Ecologie

Guerre de l’eau : Corse, Tavignanu-Vivu




En Corse, sur la commune de Giuncaggiu, un projet de centre d’enfouissement de déchets ménagers et amiantés menace le Tavignanu, un fleuve essentiel pour l’alimentation en eau potable et en irrigation pour toute la région. Un collectif citoyen, Tavignanu-Vivu, s’organise depuis 2016 pour y résister.

Le Tavignanu est le plus long fleuve de Corse après le Golo (88,7 km). Il prend naissance dans le centre de l’île, près de Corti à 1743 mètres d’altitude et son embouchure se trouve sur la côte orientale de l’île.
La région est pour partie classée Natura 2000, et le fleuve inventorié ZNIEFF [1]. C’est un des écosystèmes les plus riches en biodiversité de Corse.

Cela n’empêche pas une société locale, « Oriente environnement » d’avoir pour projet d’implanter dans un méandre du fleuve, un centre d’enfouissement technique de déchets ménagers et de déchets amiantés (CET).
Elle est propriétaire du terrain devant l’accueillir sur la commune de Giuncaggiu. Il est connu pour être instable géologiquement et régulièrement immergé par le fleuve en crue et se trouve en amont des captages pour l’eau potable et d’irrigation de toute la région.

Tous les éléments pour que se produise une véritable catastrophe écologique et humaine sont réunis.
C’est pour lutter contre l’installation de ce CET qui menace le fleuve Tavignanu, la biodiversité environnante et la santé des habitantes et habitants de la région qu’est né en janvier 2016 le collectif citoyen « Tavignanu-Vivu » (le Tavignanu vivant).

Une longue bataille juridique

Fin 2016, le Préfet de Haute Corse, s’appuyant sur les différentes expertises, toutes négatives (enquête publique, CODERST, INAO, etc) refuse l’autorisation d’exploiter à la société Oriente Environnement qui fait appel de la décision devant le tribunal administratif de Bastia.

En novembre 2019, le Tribunal administratif de Bastia délivre l’autorisation. Tavignanu-Vivu, rejoint par l’association corse de protection de l’environnement « U Levante » (voir l’encadré) et la Collectivité de Corse, fait appel à son tour de cette décision. L’appel est rejeté par la Cour administrative d’appel de Marseille en juillet 2020.
Un pourvoi est déposé devant le Conseil d’État qui le rejette également en avril 2021 et valide l’autorisation.

Le 7 juillet 2023, « U Levante » dans un communiqué apporte la preuve que les parcelles destinées à accueillir le CET sont bien répertoriées comme des Espaces stratégiques agricoles (ESA) par le PADDUC [2] et qu’à ce titre, la loi interdit leurs conversions en projet industriel.
L’association prévient : « aucun permis de construire ne pourra dorénavant être accordé sur les ESA du méandre du Tavignanu, s’il était accordé il serait annulable ».

Des Droits pour le Tavignanu ?

En 2021, alors que les possibilités de recours en France sont épuisées, le collectif « Tavignanu-Vivu » assisté par l’association écologiste « Notre Affaire à Tous » et s’inspirant de la « Déclaration Universelle des Droits des Rivières du Earth Law Center » lance « la déclaration des droits du fleuve Tavignanu » avec pour ambition de la rendre juridiquement contraignante après l’organisation d’une consultation locale sur le statut du fleuve.
La démarche s’inscrit dans un vaste mouvement international.

Des droits sont notamment accordés à la Nature par la Constitution de l’Équateur, par des lois en Australie ou en Nouvelle-Zélande, ou encore par des arrêts en Inde et en Colombie.
En Espagne la « Mar Menor » est devenue officiellement le 21 septembre 2022 « la première zone naturelle d’Europe dotée d’une entité juridique propre ».

Dans l’hexagone, depuis la « Déclaration » du Tavignanu, les démarches analogues se multiplient : Appel du Rhône, Parlement de Loire, déclaration de la Têt dans les Pyrénées-Orientales…

Photo du Tavignanu
Serpentant à travers les montagnes corses avant de se jeter dans la Méditerranée, le Tavignanu est un joyau à préserver pour certaines et une potentielle source de profits à saigner pour d’autres.

Que pouvons nous en attendre ?

Cela dépend certainement des cadres juridiques dans lesquels ces droits sont accordés, par endroits, ils ne sont que symboliques, ailleurs ils pourraient être plus contraignants.
S’il reste évident que seul un changement radical de système et de notre façon d’appréhender la nature nous permettra une sauvegarde pérenne de nos écosystèmes, les procédures juridiques peuvent permettre de ralentir la mise en œuvre de projets écocidaires.

Projets qui parfois finissent par ne plus être viables économiquement du fait de l’évolution des prix ou des réglementations qui accompagnent le bouleversement climatique.
C’est donc un outil de plus pour nos luttes, qu’on ne doit ni surestimer ni négliger.

La liste des permis de construire que l’État délivre illégalement en Corse ne cessant de s’allonger, Tavignanu-Vivu et ses nombreux soutiens restent plus que jamais mobilisés.
Une pétition et une plainte, pointant les très nombreux manquements du projet aux directives européennes, seront déposées devant les instances de l’Europe dès l’automne.

La société corse dans son ensemble (population, associations, institutions locales) rejette ce projet destructeur mais la propriété privé et le système qui la protège autorisent à nouveau une poignée d’entrepreneurs sans éthique à hypothéquer l’avenir d’un bien commun dans l’unique objectif de pouvoir réaliser des profits à court terme.

La vigilance reste de mise et seule une forte mobilisation citoyenne aux côtés des associations en première ligne nous permettra d’obtenir l’abandon définitif de ce funeste projet.

Pasquale Angelini (UCL liaison Corsica)


U Levante

U Levante est une association de protection de l’environnement créée en 1986, totalement indépendante et ne bénéficiant d’aucune subvention. Son bureau collégial est composé d’expertes, de juristes, d’avocates, toutes et tous bénévoles. Elle lutte principalement sur le terrain juridique en attaquant devant les tribunaux les permis de construire illégaux.

L’association bénéficie d’un fort soutien de la population et en dépit des attentats, des menaces de morts et des violentes campagnes de diffamation, elle poursuit son travail sans faiblir depuis sa création. Mais si la justice confirme régulièrement l’illégalité des permis de construire, elle n’exige en fait quasiment jamais la déconstruction, comme illustré dernièrement lors du procès opposant le député Marc Ferracci à l’association. Et les amendes qui peuvent décourager le petit promoteur sont simplement « budgétées » par les bandes mafieuses et leurs appuis qui spéculent sur l’île.

[1Zones Naturelles d’intérêt Écologique, Faunistique et Floristique

[2Plan d’aménagement et de développement durable de la Corse.

 
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