Libéralisation : Inquiétudes et accompagnement thérapeutique syndical




Depuis le mois d’octobre, les temps forts de mobilisations se multiplient dans le secteur public (3 et 17 octobre, 26 novembre, 8 décembre...), la CGT en annonce un autre fin janvier sur les retraites... pourtant il ne se passe rien. Quelle est la signification de ce théâtre d’ombres et comment est-il possible d’en sortir ?

Il ne se passe pas un mois sans journée d’action ou sans grève dans tel ou tel secteur. EDF-GDF, La Poste, France Télécom, France 3, Éducation nationale, Finances, SNCF, routiers, intermittents... la liste s’allonge chaque mois. « Oui mais après ? » est-on tenté de dire car on ne voit pas bien la finalité de toute cette agitation.

Certes, et l’on a pu le voir le 26 novembre dernier, l’inquiétude monte et les scores de grève dans plusieurs secteurs semblent montrer une plus grande disponibilité pour l’action collective. Cette inquiétude ne s’exprime toutefois pas encore sous la forme d’une colère et donc d’une pression irrésistible pour les appareils syndicaux, elle se manifeste comme un mélange de peur et de mécontentement. Peur de la mort annoncée des services publics, de la protection sociale, des destructions d’emplois, de la remise en cause d’un statut qui fonde la sécurité de l’emploi..., mécontentement de voir que ce sont toujours les mêmes qui payent le prix du renforcement du pouvoir du capital.

Face à ce désarroi, les réponses des syndicats majoritaires sont à la hauteur des attentes... du Medef et du gouvernement Raffarin.

Depuis plusieurs mois Blondel (FO) et Thibault (CGT) s’efforcent de justifier la spécificité de chaque journée d’action pour s’opposer à toute convergence interprofessionnelle. Leur décision d’appeler toute et tous les salariés du public à descendre dans la rue le 26 novembre s’explique surtout par la proximité des élections prud’homales mais aussi la multiplication d’appels dans le même sens dans les hôpitaux, à la Poste, à France Télécom, aux finances... Beaucoup de non-dits expliquent le peu de combativité de nos bureaucrates syndicaux.

D’abord il y a absence de « débouché politique » pour la gauche institutionnelle encore sonnée de la curée du 21 avril. Ensuite, les journées d’action ont leur utilité pour jeter un nuage de fumée sur certaines manœuvres inavouables telle la négociation de la privatisation d’EDF-GDF et le bradage des retraites des électricien(ne)s et gazier(e)s par les fédérations énergie CGT, CFDT, CFTC et CGC, l’adieu au collège unique par la FSU ou encore les discussions secrètes entre CGT et CFDT pour rapprocher leurs points de vue sur les retraites.

Recompositions et combinaisons syndicales

Les résultats des élections prud’homales qui attestent d’une stabilité du paysage syndical dessinent toutefois un axe majoritaire CGT-CFDT sur lequel le gouvernement pourra s’appuyer afin de changer les règles de représentativité. On assiste à l’émergeance d’un pôle syndical libéral fort (CFDT, CFTC, UNSA, CGC) sur lequel le gouvernement et le Medef comptent s’appuyer pour intensifier la libéralisation de la société.

Les semaines commencent à être bien balisées et les perspectives qui s’offrent aux chômeurs, précaires et travailleurs sont tout sauf réjouissantes :
 décret de privatisation d’Air France ;
 libéralisation du courrier de plus de 150 grammes au 1er janvier 2003 ;
 négociation Unedic des 17, 19 et 20 décembre d’une convention défavorable pour les chômeurs ;
 retraites avec des déclarations cégétistes plus qu’ambiguës de Le Duigou au Monde et de Thibault à 20 Minutes laissant craindre un ralliement de la CGT à l’augmentation du nombre d’années de cotisation.

À cela il faut ajouter les propos tenus par certains responsables fédéraux CGT y compris chez les plus staliniens (comme aux impôts par exemple) qui disent que réclamer 37,5 ans pour tou(te)s, c’est utopique et qu’une bataille sur ce point est illusoire...
 projets de libéralisation de la sécu ;
 arrivée des premiers trains privés en mars pour le fret ;
 plan de liquidation de France Télécom...

Faut-il allonger une liste suffisamment sinistre ainsi ?

