À la fac une rentrée sous le signe de la précarité




Le mouvement lycéen de ces derniers mois a pointé le malaise dans lequel se trouve une grande majorité des acteurs et actrices de l’Éducation nationale face à un processus de dualisation croissante de cette éducation, à la précarisation des parcours et au renforcement de l’ordre moral. L’amplitude de la grève a montré à quel point les lycéen(ne)s sont mobilisables sur les questions de leur avenir.

À l’heure où une partie d’entre elles/eux entre à l’université, il semble nécessaire de donner un aperçu d’un milieu où les logiques réformatrices libérales prévalent et où les perspectives des luttes à l’échelle nationale semblent plus incertaines.

La massification de l’enseignement supérieur ces dernières décennies s’est traduite par une multiplication et une différenciation accrue des filières et donc par un renforcement de la hiérarchie sociale avec des filières pauvres en moyens et en débouchés professionnels, pour des étudiant(e)s pauvres en capital économique et souvent culturel, et des filières riches en moyens et en débouchés, pour des étudiant(e)s riches en capital économique et culturel (distinction en partie produite lors du passage en enseignement secondaire).

Au cours de ces dernières années, le souci d’égalité d’accès à l’université a complètement disparu du discours des politiciens au profit d’une adaptation de l’université au monde extérieur, autrement dit par une pédagogie liée aux intérêts économiques et une généralisation du système de concurrence des établissements, des disciplines ou des étudiant(e)s entre elles/eux.

L’application de la réforme LMD (Licence master doctorat) commencée il y a deux ans accélère ce processus et renforce l’influence patronale sur les choix pédagogiques, avec une suppression du cadre national des diplômes, l’individualisation des parcours, une dédisciplinarisation des formations par un centrage thématique de celles-ci autours d’objets spécialisés souvent professionnalisants, visant clairement à la production de futurs « technicien(ne)s » dépossédé(e)s de la maîtrise théorique de leur pratique.

La multiplication des diplômes professionalisants (plus liés à des effets de mode qu’à une réelle « employabilité ») entraîne un besoin d’argent des universités pour les financer. Financement qui s’opère de différentes manières, le plus souvent complémentaires, par une diminution des budgets alloués aux filières générales « non rentables », par des fonds privés ou par une augmentation des frais d’inscription (ainsi à Grenoble, les frais d’inscription s’élèvent à 1 200 euros pour les masters 2 professionnels et à 200 euros pour les licences contre 156 euros dans la majorité des facs).

La loi d’orientation pour la recherche et l’innovation (LOPRI) devant être votée à l’automne, pour être applicable dès janvier 2006, accélère de manière très nette ces évolutions, profilant à terme une université à deux vitesses avec d’un côté des pôles universitaires riches en moyens et de l’autre côté des universités reléguées au rôle de « collèges universitaires », limités au premier cycle avec des diplômes courts et professionnels. Tout ceci impliquant que les étudiant(e)s portent la responsabilité du choix pédagogique et du financement de leurs études alors qu’une majorité d’entre elles/eux connaissent déjà de graves soucis de précarité.

En effet, ces dernières années, les conditions de vie des étudiant(e)s se sont dégradées. L’augmentation du prix des services sociaux dispensés par les CROUS (liée à un désengagement de l’État), la spéculation immobilière entraînent une hausse du coût de la vie étudiante alors que le système de bourses est quant à lui très largement insuffisant.

Ainsi, plus de la moitié des étudiant(e)s est contrainte de se salarier dans des emplois précaires.

Face à l’individualisation pédagogique et sociale il est temps de travailler à la reconstruction d’une conscience de classe dans les universités, classes sociales en formation ; dominées et exploitées pour le plus grand profit de ceux qui nous promettent l’insertion dans la vie active.

Dès la rentrée, une mobilisation nécessaire !

Ces dernières années ont vu la multiplication de luttes locales ou corporatistes (limitées à une seule filière), montrant à quel point il existait une partie importante d’étudiant(e)s sensibles aux mutations actuelles et prêts à s’engager dans des luttes. Si ces luttes portaient globalement sur les mêmes problèmes (manque de moyens, libéralisation du service public, problèmes sociaux), la convergence de celles-ci n’a pas encore été réalisée principalement du fait de l’incapacité des syndicats étudiants à déclencher des luttes d’envergure nationales.

Si le syndicalisme de l’Unef, principal syndicat étudiant en terme d’adhérent(e)s, tourné essentiellement vers l’électoralisme et la cogestion, laisse peu de doutes sur sa volonté et sa capacité à construire une riposte face aux attaques patronales, des sections oppositionnelles peuvent être actrices dans de futures luttes. Les syndicats de luttes comme la CNT ou la FSE, du fait de leur manque de développement national, de leur hétérogénéité et surtout du fait de leurs pratiques souvent tournées vers une unique dénonciation générales de la société ne sont pas capables d’enclencher une lutte d’envergure nationale mais constituent là aussi localement des forces capables d’être à l’initiative de luttes. La fédération SUD Étudiant(e)s est aujourd’hui l’outil de lutte le plus important, relativement aux autres, ses structures locales étant souvent à l’initiative de luttes mais pêchent par un manque d’investissement dans leur fédération. Ce constat étant largement partagée au sein de la fédération, une campagne fédérale portant sur les questions sociales (logement, salaire social) devrait être proposée, en septembre, à l’initiative de structures locales afin d’aboutir à un mouvement coordonné sur une dizaine de facs à l’automne.

Dès la rentrée, il y a donc nécessité d’organiser avec toutes les forces politiques et syndicales prêtes à le faire, des assemblées générales pour discuter de toute ces questions et préparer une mobilisation d’envergure.

Si un tel mouvement devait se déclencher il y aurait donc priorité à travailler à sa coordination mais il faudra également penser à travailler à la convergence avec d’autres secteurs combatifs de l’Éducation nationale où les problématiques sont semblables, notamment avec les lycéen(ne)s. Le 28 août s’est tenue à Toulouse une rencontre lycéenne et étudiante. Elle a décidé d’informer les lycéen(ne)s et éudiant(e)s des conséquences de l’application de la loi Fillon sur leurs études et de mobiliser pour qu’ils/elles participent massivement aux manifs età la journée de grève interprofessionnelle contre la politique de de Villepin annoncée par les confédérations syndicales pour début octobre. Il en va de la responsabilité des militant(e)s communistes libertaires de porter dans ces luttes des pratiques autogestionnaires nécessaires à la solidité du mouvement et un discours libertaire sur les questions de formation dans leur déroulement et leur finalité, afin que ces luttes ne restent pas sans perspectives et puissent s’articuler avec d’autres luttes, articulation primordiale pour leur donner un sens révolutionnaire.

Tristan (AL Rennes)

 
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