Syndicalisme

Fanny, Confédération paysanne : « La violence, elle est de l’autre côté, du côté de la défense des intérêts privés »




Entretien avec Fanny Metrat, porte-parole de la Conf’ de l’Ardèche : origine de la Conf’, combats actuels, enjeux locaux et internationaux, convergence des luttes, dans une optique clairement anticapitaliste.

Si, dans nos pages Syndicalisme, nous évoquons régulièrement la CGT et Solidaires, la Confédération paysanne y est très peu présente. Des camarades paysannes regrettant que les actions de la Conf’ soient souvent relayées dans les pages Écologie et non Syndicalisme. Cet entretien, en deux parties, de Fanny Metrat, porte-parole de la Conf’ de l’Ardèche, élue au Comité national de la Confédération paysanne et responsable des dossiers pastoralisme et international, revient sur l’origine de la Conf’, de ses combats actuels et traitent des enjeux locaux et internationaux du point de vue du syndicalisme paysan avec toujours en ligne de mire la convergence des luttes et une optique clairement anticapitaliste.

Alternative libertaire : Salut Fanny, est-ce que tu peux te présenter ?

Fanny : Et bien, du coup, je suis Fanny Métrat, je suis paysanne, en Ardèche avec mon compagnon, Manu. On élève des brebis pour les agneaux, pour la viande qu’on découpe et qu’on vend en direct. On fait aussi de la châtaigne qu’on transforme en farine, confitures qu’on vend dans des magasins de producteurs. Et on est dans une zone hyper pentue, hyper sauvage, sur les quelques terrasses plates autour du hameau, on fait un peu de pommes de terre qu’on vend à la Biocoop du coin.

On est installées depuis 2009. Mon compagnon est fils de paysan mais on n’a pas repris la ferme familiale, on s’est installées hors cadre familial, après avoir pas mal vécu en Afrique de l’ouest, été ouvrier agricole et moi j’ai été aussi salariée de la Confédération paysanne de la Drôme il y a une vingtaine d’années.

Et puis dés qu’on s’est installées paysannes du coup, je me suis investie dans la Confédération paysanne de mon département en Ardèche. Je suis devenue porte-parole de la Conf’ en Ardèche assez vite, connaissant déjà bien la maison. Et puis, depuis cette année, depuis 2023, je suis membre du Comité national de la Confédération paysanne. Et je suis responsable des dossiers pastoralisme et international pour la Conf’.

Ok, et du coup comment vous vous êtes installées ?

Fanny : On a repris une ferme, 100 % en fermage, tout en location. Ce qui nous a permis de nous installer sans avoir trop de thunes avec une petite maison en location, dans le hameau, et les terrains et la bergerie en location aussi. Le statut du fermage qui est un statut agricole hyper privilégié est le fruit de nombreuses luttes des fermiers et fermières, des paysans et paysannes, contre les propriétaires fonciers.

J’en parle parce que le statut du fermage, il est mis à mal par les associations de propriétaires et pour nous, à la Conf’, le fermage est un statut à défendre bec et ongles, et ça permet du coup d’installer des nouvelles générations avec très peu de moyens, en fait.

Fanny Métrat est une éleveuse ardéchoise et élue au Comité National de la Confédération paysanne.

D’accord, ça permet de pas forcément être ni dans l’héritage, ni dans la dépendance aux banques...

Fanny : Oui ça pour nous, c’est important. On est quand même descendantes d’une génération de paysannes, les paysans travailleurs qui défendaient le fait que la terre est un outil de travail et qu’il ne faut surtout pas spéculer ou capitaliser dessus. Qu’il s’agisse de la terre ou du bâtis agricole en général, nous pour la bergerie, tout est en location.

Donc on sort des logiques d’héritage, et puis de l’agriculture qui depuis les années soixante s’est développée sous couvert de modernisation avec énormément de capitaux et sous la coupe des banques...

Fanny : Carrément, après, il y a énormément de paysannes en location sur les terres. Après ce qu’on dit aussi, c’est qu’avec les retraites de merde qu’on a, malheureusement, il y a plein de paysannes avec des retraites à 400/500 euros par mois, ils et elles se sentent obligées de spéculer sur sur les terres ou le bâti parce qu’ils et elles n’ont pas vraiment le choix.

Et du coup ce qu’on dit, c’est que la logique, elle est globale. Tant qu’il y aura une retraite de merde pour les paysannes, qu’on aura une retraite au rabais, on ne pourra pas trop contrer cette logique là de spéculer à la fin de la carrière sur tout ce qui est bâti, terres...

Et du coup, la Confédération paysanne c’est quoi alors ?

Fanny : La confédération paysanne est née en 1987 de la réunion de deux syndicats. D’une part, les Travailleurs Paysans, aussi appelés Paysans Travailleurs (ça a évolué dans le temps), un syndicat qui a fait scission avec le syndicat majoritaire en convergeant avec les mouvements ouvriers de l’époque, notamment Lip, en disant : « paysans/ouvriers même combat ». Et ça sortait justement de cette logique de paysans patrons, paysans propriétaires.