La CGT annonce la perspective d’une mobilisation interpro pour fin janvier sur les retraites, mais cette « mobilisation » risque de ressembler à un enterrement interpro de première classe du style manif du 3 octobre d’EDF-GDF. Tout porte à croire que nous allons nous retrouver dans la pire situation avec une FO (affaiblie par son score aux élections prud’homales, discréditée par son attitude dans le conflit des routiers et par sa volonté d’intégrer les militantes et militants de la très jaune Confédération des syndicats libres) et un G10 isolé qui s’exprimeront en faveur des 37,5 années pour tou(te)s dans l’impuissance la plus totale pendant que les autres négocieront avec le gouvernement et le Medef. ;

À cela, il faut ajouter que le gouvernement a décidé très habilement de s’attaquer en priorité aux pensions des fonctionnaires en les dissociant des retraites des agents des grandes entreprises publiques (SNCF, RATP, EDF-GDF) afin de ne pas rééditer les erreurs stratégiques de Juppé.

La stratégie à risque de la CGT

La CGT temporise et manœuvre mais pourrait aborder son congrès confédéral de mars dans les pires des conditions si elle poursuit sur sa lancée actuelle. À EDF-GDF, c’est la base des électricien(ne)s-gazier(e)s sensible aux arguments de SUD, de FO et de l’opposition interne à la direction fédérale CGT contre la privatisation et le démantèlement du régime spécial de retraite qui a poussé la CGT EDF-GDF à ne pas signer l’accord sur les retraites... qu’elle avait pourtant concocté elle-même avec les dirigeants d’EDF-GDF. De même, lors de son congrès, l’Union départementale de la CGT Paris a appelé à participer aux manifestations du 26 novembre que la direction confédérale voulait limiter aux seuls cheminots. La numéro 2 de la CGT Maryse Dumas qui assistait à ce congrès ne pouvait que constater la mise en minorité de la position confédérale.

L’alternative est simple : soit on pense qu’un sursaut ultime peut venir des appareils, et l’on se place dans une situation d’attente non pas de luttes mais d’accompagnement syndical de la mise à mort de la protection sociale et des autres droits collectifs. Soit on prend enfin la mesure du caractère catastrophique de la situation et alors se pose pour tou(te)s les syndicalistes de lutte qui le souhaitent la question de travailler à la construction d’une unité syndicale pratiquée depuis la base (seule à même de mettre la pression aux bureaucraties syndicales) pour l’emploi, les services publics, la protection sociale (retraite, sécu) et le pouvoir d’achat.

L’enjeu de l’auto-organisation

Cela implique le rassemblement large et une véritable expression publique de syndicalistes, d’associatifs et de chercheurs(ses) structurés autour d’une stratégie d’action revendicative et incarnant un syndicalisme de transformation sociale posant l’alternative entre le capitalisme et la redistribution des richesses.

Un rassemblement pouvant déboucher sur la création de collectifs, voire de véritables coordinations dans les villes, les entreprises, les départements de collectifs intersyndicaux larges unitaires et ouverts aux sans ainsi qu’à leurs associations. Des collectifs structurés autour des revendications mises en avant par un tel rassemblement et appelant clairement à la mobilisation.

Ce type d’initiative est le seul à même de s’adresser aux équipes syndicales qui, dans les confédérations, veulent se battre malgré les coups de couteau dans le dos de leurs directions.

Elle sera morte-née si elle ne rencontre pas l’adhésion d’une organisation comme l’US G10 Solidaires qui, si elle le veut vraiment, peut jouer un rôle similaire à celui des syndicats de base en Italie.

C’est par une action revendicative forte poussée jusqu’à la grève générale que ces derniers ont fait basculer la CGIL (équivalent italien de la CGT française) dans le camp de l’opposition sociale et fait briser le tête à tête avec les syndicats collabo CISL et UIL.

De même en France casser le tête à tête CGT-CFDT est incontournable pour remettre en cause le consensus social.

Bien sûr tout cela n’est pas aussi simple et ce qui risque de faire la différence, c’est la capacité de mobilisation de certaines professions (France Télécom, SNCF, Éducation nationale...) et les possibilités de converger entre elles. Pour autant le débat autour de l’outil interprofessionnel s’avère incontournable pour s’opposer à la régression sociale et construire une alternative au capitalisme.

Laurent Esquerre (AL Paris nord-est)

 
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