Culture

Lire :Élisée Reclus, Le bestiaire libertaire




En présentant la figure et la pensée d’Élisée Reclus,Roméo Bondon s’attache à mettre en lumière les liens entre ses engagements libertaires et ceux en faveur de la cause animale. Il y décèle des jalons qui aboutissent à l’antispécisme contemporain.

Il propose quelques repères chronologiques, depuis sa naissance en 1830, son premier exil, après le coup d’État de 1851, qui le conduit, avec son frère Élie, en Irlande, puis en Louisiane où il est confronté aux pratiques de l’esclavage.

S’il avait pour but de s’installer comme paysan, il rentre finalement à Paris en 1857, où il vit avec sa compagne, chez son frère, et débute sa carrière d’écrivain en publiant ses premiers articles géographiques et intégrant la maison Hachette comme rédacteur pour les guides touristiques Joanne. « Élisée Reclus fait entrer le temps dans sa géographie physique. Pour lui, décrire l’espace serait un exercice tronqué si toute dimension humaine en était supprimée. »

Il voyage beaucoup, rencontre Bakounine, qui l’aide à s’insérer dans les cercles militants, et adhère à la société secrète de la Fraternité internationale en 1864. Au congrès de Berne, en 1868, il tient son premier discours ouvertement anarchiste, martelant qu’ « il n’y a pas de frontière naturelle ; l’Océan même ne sépare plus les pays ».

Il participe à la Commune de Paris, comme simple soldat, mais est fait prisonnier le 4 avril. Condamné à dix années de bannissement, il s’installe en Suisse où il se consacre à sa Nouvelle géographie universelle, dont le premier tome paraît en 1876, suivi de dix-huit autres. Adhérant à la Fédération jurassienne, il milite le reste du temps, rencontre Jean Grave, Errico Malatesta, etc.

En 1894, il déménage à Bruxelles où il dispense un « cours de géographie comparée dans l’espace et dans le temps », à l’Université nouvelle. Il meurt en 1905, après avoir achevé L’Homme et la terre.

Dès 1848, il devient végétarien, en même temps que son frère, alors qu’ils étudient la théologie à la faculté de Montauban. Les considérations diététiques le motivent moins que le sort des animaux. Autour de 1890, il découvre à Chicago l’industrie de l’abattage des animaux en plein essor et décrit le processus mécanisé à l’œuvre. Cette rationalisation s’accompagne de l’élaboration de la zootechnie, qui voit dans l’animal une machine à améliorer, pour maximiser le rendement de ses produits.

Il dénonce cette « préoccupation capitale d’augmenter les masses de viande et de graisse qui marchent sur quatre pieds », de donner « des magasins de chair ambulante qui se meuvent à peine du fumier à l’abattoir ». « L’horreur des massacres […] constitue la condition première de notre nourriture habituelle. » Roméo Bondon recherche et analyse dans son œuvre toutes les références à cet engagement, depuis le récit de son évanouissement chez le boucher alors qu’il est enfant.

Reclus s’oppose aux combats parlementaires de la SPA, créée en France en 1845, qui se mobilise au nom de la décence pour réduire la cruauté et encourager les innovations vétérinaires, et non pour l’émancipation. Il rapproche la pratique cynégétique de la chasse à l’homme, dénonce les « jeux barbares » : combats de coqs ou de chien, corridas, courses de chevaux, mais aussi la boxe. Pour lui, les massacres quotidiens dans les abattoirs appellent ceux sur les champs de bataille.

Il dénonce l’exploitation et l’emprisonnement des hommes comme des bêtes, une forme de virilisme fondée sur la consommation de viande, et considère l’animal comme un frère : « C’est au nom de l’idéal socialiste qu’Élisée Reclus prend en compte le sort des animaux. »

Pour Reclus, comme pour Kropotkine, l’entraide est un principe moteur de l’évolution, au moins aussi important que la concurrence, et, en ce sens, le règne animal un « exemple sur lequel fonder une approche scientifique du monde, des sociétés qui y résident et des relations qui y opèrent ».

Il considère l’animal comme le premier éducateur du genre humain, et ne désolidarise pas l’approche scientifique de l’approche sensible. La beauté du milieu devrait inspirer plus d’humilité à « l’Homme qui cherche en tout lieu à imposer sa marque ». S’il n’encourage pas la non-intervention, il défend l’aménagement pour le bien et pour le beau.

Dans une langue qui trahit un plaisir d’écrire et de partager, Roméo Bondon livre un texte accessible, véritable porte d’entrée dans l’œuvre du géographe. Plus largement, il invite à une lecture contemporaine d’Élisée Reclus, dont il justifie la pertinence par l’exemple de ses prises de position sur la cause animale.

Ernest London (UCL Le Puy-en-Velay)

Roméo Bondon, Le bestiaire libertaire d’Élisée Reclus, éditions L’Atelier de création libertaire, juillet 2020, 128 pages, 18 euros.

 
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