 1976, y affirmant sa nature nationaliste, socialiste et de classe. ELA revendique aujourd’hui 100 000 adhérentes (les journalistes ont toute latitude pour en vérifier la véracité), presque 10% de la population salariée en activité, soit un taux cinq fois plus élevé que la CGT en France. C’est comme si cette dernière avait, en France, 2,5 millions d’adhérentes.

Elle est la première organisation en termes de représentativité, plus de 41% sur trois provinces (Araba, Bizkaia et Gipuzkoa), et 23% en Nafarroa. Son modèle syndical est original, par sa structuration interne, mais aussi par sa caisse de grève (caja de resistencia) qui lui permet de gagner des grèves longues, en particulier dans les secteurs féminisés.

Indépendance financière et politique

ELA revendique son indépendance politique et idéologique par rapport aux partis politiques, et plusieurs mesures ont été prises pour empêcher le plus possible l’utilisation du syndicat par des fractions politiques. Un autre pilier de son modèle syndical est son indépendance financière. Très élevée dès sa reconstruction, elle a progressé au fur et à mesure. Désormais son budget, qui concerne l’ensemble des structures, est financé à hauteur de 93% par les seules cotisations des adhérentes.

ELA se définit comme un syndicat de contre-pouvoir, en opposition totale au modèle syndical de concertation sociale des deux organisations majeures de l’État espagnol que sont la UGT (Unión General de Trabajadores) et les CCOO (Comisiones Obreras), qui vivent sous perfusion financière, notamment de l’État, et signent tous les accords de reculs sociaux.

En 2021, les grèves dans la communauté autonome des trois provinces de Araba, Bizkaia et Gipuzkoa ont représenté 42% du total des grèves dans l’État espagnol, et 45% du nombre de jours de grève. Alors que le nombre de salariées n’y représente que 5% de cet État  ! C’est le niveau de conflictualité le plus élevé d’Europe.

La grève est le moyen central de l’action du syndicat, et son importance tient pour ELA à trois principales raisons. Certaines victoires ne sont pas possibles sans grève. Elle envoie le message au patronat, public et privé, que le syndicat ne reculera pas. Elle crée un précédent, tant pour les salariées que pour le patronat. Enfin parce qu’elle renforce l’identité de classe.

Forte cotisation et caisse de grève

Un autre pilier du modèle d’ELA est le niveau élevé de la cotisation. Choix fait dès 1976, il est cohérent avec les autres principes de la confédération. Actuellement elle est de 23 euros pour 80 % des adhérentes. La démonstration est faite qu’une forte cotisation n’est pas un obstacle à l’adhésion de masse (alors même que la déduction fiscale n’est que de 20 %). Un quart de la cotisation alimente la caisse de grève.

Le syndicat continue de lutter auprès des travailleurs et travailleuses basques, les accompagnant dans de nombreuses victoires.

Celle-ci est alors en capacité de tenir de longues grèves, de plusieurs mois jusqu’à deux ans, voire plus. Un objectif revendicatif phare d’ELA est la lutte contre la « brèche salariale » entre les femmes et les hommes, comme dans les secteurs du nettoyage, aide à domicile, maisons de retraite, commerce. Des grèves ciblées pour gagner des accords d’entreprise ou de branche permettent des victoires qui renforcent ensuite la confiance dans le syndicat. Ce qui hausse le niveau d’adhésion et de militantisme, et alimente la caisse de grève.

ELA décide d’en créer une en 1976. Il y a trois niveaux d’indemnité de grève. Le premier, dit ordinaire, garantit jusqu’à 105 % du Salaire minimum interprofessionnel (SMI). Le second, dit renforcé, couvre jusqu’à 121 % du SMI. Pour être déclenché il faut qu’au moins 35 % des salariées soient adhérentes du syndicat. Le troisième, dit extraordinaire, couvre jusqu’à 210 % du SMI. Ici, il est nécessaire que 30 % au moins des salariées soient adhérentes au syndicat, que 75 % au moins d’entre elles et eux soient d’accord pour faire grève, et que celle-ci soient considérée comme d’intérêt stratégique pour ELA, ce qui est le cas des secteurs féminisés et précarisés.

ELA s’affronte régulièrement aux institutions politiques qui privatisent de nombreuses activités, elle y prouve son indépendance politique. L’adversaire est alors souvent le parti historique du nationalisme bourgeois basque, le PNV (Partido Nacionalista Vasco), fortement implanté dans ces institutions. L’administration fiscale a tenté en 2018 de casser la caisse de grève en déclarant imposable l’indemnité de grève. Mais ELA s’est adaptée à cette attaque.

Un modèle syndical à étudier

Il ne s’agit pas de copier le modèle d’ELA pour que les organisations syndicales de lutte en France voient leur niveau d’adhésion augmenter comme par magie. ELA a su poser des fondations solides et faire évoluer en permanence ses structures internes pour qu’elles s’adaptent à la réalité du salariat et répondent aux objectifs revendicatifs.

ELA est une confédération compacte dans sa structuration, avec une forte culture de la solidarité interprofessionnelle effective. Là où la CGT et Solidaires sont en échec. Sur la base des sections syndicales, les fédérations (réduites à trois) et les unions locales forment les douze unions interpros où la syndicalisation dans les TPE-PME y est notamment une priorité.

En 2014, ELA amorce une réflexion contre la reproduction interne des schémas patriarcaux de son fonctionnement et dans sa prise en compte des revendications des femmes. Cela aboutit en 2022 à un plan stratégique sur le sujet, mis réellement en œuvre, où toutes les structures et activités doivent effectivement évoluer pour devenir réellement ce qu’elle souhaite : un syndicat féministe.

Se remettre en cause en permanence et agir sur ce qui ne dépend que du syndicat lui-même, est la première leçon à tirer de cette expérience syndicale originale. Nous ferions déjà un grand pas  !

Louise (UCL Saint-Denis), Michel (UCL Vosges) et Roger Boivin (UCL Rennes)

 
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