Débats : Que cent forums s’épanouissent




Forum social, forum anticapitaliste, forum libertaire… La pratique est dans l’air du temps : elle correspond à une réelle demande de débat et d’ouverture, même si elle tourne parfois à l’imposture. Essai de typologie.

Sous l’action combinée de « l’après 21-avril » et du Forum social européen de Florence, les forums de débat ont fleuri en France.

Le grand mouvement anti-FN du printemps avait permis une libération de la parole qui, combinée à l’effondrement de la « gauche plurielle », a poussé la plupart des organisations anticapitalistes à organiser des forums à plus ou moins grande échelle pour débattre largement de la situation nouvelle et proposer des perspectives d’action.

En parallèle, l’approche du FSE de Florence les 9, 10 et 11 novembre, a conduit à la tenue de forums sociaux dans de nombreuses localités.

Alternative libertaire, attachée à une pratique de débat et de confrontation, soutient ce type d’initiatives. Des forums de gauche anticapitalistes pour permettre des convergences dans l’action et populariser les idées révolutionnaires. Des forums sociaux pour permettre la convergence des luttes, mais aussi élaborer ensemble des alternatives au système capitaliste. Le tout bien sûr en préservant la nécessaire autonomie des mouvements sociaux par rapport aux organisations politiques.

1. Le forum populaire auto-organisé

Une assemblée populaire permanente, par laquelle transitent des centaines de personnes sur plusieurs jours, c’est la performance réalisée par des militantes et les militants étudiants de Nantes entre les deux tours de l’élection présidentielle. La libération de la parole et de l’échange y a été si tangible que même… des électeurs de Le Pen sont venus - brièvement - s’y exprimer. Il n’y a pas d’objectif particulier à une telle démarche qui n’est possible que dans des circonstances exceptionnelles. Sa finalité en soi est de permettre une expression et une politisation large.

2. Le forum anticapitaliste cartélisé

Il se constitue généralement sur la base d’un accord entre plusieurs organisations de gauche ou d’extrême gauche pour dialoguer franchement sur la démarche à avoir pour construire l’alternative. De tels forums ont pu se tenir à Nîmes, co-organisés par AL, la LCR, Écologie sociale, la Gauche communiste (du PCF), ou à Angers, avec le collectif « Résister lutter pour un autre monde » à l’initiative d’AL et de la LCR. Configuration large également à Lyon, où AL, la LCR et les Refondateurs communistes travaillent à l’organisation d’un forum en commun ; même la FA s’est jointe un temps à l’initiative, avant de s’en dissocier. Citons encore le Forum libertaire de Montreuil (AL, FA, CNT) qui, après son premier succès en juin dernier (plus de 500 personnes y avaient afflué), est devenu une structure permanente.

La situation est plus floue à Toulouse, où la LCR a, dans un premier temps, tenté de lancer un forum exclusivement dominé par sa logique propre de refonder un parti à gauche de la gauche. Le ton de l’invitation a donc conduit AL et Motivé-e-s (et LO, mais c’est un non-événement) à refuser de s’y associer. Depuis les choses ont évolué, et AL est de nouveau en discussion avec la LCR pour lancer un forum qui s’intitulerait « Pour une alternative sociale et politique ».

3. Le forum anticapitaliste élargi

Autre forme possible : un espace de débat dépassant les organisations constituées, sur la base d’un appel d’individus, militantes et militants actifs dans le mouvement social et syndical, et soutenu par des organisations politiques. C’est le cas à Rennes où un forum soutenu par AL, la LCR, les Alternatifs et Tous ensemble à gauche (TEAG) s’est tenu courant novembre et a rassemblé une cinquantaine de personnes. AL a obtenu que dans le texte d’appel soit fait mention de l’abstention politique au 1er tour, et non uniquement du seul vote d’extrême gauche comme significatif d’un ras-le-bol par rapport à la politique de la « gauche plurielle », et a de même évité que soit inscrite comme un préalable au débat la nécessité de construire un nouveau parti électoral à gauche, ce qui n’aurait pu que dévoyer les débats à mener sur une alternative anticapitaliste !

Une tentative similaire est menée actuellement dans le sud de Paris, à l’initiative des militantes et des militants des Alternatifs, d’AL et de la LCR. Le forum devrait se tenir en janvier, sur la base d’un appel d’individus, habitants et militants du XIIIe arrondissement de Paris, intitulé « À nous de construire ». AL, la LCR ou les Alternatifs ne sont donc pas organisateurs du forum en tant que tels, mais soutiennent la démarche. L’objectif est à la fois de débattre ouvertement de l’alternative au capitalisme et des moyens à mettre en œuvre pour y parvenir… Le forum donne donc la possibilité d’être également un cadre d’action unitaire sur Paris Sud.

4. Le forum social autonome

Dans la dynamique du FSE de Florence, des forums rassemblant les différents acteurs du mouvement social (syndicats CGT ou SUD combatifs, Confédération paysanne, associations de lutte comme le DAL, AC !, l’Apeis, des associations « citoyennes » comme Attac, etc.) se sont réunies pour débattre des thèmes majeurs de leurs interventions. Cette démarche peut ouvrir la voie à une fédération des contre-pouvoirs, condition sine qua non d’une alternative politique déconnectée des institutions républicaines. Une telle démarche a pu avoir lieu à Lannion ou à Orléans, où les organisations politiques, dont AL, soutenaient l’initiative sans y être incluses afin d’en garantir l’indépendance, nécessaire à un mouvement social pluraliste. L’expérience devrait également pouvoir se tenir de nouveau à Toulouse dans les semaines qui viennent.

5. Le forum social sans le mouvement social

Constitué par un groupe de personnes ou de partis, qui usurpent le terme « forum social » sans en avoir la réalité, cette démarche se retrouve à Montreuil où un collectif de militants et sympathisants du PCF a tenté de lancer un « forum social » à lui seul (!). Citons également le cas du « forum social local » de Paris-Sud, qui rassemble en tout et pour tout le PCF, la LCR, les Alternatifs, ainsi qu’Attac…

6. La confusion des genres

La confusion des genres, c’est le forum « fourre-tout » (qui en général prend le label « forum social ») où se mêlent les mouvement sociaux et les organisations politiques, dans une logique d’élaboration commune… ce qui ne peut être que nuisible à l’autonomie et donc à la dynamique des mouvements sociaux, et donne l’illusion aux organisations politiques d’en être les « représentants » naturels. C’est ce qu’a failli être le « forum social local » de Paris Sud, avant qu’on constate qu’aucun syndicat ni association de lutte n’avait heureusement souhaité s’y associer. L’autonomie du mouvement social suppose en effet l’impossibilité de l’élaboration d’une politique commune entre les mouvements sociaux et les partis politiques, destinés à exercer le pouvoir d’État. C’est le postulat de la Charte d’Amiens de 1906, qui fonde le syndicalisme français, pour assurer l’indépendance des syndicats qui doivent regrouper les travailleuses et les travailleurs au-delà des divisions propres aux partis. C’est aussi une condition nécessaire pour que le mouvement social conserve toute sa capacité d’action par rapport à des partis qui un jour pourraient convoiter voire occuper des postes étatiques.

Nous vivons sans doute une période peu courante de débats tous azimuts à la base des mouvements sociaux et des organisations anticapitalistes. Il faut s’en saisir, en évitant le piège des simulacres et des instrumentalisations que toute démarche large peut éventuellement inspirer, pour en faire émerger le meilleur : convergence des luttes, connaissance et reconnaissance mutuelle, élaboration politique et riches controverses !

Guillaume Davranche (AL Paris-Sud)

 
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