Culture

Lire : Anne Crignon,« Une belle grève de femmes, les Penn sardin, Douarnenez, 1924 »




Les Penn sardin, des prénoms… des prénoms seulement. [3] Oubliées, dépersonnalisées, comme ouvrières et comme femmes. Vies de femmes entre maison et usine ; filles d’usine : Femmes de marins, veuves de guerre ou de mer, femmes célibataires, souvent mères de plusieurs enfants, tout reposait sur elles. Laborieuses vies d’ouvrières, dures vies de femmes ! Elles salaient les sardines, les mettaient dans de petits paniers et on pesait dessus… Technique rudimentaire qui fut améliorée, au grand dam des ouvrières.

Douarnenez, grâce à la technique dite de la presse puis de la pile, pouvait garder les sardines plusieurs mois durant. Le poisson péché, débarqué, était lavé à la mer, mis en pile dans une barrique : une couche de poisson, une de sel. Le sel fondait en partie et la sardine baignait dans une saumure, où on la laissait séjourner. Avec l’appertisation [1], la presse fut abandonnée.
Entre huile, saumure et tripailles de sardines, odeurs qui imprégnaient le corps et les vêtements.
Douarnenez devint le premier port sardinier de France. Toute la ville vivait de la sardine. Certains plus richement que d’autres ; certaines plus chichement que d’autres.

En 1924, les conserveries foisonnaient, vingt-deux, plus une fabrique de boites, 2 000 ouvrières, 5 000 marins-pêcheurs. Sous l’impulsion du capitalisme nantais, issu pour partie du commerce négrier, une nouvelle classe d’industriels s’installa à Douarnenez. Deux mondes se firent face.
Les conditions de vie difficiles des Penn sardin s’aggravèrent. Les ouvrières des conserveries étaient les moins rémunérées de France. La législation du travail ? Son non-respect était l’usage courant.

Écoutez l’bruit d’leurs sabots

En 1905 [2] une première grève pour les salaires dura plusieurs mois et les ouvrières obtinrent un salaire à l’heure et non aux mille sardines évidées et étêtées. Les ouvrières apprirent les notions de solidarité de classe et furent payées 0,80 franc de l’heure. Maigre salaire de misère, source du conflit de 1924.
Dès dix ans, parfois huit, ces Penn sardin œuvraient à la conserverie, travaillant de jour comme de nuit, finissant parfois très tard, reprenant très tôt, parfois quinze heures, avec de faibles revenus. Elles s’échinaient quelquefois au-delà de soixante-dix ans.

Voilà les ouvrières d’usine

Cette lutte exemplaire de 1924 fut un épisode victorieux de la lutte des classes et de la lutte féministe. Sardinières et pêcheurs se joignirent dans la lutte. Ces femmes furent la force vive de ce mouvement que les pêcheurs appuyèrent. Joséphine Pencalet du comité de grève des Penn sardin, vit sa candidature au Conseil municipal invalidée par le Conseil d’État.« Après tout, ce n’est qu’une poissonnière ». Mépris de classe, mépris de genre !
Fortes de 1600 ouvrières et 500 ouvriers en grève, les Penn Sardin réclamèrent 20 centimes d’augmentation et le respect du paiement légal des heures supplémentaires. Après un meeting de plus de 4000 personnes, les revendications furent acceptées dans une usine. Le patronat embaucha des briseurs de grèves qui entrèrent dans un café pour provoquer, le ton monta, suivi de coups de feu. Trois marins et le maire furent blessés. Une émeute s’ensuivit et les briseurs de grève furent arrêtés. Un puissant élan de solidarité locale et nationale vint aider par des dons la lutte des Penn sardin. Les usiniers acceptèrent toutes les revendications : un franc de l’heure, paiement des heures supplémentaires, travail de nuit. Une belle grève de femmes, une lutte exemplaire par la solidarité qu’elle engendra. Une détermination sans faille qui eut raison d’un patronat impitoyable.

Dominique Sureau (UCL Angers)

  • Anne Crignon, Une belle grève de femmes, Les Penn sardin, Douarnenez, 1924, Éditions Libertalia, mai 2023, 168 pages, 10 euros.

[1Méthode de conservation des aliments par stérilisation dans des récipients appropriés et clos hermétiquement

[2Anne Crignon, Une belle grève de femmes, Libertalia, p. 59

[3Anne Crignon, Une belle grève de femmes, Libertalia, p. 105.

 
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