À cette époque, dans les années 1970 / 1980, il y a toute une frange de la paysannerie qui s’est rebellée contre ce modèle paysan, et sur le Larzac, dans les bagarres contre le camp militaire, Bernard Lambert s’exprimait en disant : « Nous ne serons plus jamais des versaillais, paysans/ouvriers, même combat ! » Du coup, il y a cette branche-là historique qui fait partie de la Conf.

Et d’autre part, une branche plus réformiste, la FNSP, la Fédération nationale des syndicats paysans, qui, elle, est née aussi d’une scission d’avec la FNSEA, mais plus réformiste, plus proche du PS de l’époque. Et c’est cette réunion de ces deux syndicats qui, en 1987, a créé la Confédération paysanne.

Depuis La Conf’ a beaucoup évolué. Dans les années 2000, avec José Bové, la Conf’ est un peu mise sur le devant de la scène et gagne en notoriété. On se dit être un syndicat non corporatiste, on a toujours fait partie des grosses convergences sociales et écologiques du mouvement social, de façon plus ou moins forte en fonction des secrétariats nationaux qui se sont succédés.

En tout cas, là, depuis les combats contre les fermes usines, la Ferme des mille vaches  [1], depuis 2013-2014, nos combats sont ré-ancrés dans le mouvement social. On fait partie des organisations qui ont aussi créé les Soulèvements de la terre en janvier 2021, à Notre-Dame-des-Landes. Il y a des combats comme ça, comme les faucheurs volontaires d’OGM, qui nous ancrent dans le mouvement social et dans les convergences.

Au niveau de la présence de la Conf’ sur le territoire, c’est quoi votre implantation ? Et comment la Conf’ est-elle organisée ?

Fanny : La Confédération paysanne est présente dans tous les départements, en métropole et dans les outre-mer. Les Confédérations paysannes départementales sont souveraines. Après, au niveau régional, on élit des représentantes de chaque région qui sont donc élues au Comité national. On a donc un Comité national qui représente environ soixante personnes, et il y a ensuite un Secrétariat national composé de cinq, sept ou neuf personnes.

Il faut être clair qu’on est un syndicat représentatif et qu’à ce titre on n’est pas clairement en rupture, vu qu’on participe aux élections professionnelles. Ce sont les élections des chambres d’agriculture qui, en fonction du pourcentage des voix, nous donnent du poids dans les représentations de tous les organismes agricoles départementaux, régionaux et nationaux. Des organismes comme la CDOA, la Commission départementale d’orientation agricole, qui décide où est-ce qu’on va octroyer les aides, à qui on donne plus, à qui on donne. [...]

En étant syndicat représentatif, on a des postes, on a des sièges, dans ces organismes là. En fonction des pourcentages aux élections professionnelles on est plus ou moins représentées dans ces institutions.

Pour avoir un ordre d’idée par rapport à la FNSEA, c’est quoi le poids de la Conf’ dans le syndicalisme agricole ? Et en terme de répartitions et d’ancrage sur le territoire, les régions où vous êtes les plus implantées...

Fanny : Au niveau national, lors des dernières élections professionnelles (décembre 2022), la Confédération paysanne représente 20 % des suffrages exprimés. Mais ici, localement en Ardèche, on est presque à 40 %, il y a des départements comme la Loire-Atlantique, l’Ardèche où on est bien implantées, la Guadeloupe aussi où on a remporté la Chambre d’agriculture. Mais sur des zones hyper-céréalières, où il y a peu de militantes, on peut ne pas être représentatifs, il faut plus que 15 % des voix pour avoir la représentativité localement et siéger dans tous ces organismes.

Du coup là, en avril, la Conf’ était en Congrès. Qu’est ce qui en ressort ?

Fanny : On a tenu notre dernier congrès en avril, où on a élu le Comité national mais ce congrès, il a surtout été marqué par ce qui s’est passé à Sainte-Soline. C’était juste quelques semaines après. La Conf’ a fait partie des organisations qui appelaient à se mobiliser.

Il y a eu un vrai traumatisme lié à Sainte-Soline. On a un membre du Secrétariat national de l’époque qui a fait partie des gens qui accueillaient les blessées graves, qui a tenu Serge dans ses bras en attendant l’arrivée des secours et ça reste un vrai traumatisme pour celles et ceux qui étaient présentes. Mais on a aussi certaines paysannes des Conf’ plus réformistes, qui n’y étaient pas et [...] n’ont pas forcément compris que la Conf’ puisse être autant mise en avant dans ces bagarres-là.

Il y a eu des gros débats concernant les modes d’action. « Qu’est-ce que la non-violence ? Où sont les limites ? » Tout ça c’était vraiment passionnant. Mais on a bien vu que clairement, la Conf’ bouge pas mal, évolue, et il y a une jeune génération qui a grandi avec Notre-Dame-des-Landes et la création de Zads et toutes ces luttes locales et le message a été très clair : on continue sur la lancée, on converge avec les Soulèvements de la terre et autres et surtout, en s’affirmant anticapitalistes dans tous nos communiqués ou dans toutes les réflexions et prises de position de la Conf’.

