Syndicalisme

STJV : « C’est important que le syndicat fasse adhérer à une ligne politique par la pratique »




Nous avons rencontré des camarades du Syndicat des Travailleuses et Travailleurs du Jeu Vidéo de Montpellier. C’est l’occasion de mieux connaître ce syndicat qui se développe dans ce qui était jusqu’alors un désert syndical où la précarité est la règle. De quoi inspirer largement !

Nous avons rencontré des camarades du Syndicat des Travailleuses et Travailleurs du Jeu Vidéo de Montpellier. C’est l’occasion de mieux connaître ce syndicat qui se développe dans ce qui était jusqu’alors un désert syndical où la précarité est la règle. De quoi inspirer largement !

Pouvez-vous nous expliquer pourquoi et dans quel contexte de travail est né le STJV ?

En pratique l’industrie était vide niveau syndicats en 2016. On a senti durant la Loi Travail et l’arrivée de Macron au pouvoir qu’il fallait s’organiser pour résister aux politiques néolibérales, et l’élection de Déléguées du Personnel dans des studios parisiens nous a donné envie d’échanger sur nos problèmes. Cela a, en plus des réseaux personnels, formé la base du STJV.

Votre éclosion fait pas mal penser à la naissance du syndicalisme, aviez-vous ces références ?

Oui. Ces références étaient déjà présentes avant la création du STJV, à des degrés divers. On avait l’intuition que la forme du syndicat restait d’actualité pour lutter contre le capitalisme.
On a beaucoup été occupées par définir qui on était, qui composerait le syndicat et qui il défendrait, car c’est le fondement préalable à l’action collective. En l’occurrence il s’agissait de reformuler, pour notre milieu, l’opposition entre prolétariat et bourgeoisie.

Ce sont des questions anciennes et, d’un certaine manière et à notre échelle, on marche dans les pas de la CGT du début du XXe siècle. À partir d’un désert syndical, il était crucial de créer une conscience de classe, ce qui passe par deux points :

  • que les travailleurses fassent l’expérience directe de leur pouvoir politique, en étant le syndicat et en réalisant son action : l’autogestion
  • la démonstration de l’intérêt du syndicat par l’amélioration des conditions de vie actuelles, pour amener vers des objectifs à long terme : la double besogne.

On s’est inspirées de cet anarcho-syndicalisme car c’est la forme logique du syndicalisme, tout en l’adaptant à notre époque et notre industrie.

Votre forte mobilisation contre la réforme des retraites le prouve, vous n’êtes pas un syndicat corporatiste. Alors pourquoi ne pas avoir rejoint un syndicat existant et interprofessionnel ?

C’est une question qu’on a longtemps étudiée à la création. On s’est renseignées sur les confédérations dont on se sentait le plus proche politiquement : la CGT, Solidaires et la CNT.

En rejoindre une se serait fait au détriment du positionnement et de la stratégie du STJV :

  • Par ses conditions de travail, méthodes de production et métiers particuliers, on revendique le jeu vidéo comme milieu assez distinct pour avoir son propre syndicat, non rattaché à l’informatique ou au cinéma par exemple. Les confédérations qui se basent sur les branches légales ne nous auraient pas laissé avoir notre indépendance.
  • Le jeu vidéo baignait dans une ambiance très start-up, néolibérale, où le syndicalisme était mal vu. Avoir l’étiquette d’une confédération existante était un frein important à la syndicalisation du secteur. On a voulu se garder l’avantage de pouvoir approcher nos collègues en disant : « Nous sommes un syndicat, par et pour les gens qui travaillent dans les jeux vidéo, comme toi ».

On ne s’interdit pas d’en rejoindre une dans le futur, mais pour l’instant ce n’est pas une question à l’ordre du jour.

Quel est votre développement, réussissez-vous à mener des batailles sur vos lieux d’implantation ?

Aujourd’hui, le STJV c’est plusieurs centaines de camarades dans toute la France et on ne fait que grossir. On est présentes virtuellement dans tous les studios de développement et éditeurs. On a une bonne quinzaine de sections syndicales et, avec toutes les élections CSE qui ont lieu cette année, on commence à accumuler les déléguées syndicales et syndicaux. C’est beaucoup plus normalisé de parler syndicalisme maintenant qu’il y a six ans, même s’il reste encore du travail.

On revendique et communique peu sur nos luttes car elles portent surtout sur des situations personnelles (harcèlement, licenciement, burnout…) et que nous respectons les craintes et l’anonymat des victimes. Dans le jeu vidéo on n’a pas encore assez de culture de la lutte collective pour mettre en place des grèves. C’est un travail de fond de la construire, avec un rapport de force en notre faveur. On doit être irréprochables, ça se fera petit à petit.

Les grèves publiques sont rares : Eugen Systems en 2018 et, signe que les choses évoluent, Kylotonn en juillet 2023 ainsi que la grève nationale à Ubisoft en janvier 2023, plus gros employeur mondial du jeu vidéo, qui, il y a trois ans encore était considéré comme le top du « travail passion ».

Quel bilan général et pour votre syndicat tirez-vous de la bataille des retraites ?

Pour le moment c’est difficile à dire au niveau national, mais cette lutte va sûrement pousser à des restructurations et remises en question.
Au niveau du jeu vidéo c’est une étape importante et positive de la syndicalisation, qui permet justement de poser de nouvelles bases de lutte collective, d’expérimenter et de créer des liens interprofessionnels. Ça a beaucoup fait parler et ramené la politique au travail. On a connu une augmentation significative des adhésions et de l’investissement de nos camarades.

À Montpellier on vous a vues sur chaque manifestation, où vous avez fait cortège commun avec l’UCL et la CNT, à Lyon je crois que le STJV défile avec la CNT. Vous avez participé en mai 2022 aux rencontres « Au taf ! » des syndicalistes autogestionnaires et libertaires. Quel lien votre syndicat entretient-il avec les libertaires ?

Pour des raisons évidentes on est assez proches des organisations libertaires et on coopère dans plusieurs villes avec (entre autres) la CNT, la CNT-SO et l’UCL. C’est important d’autant plus que notre indépendance impose des efforts constants pour ne pas nous replier sur nous-même.

Bien que le STJV arbore les couleurs rouge et noir, on ne se revendique pas officiellement libertaires ou anarcho-syndicalistes. On pense que c’est important que le syndicat fasse adhérer à une ligne politique par la pratique, plutôt que de l’imposer à ses membres, pour devenir un syndicat « de masse ».

Il n’y a pas que des libertaires parmi nos membres, notre but est de faire travailler ensemble des gens qui partagent des intérêts communs. On part de principes fondamentaux : autogestion, démocratie directe, refus des permanentes et représentantes, mandats impératifs… et on les applique sans y apposer d’étiquette.
Jusqu’à présent, ça nous réussit et c’est apprécié par nos camarades.

Propos recueillis par Gil (UCL Montpellier)

 
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