Antipatriarcat

Rencontre avec le Collectif Archives LGBTQI+ : Des archives vivantes, « parce que nos mémoires se meurent »




À l’occasion du mois des fiertés, nous avons rencontré le collectif Archives LGBTQI+ qui porte un projet d’archives vivantes communautaires, en vue non pas de mettre à l’abri du passage du temps les vestiges d’un passé révolu mais bien de créer un espace de construction et de transmission d’une mémoire collective vive. Focus sur un projet émancipateur aux prises avec les institutions publiques.

Créé en 2017, le Collectif Archives LGBTQI+ défend une vision des archives hautement politique  [1]. Loin de l’image des rangées de cartons poussiéreux accessibles à un petit nombre d’expertes devant montrer patte blanche et main gantée, la philosophie des archives portée par le collectif permet la réappropriation par les personnes concernées de leur Histoire et de leurs vécus.

Confiées aux institutions publiques, les archives LGBT+ sont peu accessibles : elles sont dispersées et leur accès est souvent restreint. Elles sont invisibilisées, par cette inaccessibilité mais aussi parce que leur conservation et leur valorisation sont soumises aux biais classistes et hétéropatriarcaux des politiques culturelles publiques.

Contre cette dépossession, le collectif milite pour la création d’un centre d’archive des mémoires et des cultures LGBTQI+, où les fonds, accessibles à toutes et tous, seraient gérés de manière autonome et communautaire, entre personnes concernées.

Ainsi sont renversés les rapports de pouvoir à l’œuvre dans l’archivistique institutionnelle. Les personnes concernées sont reconnues comme légitimes pour raconter, éclairer et transmettre l’histoire de leurs luttes et de « leurs cultures au sens large du terme et ses codes » [2].

Comme exemple de cette vision participative des archives, les ateliers « On traite un fonds ensemble », animés par une archiviste professionnelle, ouverts à toutes et tous. On y ouvre un carton d’archive et les participantes, par la discussion collective, dégagent des axes d’interprétation et de classement des fonds plus pertinents que ce qu’une ou un archiviste professionnelle seule, étranger ou étrangère à ces cultures minorisées et méconnues, aurait importé.

De quels fonds parle-t-on ?

Correspondances, photographies, costumes, films, presse, livres, enseignes de bar, tracts, badges, mugs… le collectif collecte, trie, inventorie et diffuse tout objet en lien avec les luttes et les cultures LGBTQI+. Le projet d’archives vivantes conduit à héberger des fonds anciens mais aussi ce que les bénévoles glanent en manifestation. De plus, le Collectif s’affaire à la production d’archives orales afin de documenter les luttes et les expériences contemporaines.

La fresque peinte sur les murs du local actuel a été composée à partir d’objets découverts dans les fonds.

Plusieurs orientations restent à décider : comment circonscrire la culture LGBTQI  ? Faut-il prioriser les mémoires les plus minorisées  ? À mesure que les questions se posent, les statuts du Collectif prévoient d’y répondre démocratiquement et collectivement, notamment en AG. Plus largement, en lien avec ses ambitions de démocratisation et d’empouvoirement, l’ensemble des orientations et des activités militantes s’élabore en plénière et au sein des groupes de travail.

Pour mener à bien son projet d’archives, le Collectif demande depuis plusieurs années aux pouvoirs publics de soutenir financièrement la création et une partie du fonctionnement (loyer, salaire des permanentes) d’un local pérenne. Malgré le retard de la France à cet égard, la mise sur pied d’un centre d’archives communautaire reste toujours compromise : serait-ce la gestion autonome des archives qui effraye les institutions du pouvoir ?

Un local de taille est pourtant plus que nécessaire, d’une part, pour stocker les archives (le manque actuel de lieu pour accueillir ces archives est tel que les dons ont déjà commencé avant même que le Collectif ne lance le moindre appel) et d’autre part pour accueillir du public et que vivent les archives et les mémoires.

Les institutions publiques en retard

Alors qu’Amsterdam, Berlin, Londres, Prague, Los Angeles… ont toutes un centre financé, la Mairie de Paris affiche un soutien ambigu. Si elle a bien proposé en 2019 de financer un local, l’appel à projet précisait que « la conservation desdites archives sera assurée par les institutions publiques de conservation » [3]. Faisant fi du projet de gestion communautaire et autonome, les militantes du collectif se voient ainsi cantonnées à des tâches de manutention, éventuellement de tri, puis devraient passer la main.

En 2021, les élues se réjouissent publiquement  [4] de l’adoption d’un vœu à l’unanimité de la mairie, qui mentionne cette fois une gestion communautaire. Mais si la Mairie a bien fini par proposer un nouveau local, c’est cette fois l’argent, pourtant proposé en 2019, qui n’est plus disponible… Seule la DILCRAH  [5] s’est sérieusement engagée, le Ministère de la Culture quant à lui est pour l’instant aussi muet que des archives LGBT+ dans des fonds nationaux. Jusqu’à quand ?

Il est possible de soutenir le Collectif en donnant de l’argent  [6], mais aussi en menant à ses côtés le combat pour des archives communautaires vivantes. À Paris, deux rencontres sont prochainement organisées pour parler du pouvoir de l’archive communautaire, le 17 et 18 juin  [7].

Partout, il est possible d’alimenter le fonds d’archive avec ses archives personnelles en contactant le Collectif ou en attendant la mise en ligne prochaine du tutoriel DIY archives dans le cadre du projet Big Tata  [8], qui permettra à chacune d’être auteur ou autrice de ses archives !

Louise (UCL Montreuil)

[2Rubrique « Qui sommes-nous  ? » sur le site Archiveslgbtqi.fr.

[5Délégation Interministérielle à la Lutte Contre le Racisme, l’Antisémitisme et la Haine anti-LGBT

[7Toute la programmation est à retrouver sur le site https://archiveslgbtqi.fr/

[8Projet numérique cogéré par le Collectif. Les membres du réseau Big Tata organisent leurs rencontres à Vaulx en Velin les 3 et 4 juin 2023.

 
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