C’est une prise de position claire et affirmée du coup au niveau confédéral ?

Fanny : Oui. Du coup, ça a été assez clair, en fait. Les positions plus réformistes se sont retrouvées de plus en plus minoritaires. Après, nous, on a toujours dit qu’on a besoin de marcher sur nos deux jambes, qu’on est un syndicat, et malgré tout le fait d’être représentatif, on y tient. [...]

On est conscientes que le travail auprès des institutions ça fait aussi partie de l’action de la Conf’. Mais on est aussi clairement pour des modes d’action, de type désobéissance civile, qui peuvent passer pour violents aux yeux de certaines, mais qui, pour nous, ne relèvent pas de la violence, tant que ce sont des actions symboliques, comme à Sainte-Soline, c’était juste aller mettre un drapeau au milieu du chantier de bassine !

On a bien redit que c’était contre des symboles de l’agro-industrie et que la répression policière était en retour tellement violente qu’elle nous enfermait dans un truc de violence. Du coup, on nous décrit comme des méchantes écoterroristes, mais la violence, elle est de l’autre côté, du côté de la défense des intérêts privés.

Petite visite en juin 2018 de la Conf’ sur le vignoble de Bolloré, dans la joie et la bonne humeur. Dénonciation de l’accaparement des terres par le milliardaire en France et dans le monde.

La question de l’eau, c’est aujourd’hui la grosse question paysanne et sociale qui va être le dossier brûlant de ces prochaines années ?

Fanny : Oui, c’est le dossier brûlant. Et ça monte depuis des années, alors bien sûr, il y a eu les pesticides, et ça reste un des dossiers brûlants, les OGM qui reviennent en force aussi, c’est un truc délirant, on est en train de se battre au niveau européen par rapport à des directives sur les nouveaux OGM.

Mais la question de l’eau, le truc, c’est que, pour le commun des mortels, ça y est, les gens, n’importe qui commence à capter qu’il y a un vrai problème. Le nombre de villages, de petites villes, qui ont eu l’eau du robinet coupée l’année dernière, l’été dernier, ça, c’est du concret. Les gens réalisent que la gestion de l’eau, c’est un des enjeux essentiel des années à venir.

Et du coup, forcément, l’eau, nous, paysannes, vu qu’on utilise cette ressource pour irriguer les cultures, les jardins, certains arbres ou quoi que ce soit, d’un coup, on se retrouve plus seules à questionner l’histoire de la gestion de l’eau. Et surtout tout ce qui touche l’irrigation. Il y a par exemple des projets d’irrigation de vigne en Ardèche, en pompant l’eau du Rhône, c’est un truc dément !

On n’aurait jamais imaginé voir ça, ne serait-ce qu’il y a dix ans. Si on avait évoqué il y a dix ans, ces projets à la chambre d’agriculture, ça aurait été le branle-bas de combat. Et là on se retrouve hyper minoritaires, hyper isolées dans le milieu paysan quand on ose critiquer ce genre de projet.

La Conf, on est les seules, dans le milieu agricole, à oser dire : en fait l’eau c’est un commun, et il va falloir qu’on se concerte avec tout le monde. Pour la FNSEA, c’est juste pas possible. L’eau, pour les gros paysans irrigants, ça leur appartient. C’est une ressource qui doit rester dans les mains de la profession agricole. Et nous, là, on se fait défoncer sur ces questions par la Coordination rurale et la FNSEA.

On a là deux approches complètement antagonistes. D’un côté, les terres et les ressources sur la terre, m’appartiennent, c’est un bien privé, j’en suis propriétaire. Et ce que vous défendez à la Conf’, une approche en terme d’intérêt général, en fait, pas du tout d’intérêt particulier.

Fanny : Oui. Nous, on est sur cette position d’intérêt général. Et par contre, c’est hyper clair qu’on ne peut pas demander à des agriculteurs qui ont toujours irrigué, bouffé des pesticides à mort dans leurs champs, répandu des pesticides, des intrants, etc., du jour au lendemain de changer de modèle. Ce serait juste utopique d’imaginer ça. Ça on le comprend.

On n’est pas individuellement contre les agriculteurs qui sont enfermés dans ce système-là. Mais ça fait quand même vingt ans qu’on pousse les politiques publiques, qu’on demande à ce que la transition s’organise. Qu’on aide ces agriculteurs-là, justement, à évoluer, à changer de pratique petit à petit. Sauf que là, on arrive à un truc d’urgence où le réchauffement climatique, l’effondrement de biodiversité, va obliger…

Enfin, soit on continue à aller droit dans le mur, soit il va falloir faire des changements, mais radicaux. Et le problème c’est qu’on comprend que les agriculteurs soient piégés dans ce système. Pour eux c’est pas possible intellectuellement d’imaginer le passage en bio du jour au lendemain ou quoi que ce soit. C’est juste qu’on a tellement perdu de temps.

Propos recueillis par David (UCL Chambéry)

[1« Mille vaches dans une ferme-usine », Alternative libertaire, n° 242, septembre 2014.

 
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